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Le bar à poèmes
18 novembre 2019

Voltaire (1694 – 1778) : Le loup moraliste

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Le loup moraliste

 

 

          Un loup, à ce que dit l’histoire,

Voulut donner un jour des leçons à son fils,

          Et lui graver dans la mémoire,

Pour être honnête loup, de beaux et bons avis.

« Mon fils, lui disait-il, dans ce désert sauvage,

A l’ombre des forêts vous passez vos jours ;

Vous pourrez cependant avec de petits ours

Goûter les doux plaisirs qu’on permet à votre âge.

Contentez-vous du peu que j’amasse pour vous,

Point de larcin : menez une innocente vie ;

          Point de mauvaise compagnie ;

Choisissez pour amis les plus honnêtes loups ;

Ne vous démentez point, soyez toujours le même ;

Ne satisfaites point vos appétits gloutons :

Mon fils, jeûnez plutôt l’avent et le carême,

Que de sucer le sang des malheureux moutons ;

          Car enfin, quelle barbarie !

Quels crimes ont commis ces innocents agneaux ?

Au reste, vous savez qu’il y va de la vie :

          D’énormes chiens défendent les troupeaux.

Hélas ! Je m’en souviens, un jour votre grand-père

Pour apaiser sa faim entra dans un hameau.

Dès qu’on s’en aperçut : « O bête carnassière !

« Au loup ! » s’écria-t-on ; l’un s’arme d’un hoyau,

L’autre prend une fourche ; et mon père eût beau faire,

          Hélas ! Il y laissa sa peau :

De sa témérité ce fut le salaire.

Sois sage à ses dépens, ne suis que la vertu,

Et ne sois point battant, de peur d’être battu.

Si tu m’aimes, déteste un crime que j’abhorre. »

 

Le petit vit alors dans la gueule du loup

De la laine, et du sang qui dégouttait encore :

          Il se mit à rire à ce coup.

« Comment, petit fripon, dit le loup en colère,

          Comment, vous riez des avis

          Que vous donne ici votre père ?

Tu seras un vaurien, va, je te le prédis ;

Quoi ! Se moquer déjà d’un conseil salutaire ! »

          L’autre répondit en riant :

          « Votre exemple est un bon garant ;

Mon père, je ferai ce que je vous vois faire. »

 

 

Tel un prédicateur sortant d’un bon repas

Monte dévotement en chaire,

Et vient, bien fourré, gros et gras,

Prêcher contre la bonne chère.

 

 

Le Porte-Feuille trouvé ou tablettes d'un curieux

Les libraires associés, Genève,1757

Du même auteur :

Adieu à la vie (18/11/2015) 

« L’autre jour au fond d’un vallon… » (18/11/2016)

A Madame du Chatelet (18/11/2017)

A Madame Lullin (18/11/2018)

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