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Le bar à poèmes
2 mars 2019

Marcabru (1110 -1150) : « A la fontaine du verger... » / « A la fontana del vergier... »

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A la fontaine du verger

Où l'herbe est verte près du gravier

A l'ombre d'un arbre fruitier,

 Agrémenté des blanches fleurs

Et de chants d’oiseaux printaniers

Trouvai seul sans compagnon

Celle qui ne voulait mon bonheur

 

 Etait damoiselle au corps bel,

Fille d'un seigneur de castel ;

Et quand je pensais que l'oiseau

Lui faisait joie et la verdure,

Ainsi que le doux temps nouveau,

Et qu'elle entendrait mon appel

Tôt ferai ses pensers changer

 

Des yeux pleurait près la fontaine

Et du coeur soupirait profond.

« Jésus » disait-elle « Roi du Monde,

Pour vous me croît ma grand douleur,

Car votre outrage me confond,

Car les meilleurs de tous au monde

Vont vous servir, mais ce vous plaît.

 

Avec vous s'en va mon ami

Le bel, le gent, le preux et riche,

Me reste la grande détresse

Le désir souvent et les pleurs

Ah ! maudit soit le roi Louis

Qui ordonna cette croisade

Par qui deuil m'est au coeur entré. »

 

Quand je l'ouïs déconforter,

Vers ell’ vins près du ruisseau clair,

« Belle  »,  dis-je,  « de trop pleurer

Abîme visage et couleurs ;

Il ne vous faut désespérer

Celui qui fait les bois feuiller

Vous peut donner de joie assez. »

 

« Seigneur », dit-elle, « bien je crois

Que Dieu aura merci de moi

Dans l’autre vie pour toujours,

Comme il a des autres pêcheurs ;

Mais, ici, il m’ôte celui

Dont joie me croit mais peu me touche

Car trop de moi éloigné. »

 

 

Adaptée de l’occitan par France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Pierre Seghers éditeur, 1960

 

 

A la fontaine du verger

où l'herbe est verte près du gravier

à l'ombre d'un arbre fruitier

dans l’harmonie des fleurs blanches

et du nouveau chant coutumier

je trouvai seule sans compagnie

celle qui ne veut pas me consoler

 

C’était une demoiselle au beau corps

fille d’un seigneur du château

et quand je croyais que les oiseaux

lui faisaient joie et la verdure

et aussi la douce saison nouvelle

et qu’elle entendrait mes discours

tout d’un coup son attitude changea

 

Des yeux elle pleurait près de la fontaine

et du cœur soupirant profond

Jésus dit-elle roi du monde

par vous croît ma grande douleur

que votre honte m’afflige

car les meilleurs de ce monde

vont vous servir puisque vous le voulez

 

Avec vous s’en va le mien ami

le beau le courtois le preux le noble

je reste ici avec la grande détresse

le désir incessant et les pleurs

Ah maudit soit le roi Louis

qui fait faire les appels et les prêches

qui la douleur au cœur m’ont entrée

 

Quand je l’entendis se plaindre

j’allai vers elle jusqu’au ruisseau clair

belle fis-je par trop pleurer

on gâte le visage les couleurs

il ne faut pas désespérer

celui qui fit les bois pleins de feuilles

peut encore vous donner la joie

 

Seigneur dit-elle je crois

que Dieu aura de moi pitié

en l’autre monde pour toujours

de celle qu’ont les autres pêcheurs

mais ici il prend cette chose

 qui grandissait ma joie il tient à moi bien peu

il s’est trop éloigné de moi

 

Adapté de l’occitan par jacques Roubaud

in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »

Seghers éditeur, 1980

Du même auteur : Ecoutez (29/09/2023)

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

A la fontana del vergier,

On l'erb' es vertz josta·l gravier,

A l'ombra d'un fust domesgier,

En aiziment de blancas flors

E de novelh chant costumier,

Trobey sola, ses companhier,

Selha que no vol mon solatz.

 

So fon donzelh'ab son cors belh

Filha d'un senhor de castelh!

E quant ieu cugey que l'auzelh

Li fesson joy e la verdors,

E pel dous termini novelh,

E quez entendes mon favelh,

Tost li fon sos afars camjatz.

 

Dels huelhs ploret josta la fon

E del cor sospiret preon.

Ihesus, dis elha, reys del mon,

Per vos mi creys ma grans dolors,

Quar vostra anta mi cofon,

 Quar li mellor de tot est mon

Vos van servir, mas a vos platz.

 

Ab vos s'en vai lo meus amicx,

Lo belhs e·l gens e·l pros e·l ricx!

Sai m'en reman lo grans destricx,

Lo deziriers soven e·l plors.

Ay mala fos reys Lozoicx

Que fay los mans e los prezicx

Per que·l dols m'es en cor intratz

 

Quant ieu l'auzi desconortar,

Ves lieys vengui josta·l riu clar :

Belha, fi·m ieu, per trop plorar

 Afolha cara e colors!

E no vos cal dezesperar,

Que selh qui fai lo bosc fulhar,

Vos pot donar de joy assatz.

 

Senher, dis elha, ben o crey

Que Deus aya de mi mercey

En l'autre segle per jassey,

 Quon assatz d'autres peccadors!

Mas say mi tolh aquelha rey

Don joys mi crec! mas pauc mi tey

Que trop s'es de mi alonhatz.

Poème précédent en occitan :

Bernat de Ventadorn : « Quand l'herbe fraîche... / « Can l'erba fresch'... » (13/02/2019)

Poème suivant en occitan :

Raimbaut de Vaqueyras: « Hautes vagues qui venez sur la mer... » / « Altas undas que venez suz la mar... » (24/10/2019)

 

 

 

 

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