Jean Marcenac (1913 – 1984) : Le beau visage double
Le beau visage double
Les uns Dit-on L’amour
D’autres La liberté
Ce n’est pas vrai
Ce sont les mêmes
Les yeux d’Elsa et de Louis se ressemblent
La rouille de ton cœur
La rouille de tes armes
Pareille à la montée d’insectes noirs sur ta figure
Nous les nommons la mort
Voilà tes ennemis
Le ciel La nuit font bon ménage
Tout conspire à l’oubli
Les cloches du bonheur sonnent à l’excuse de la misère
Le peu qu’elles nous cèdent a justifié nos chaînes
Un sourire Et la honte n’y paraît plus
Et le vide reprend ce qu’il nous a donné
Il suffisait de vivre
Et la vie était légitime
Ils pouvaient trouver des amis
S’ils voulaient oublier les hommes
Il leur aurait suffi d’aimer
C’est l’amour qui perdait la face
Eux gardaient leur double visage
Ils faisaient le jour et la nuit
Au seul prix d’un petit mensonge
Ils pouvaient choisir d’être libres
La liberté en serait morte
Ils sont partis dans la forêt
Le chien Husdent les a suivis
Ils ont caché la bonne épée
Sous la jonchée des branches vertes
Ils ont perdu Ils ont gagné
D’aimer au nom de tout le monde
Ce qu’ils disent devient l’héritage des hommes
Ils parlent un langage aux couleurs de la terre
Leur bouche s’est ouverte au nom du monde entier
Le petit mensonge Navré
Est revenu dans le palais
Et comme eux pour l’amour Eux pour la liberté
Comme pour cette Yseult qu’on appelle la Blonde
C’est pour une autre Yseult maigre et noire qu’ils cachent
Sous la feuille des bois les armes éclatantes
Leur regard est l’honneur des hommes
Le Cavalier de coupe : Poèmes 1933 – 1943,
Editions Gallimard,1945
Du même auteur : Le coup de grâce (24/07/2014)