Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
26 janvier 2017

Aimé Césaire (1913 – 2008) : Fragments d’un poème

cesaire_2_d1_1_

 

Fragments d’un poème

 

Je dis qu'il faut être voyant

se faire voyant

Rimbaud

                                                                                                                                                                                                                             

                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                                                                

Et voici par mon ouïe, tramée de crissements

et de fusées, syncoper des laideurs rêches,

les cent pur-sang hennissant du soleil,

parmi la stagnation.

 


Ah ! je sens l'enfer des délices

et par les brumes nidoreuses imitant de floches

chevelures - respirations touffues de vieillards

imberbes - la tiédeur mille fois féroce

de la folie hurlante et de

la mort !

 

Mais comment, comment ne pas bénir,

telle que ne l'ont point rêvée mes logiques,

dure, à contre-fil lézardant leur pouac, ramas

et leur saburre, et plus pathétique

que la fleur fructifiante,

la gerce lucide des déraisons ?

 

Et j'entends l'eau qui monte,

la nouvelle, l'intouchée, l'éternelle,

vers l'air renouvelé.

 

Ai-je dit l'air?

 

Une flueur de cadmium, avec, géantes élevures

expalmées de céruse, de blanches mèches

de tourmente.

 

Essentiel paysage !

 

Taillés à même la lumière, de fulgurants nopals,

des aurores poussantes, d'inouïs blanchoiements,

d'enracinées stalactites porteuses de jour,

 

O ardentes lactescences ! prés hyalins !

neigeuses glanes !

 

Vers les rivières de néroli docile des haies

incorruptibles mûrissent de mica lointain

leur longue incandescence.

 

La paupière des brisants se referme – Prélude -

Audiblement des youcas tintent

dans une lavande d'arcs-en-ciel tièdes

des huettes picorent des mordorures.

 

Qui

Rifle

et rafle

le vacarme, par-delà le cœur brouillé de ce

troisième jour?

 

Qui se perd et se déchire et se noie

dans les ondes rougies du Siloé ?

 

Rafale.

Les lumières flanchent. Les bruits rhizulent

la rhizule

f

u

m

e

silence !


Le ciel bâille d'absence noire !


Et voici passer

vagabondage sans nom

vers les sûres nécropoles du couchant

les soleils, les pluies, les galaxies

fondus en fraternel magma

 

Et la terre, oubliée la morgue des orages,

qui dans son roulis ourle des déchirures

perdue, patiente, debout

durcifiant sauvagement l'invisible falun,

s'éteignit.

 

Et la mer fait à la terre un collier de silence,

la mer humant la paix sacrificielle

où s'enchevêtrent nos râles, immobile avec

d'étranges perles et de muets mûrissements

d'abysse,

 

la terre fait à la mer un bombement de silence

dans le silence


Et voici la terre seule,

sans tremblement et sans trémulement

sans fouaillement de racine

et sans perforation d'insecte

 

vide,

 

vide comme au jour d'avant le jour…

- Grâce ! grâce !

Qu'est-ce qui crie grâce ?

Poings avortés, amassements taciturnes, jeûnes

hurrah pour le départ lyrique

brûlantes métamorphoses

dispenses foudroyantes

 

feu, ô feu !

 

Les volcans tirent à bout portant

Les villes par terre, dans un grand bris d’idoles,

dans le vent mauvais des prostitutions

et des sodomies.

Les villes par terre et le vent soufflant

parmi l’éclatement fangeux de leur chair

le rugissement excrémentiel !

 

Ici gît du béton l’obscure gemme aride

Ici gît sous cette cendre le dollar de la lune

borborygme

ô borborygme

de ce monde sous la cendre.

 

La terre ne joue plus avec les blés.

La terre ne fait plus l'amour avec le soleil

La terre ne réchauffe plus des eaux dans le creux

de sa main.

La terre ne se frotte plus la joue avec des touffes

d'étoiles.

Sous l'œil du néant suppurant une nuit

la terre saquée doucement, dérive

éternellement

 

La grisaille suinte à mes yeux, alourdit mes jarrets, paresse affreusement

le long de mes bras.

Moi à moi !

Fumée

f

 u

m

é

e

de la terre

 

Entendez-vous parmi le vétiver le cri fort

de la sueur ?

 

La route

Oh ! la route par les doigts et le paumes

de la Mort, la route

par la soif et l’amitié de la Mort

béante comme l’amour !

la route, oh ! ma déroute

parmi les signes

                            parmi

                                        les pierres…

 

Dieu ? comment ai-je pu oublier Dieu,

moi

roi des vastes azurs,

 

Dieu, je veux dire la liberté er pour ma joie

l’éternité ?

 

Enos ! Enos !

Mon émanation barbote dans ta mare

de sa naissance plurielle avec une

puissante volupté

 

Taoudéni, Taoudéni délivre-moi

d’Enos !

 

Des philosophies, des morales, d’inouïes tentatives d’exaltation

et d’épurement, des prières, des hosannahs, des Ninives et des

Babylones métaphysiques sur le cinabre profilent parmi un

grouillement de flammes hiéraldiquement vrillantes des renforts

 basaltiques.

 


Mais moi homme ! rien qu'homme !

Ah ! ne plus voir avec les yeux.

N'être plus une oreille à entendre !

N'être plus la brouette à évacuer le

décor !

N'être plus une machine à déménager

les sensations !

 

Ah !

Je veux le seul, le pur trésor,

Celui qui fait largesse des autres.

Je veux la vie !

Fût-ce au prix de la Mort !

 

Homme !

Mais ce début me fait moins qu'homme !

Quelle torpeur ! ma tête stupidement

ballotte.

Ma tête rongée est déglutie par mon

corps.

Mon œil coule à pic dans la chose

non plus regardée mais regardante.

 

Homme !

Et voici l'assourdissement violet

qu'officie ma mémoire terrestre,

mon désir frappe aux états simples,

Je rêve d'un bec étourdi d'hibiscus

et de vierges sentences violettes

s'alourdissant aux lézards avaleurs

de soleil

l'heure bat comme un remords

la neige d'un soleil

aux caroncules crève, la patte levée,

le monde...


Ça y est. Atteint. Comme frappe

la mort brutale. Elle ne fauche pas.

Elle n'éclate pas. Elle frappe silencieusement au ras du sang, au ras

du cœur, comme un ressentiment,

comme un retour de sang.

Floc !

 

Médullairement

 

C'est bon

Je veux un soleil plus brillant et de plus

pures étoiles

 

Je m'ébroue en une mouvance d'images

de souvenirs néritiques, de possibles

en suspension, de tendances - larves,

d'obscurs devenirs ;

 

les habitudes font à la vase liquide

de traînantes algues - mauvaisement,

des fleurs éclatent.

Floc !

 

On enfonce, on enfonce comme dans

une musique.

 

Radiolaires.

 

Nous dérivons à travers votre sacrifice,

Refoulements enfouis ! désirs, désirs,

processionnels désirs !

 


D'un dodelinement de vague, je saute

ancestral aux branches de ma

végétation.

Je m'égare aux complications

fructueuses.

Je nage aux vaisseaux

Je plonge aux écluses.

 

Où, où, où vrombissent les hyènes

fienteuses du désespoir ?

 

Non. Toujours ici torrentueuses

cascadent les paroles.

 

Silence

Silence par-delà les rampes

sanguinolentes, 


par cette grisaille et cette

calcination inouïe.

 

Enfin, lui,

ce vent des méplats, bonheur,

le silence

 

Mon cerveau meurt dans une illumination

avec de fumantes aigrettes d'or fauve

un bourrelet tiédi de circonvolution par

un ricanement de palmes strié

fond

une titillation duvetée nage, nage, nage

Brindilles, forêt, lac

aérienne une biche

 

Oh un vide d'incendie. Tortures

 

Où où où

vrombissent les hyènes fienteuses du désespoir?

 

Renversé sur ma lassitude,

à travers la gaze, des bouffées tièdes

irradient mon inexistence fluide

une saveur meurt à ma lèvre

une flèche file, je ne sais pas.

 

Frisson. Tout le vécu pétarade avec des

reprises.

 

Les bruits se donnent la main et s'embrassent

par-dessus moi.

J'attends. Je n'attends plus.

Délire.

 

Néant de jour

Néant de nuit

une attirance douce

à la chair même des choses

éclabousse.

 

Jour diurne

nuit nocturne

qu'exsude

la Plénitude

 

Ah !

 

Le dernier des derniers soleils tombe.

 

Où se couchera-t-il sinon en Moi ?

 

A mesure que se mourait toute chose,

Je me suis, je me suis élargi - comme le monde -

et ma conscience plus large que la mer !

Dernier soleil.

J'éclate. Je suis le feu, je suis la mer.

Le monde se défait. Mais je suis le monde !

 

La fin, la fin disions-nous.

 

Quelle sottise. Une paix proliférante

d'obscures puissances. Branchies, opacules,

palmes, syrinx, pennes. Il me pousse

invisibles et instants par tout le corps,

secrètement exigés, des sens,

 

Et nous voici pris dans le sacré

tourbillonnant ruissellement primordial

au recommencement de tout.

 

La sérénité découpe l'attente en prodigieux

cactus.

 

Tout le possible sous la main.

Rien d'exclu.

Le monde véritablement pour la première fois total

 

Et je pousse, moi, l'Homme

stéatopyge assis

en mes yeux des reflets de marais, de honte,

d'acquiescement

- pas un pli d'air ne bougeant aux

échancrures de ses membres -

sur les épines séculaires,

 


Je pousse, comme une plante

sans remords et sans gauchissement

vers les heures dénouées du jour

pur et sûr comme une plante

sans crucifiement

vers les heures dénouées du soir !

 

La fin ! Quelle sottise !

Mes pieds vont le vermineux cheminement

Pante ! Plante !


mes membres ligneux conduisent d'étranges sèves

Plante ! Plante !

 

Le vieil esprit de la terre passe…

 

Et je dis,

et ma parole est paix

et je dis et ma parole est terre

et je dis !

et

la Joie

éclate dans le soleil nouveau !

et je dis :

Par de savantes herbes le temps glisse

Les branches picoraient une paix surréelle

Et la terre respira sous la gaze des brumes

Et la terre s'étira. Il y eut un craquement

A ses épaules nouées. Il y eut dans ses veines

un pétillement de feu.

Son sommeil pelait comme un goyavier d'août

 

Sur de vierges îles assoiffées de lumière

Et la terre accroupie dans ses cheveux

d'eau vive

Au fond de ses yeux attendit les

étoiles…

 

« Dors, ma cruauté », pensai-je

 

L'oreille collée au sol, j'entendis

passer Demain

 

 

In, Revue « Tropiques, N°1, Avril 1941 »

Fort-de-France, Martinique, 1941

 

 

Fragments d’un poème. Le grand midi (Fin)

 

 

- Halte, halte d’auberge ! Plus outre ! plus bas ! Halte d’auberge ! l’impatient

devenir, fléchant de réveils et de fumées,

orteils sanglants se dressant en coursiers,

insurrection

se lève !

 

Reine du vent fondu

- au cœur des fortes paix –

gravier, brouhaha d’hier

reine du vent fondu, mais tenace mémoire

c’est une épaule qui se gonfle

c’est une main qui se desserre

c’est une enfant qui tapote les joues de son sommeil

c’est une eau qui lèche ses babines, d’eau

vers des fruits de noyés succulents,

gravier, brouhaha d’hier, reine du vent fondu…

 

Essaim dur. Guerriers ivres ô mandibules caïnites

éblouissements rampants, paradisiaques thaumalées

jets, croisements, brûlements et dépouillements

ô poulpes

crachats des rayonnements

pollen secrètement bavant les quatre points cardinaux

moi, moi, seul, flotille nolisée

m’agrippant à moi-même

dans l’effarade et l’effrayante gueulée vermiculaire.

 

Seul et nu !

 

Les messages d’atome frappent à même et d’incroyables baisers

gargouillant  leurs errances qui se délitent

et des vagissements et des agonisements comme des lys perfides

éclatant dans la rosace et l’ensablement et la farouche occultation

des solitudes

 

Je bourlingue

à travers le lait tendre des lumières et les lichens et les miloses et

l’épaisse myéline

et l’éozoon

et les brouillards et les mittes de la chaleur hurlante.

 

Ô immense frai du jour aux yeux verts broutant des fleurs de

cervelle éclatantes

l’œil nu non sacré de la nuit récite en son opacité même le

genêt de mes profondeurs et de ma haine !

 

Mon beau pays aux hautes rives de sésame

où fume de noirceurs adolescentes la flèche de mon sang de

bons sentiments !

 

Je bourlingue

gorge tendue à travers les mystérieuses rouissements, les atolls

enroulés, les têtards à face de molosse, les levures réticentes et les

délires de tonnerre bas et la tempête sacrée des chromosomes,

 

gorge tendue, tête levée et l’épouvante première et les délices secrets

incendiant dans mon crâne des frénésies d’or, gorge tendue, tête levée,

à travers les patiences, les attentes, les montées, les girations, les

métamorphoses, les coalescences, l’écaillement ictérique des paysages,

futurs, gorge lourde, tête levée, tel un nageur têtu à travers les pluvieuses

mitraillades de l’ombre à travers le trémail virevoltant du ciel

à travers le ressac et l’embrun pépiant neuf

à travers le pertuis désemparé des peurs

tête levée

sous le pavois

dans le frisselis des naissances et des aubes !...

 

Le sang du monde une lèvre salée

vertement à mon oreille aigüe

sanglote

gréée de foudres

ses fenaisons marines.

 

Ô embrasement sans portulan

Qu’importe ?

Jaillissant palmier

fontaine irrésistible, ombelle,

ma

hourde

lourde

écrase

la vase

avance

et monte !

Ah cime ! demain flexible,

virgule d’eau, ma hourde lourde sans chamulque, à contre-flot

écrase la cime fine qui s’amenuise.

 

Ecume !

 

Je ne cherche plus : j’ai trouvé

 

L’amour s’accroche aux branches

l’amour perce les narines du soleil ; l’amour d’une dent bleue

happe la blanche mer.

Je suis la colonne du matin terrassé

Je suis la flamme juste de l’écorce brûlée ;

dans le bocage de mes cinq doigts toute la forêt debout rougit, oui,

rougit au-dessus des abîmes les cent mille pointes

des danses impavides.

Large ah ! plus large ! disperser au carrefour de mes reins les cavaleries

frappées d’amour !

 

broutantes fongosités

l’abîme a soufflé la bulle vivante des collines

broutantes fongosités

élan assassiné

ne partirez-vous point ?

Suivrais-je déjà les lourds chemins bis des pluies et des coxalgies ?

Mon amour sans pourquoi fait une roue de serpent tiède

mon amour sans pourquoi fait un tour de soleil blanc

mon amour aux entrailles de temps dans une désolation brusque de

sauge et de glaucome gratte sabot inquiet le bombax de la savane sourde.

 

M’avancerais-je caressé déjà de soleil pâle vers les ciels où mes crimes

et le long effilochement d’herbes de mes enfers colonisés luiront comme

des oreilles trépassées dans la caverne des Requiems ?

 

Ô oiseau du soleil aux durs becs renaissants

Fraternel minuit,

seul estuaire où bouillir ma darne indifférence

 

j’entends le souffle des aralies,

la creuse lumière des plages,

le tisonnement des soleils marins,

et les silences,

et les soirs chevelus aux ricanements noueux

et sur la clapotante batterie des grenouilles l’âcre persévérance nocturne !

 

Qui fêle ma joie ? qui soupire vers le jour ? Qui conspire sur la tour ?

Mon sang miaule

des cloches tintent dans mes genoux

Ô l’aptère marche de l’homme dans le sable hérissée.

Demain ? mais déjà cet aujourd’hui me fuit, s’effondre, muette divinité

que gorge

une lasse noyade à travers la bonace !

 

- Lâche, lâche soupir ! et ceinturant la nucelle de son gargouillement, la

mort, l’autre mort, lambruche aigre et vivace !

misère.

Ah ! je défaille, ce son ! Il entre par mes talons, racle mes os,

étoile  rose et gris parmi le bouillonnement de mon crane.

Arrête ! j’avoue, j’avoue tout. Je ne suis pas un Dieu. Cicindelle !

Cicindelle ! Cicindelle !

Lumière Ah ! pourquoi ce refus ?

Quel ruissellement de sang !

Sur ma face.

En épaisse glu le long de mes épaules !

Ma décrépitude à genoux sanglote éperdument.

 

Ding !

dong !

 

D’incroyables sorties se précipitent ! Sur des biseaux de voie lactée

je vise le 9 qui démarre en fusée,

j’accroche la fleur foudroyée en oiseau,

j’incendie aux mille et une cloches inefficaces

le puissant tocsin de mes neuves salives.

 

Ding !

dong !

 

Tiédeur.

Souffle vireux. Morsures, caïen sanglant à travers les nécroses …

Quelque part dans le monde un tam-tam bat ma défaite,

Des tiges de lumière brute sous les machettes et dans le dérèglement

tombent.

Le soleil de la 116ème rue en d’étranges bourbiers où soufflent les

silicoses, éclot dans mon sang la sérénade des vers.

 

Arums d’amour

me bercerez-vous plus docile que l’agami

 

mes lèpres et mes ennuis ?

 

Tam-tams dans le sang

papayers de l’ombre

Mumbo-jumbo dur tipoyeur

Kolikombo dur tipoyeur

Kolikombo goutte de nuit au cœur jaune de pensée

Kolikombo aux larges yeux de cassave claire

Kolikombo milan de feu tassé dans l’oreille des années

Kolikombo

Kolikombo

Kolikombo

dans les tourbillonnants beuglements des cécropies…

 

Un panache de monde

tranquillement s’installe er parfile la pariade métallique

dans ce boulottement d’incendie. Pluie !

(je ne comprends pas car je n’ai point convoqué d’onde)

pluie

(je ne comprends pas car je n’ai point expédié mes messages

pariétaux)

pluie  pluie  pluie

éclatant parmi moi ses épaules électriques.

 

- Enos ! toute ma vie, trouverai-je aux statiques carrefours

foisonnant aux mains pâles des tremblements et des silences, ta

monarchie nocturne et ta paix violacée ?

 

Arrière ! je suis debout ; mon pied hihane vers de moins plats

pays !

Je marcherai plein d’une dernière et plantureuse ivresse mon or

et mes sanglots dans mon poing couchés contre mon cœur !

 

En avant par la gauche où bat ma chair plus cruelle que l’erigne

la nénie séduleuse – attendre

maléfiquement cornant par mon couchant sonore le bouillonnement

de sang et l’oreille fermée et le cœur mieux clos qu’une sagaie, jeter

l’ancre de nos ongles nets dans la pouture du jour !

 

Attendre ? Pourquoi attendre ?

le palmier à travers ses doigts s’évade comme un remords

et voici le martèlement et voici le piétinement et voici le souffle

vertigineux de la négation sur ma face de steppe et de toundra !

 

Je pars. Je n’arriverai point. C’est égal, mais je pars sur la route

des arrivées avec mon rire prognathe.

 

Je pars. Le trisme du désespoir ne déforme point ma bouche. Tant

pis pour les corbeaux : très loin jouent les pibrochs.

 

Je pars, je pars. Mer sans ailleurs, ô recreux sans départ

je vous dit que je pars : dans la clarté aréneuse, vers mon hostie vivace,

se cambrent des centaures.

 

Je pars. Le vent d’un museau dur fouine dans ma patience.

Ô terre de cimaise dénuée

terre grasse gorgée d’eau lourde

votre jour est un chien qui jappe après une ombre.

 

Adieu !

 

Quand la terre acargnardée scalpera le soleil

dans la mer violette vous trouverez mon oeil  fumant comme

un tison.

 

Fournaise, rude tendresse

salut !

 

Les étoiles pourrissent dans les marais du ciel

mais j’avance plus sûr et plus secret et plus terrible

que l’étoile pourrissante.

 

Ô vol courbé de mes pas !

posez-vous dans la forêt ardente.

 

Et déjà les bossettes de mon front et la rose de mon pouls

catapultent le Grand Midi

 

In, Revue « Tropiques, N°2, Juillet 1942 »

Fort-de-France, Martinique, 1942

Du même auteur :

 « Je retrouverais le secret des grandes communications… » (26/01/2014)

En guise de manifeste littéraire (26/01/2015)

Et les chiens se taisaient (26/01/2016)

« Soleil serpent… » (26/01/2018)

A l’Afrique (26/01/2019)

Configurations (26/01/2020)

Batouque (26/01/2021) 

Idylle (26/01/2022)

Corps perdu (26/01/2023)

Rocher de la femme endormie (07/02/2024)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité