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Le bar à poèmes
16 octobre 2016

Georges Perros (1923 – 1978) : « Les guerres n'est-ce pas... »

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Les guerres n'est-ce pas

Ça éclate ça mobilise

Ça fait quitter son foyer

Les hommes trouvent normal

D'aller à la guerre

Comme on va aux champignons

Les hommes ne sortiront jamais

De cette ornière

La guerre est un bail à renouveler

La guerre est devenue

La condition de la paix

La révolte de la sérénité.

Tant que les hommes sages

Diront oui

À la guerre

Où on les envoie

Sans qu'ils sachent très bien pourquoi

Tant que les hommes ne diront pas

Non

À ce goût qu'ils ont de l'aventure

Quand elle les rend plus amis

Qu'ils n'auraient jamais osé l'être

Dans la quotidienneté

Tant qu'on tuera des hommes

Comme on tue des puces, des moustiques,

En disant que c'est terrible, ces petites bêtes

De les tuer,

Tant que la passion d'être

Aura partie liée avec le meurtre

Tant qu'il y aura des comédiens

Qui joueront avec talent

Ce qui fut vécu

Ce qui le sera

Mais ce qui ne l'est jamais

Ce qui ne peut l'être

Pendant leur propre, leur pauvre existence

Tant que nous aurons besoin

De nous dédoubler, de nous divertir

D'apprendre avec émotion

Nostalgie

Culpabilité

Que des hommes meurent

Pour des raisons

Qui nous paraissent vraies

Incomparables

Et que nous en parlerons

Avec émotion

Frissons dans le dos

Un whisky-soda s'il vous plaît

Ce sera non.

La guerre entre les hommes

Est peut-être inévitable

Un mauvais rêve du bon Dieu

Tout le troupeau en uniforme

On y court tous comme des lapins

À la guerre.

Nous avons fini par comprendre

Que nous sommes tous colonisés

Que l'homme est une colonie

Apte à la liberté d'être

Qui commence

Par le partage du pain et du vin

Et si personne ne fait ce pain

N'écrase ce raisin

Eh bien nous apprendrons à faire

À écraser, à sulfater, à pétrir

Nous deviendrons des paysans

Ce que nous sommes tous

Malgré la citadinité

Qui nous enveloppe

Comme des saucissons, des momies.

La terre n'en tournera pas moins

Comme une folle

Autour du fou par excellence

De ce sanglant dégoulinant

Qui sait si bien

Nous foutre mal au crâne

Et nous noircir la peau

De cet ivrogne dans l'azur

Qui fait mûrir

Qui fait pourrir

Qui dit le sec et le mouillé

Sur nos fronts partitions striés

Sans la moindre musique à l'intérieur

Rengaine où sanglote la source

Barques sur le dos

Ô nos révoltes grains de sable

Poussière dans le vent fané

Qui nous redira folle course

La joie farouche

Des chevaux du langage

Quand tout était encore tremblant

D'avoir liberté de mourir

Quand tout faisait encore semblant

De l'oublier dans un sourire

Les temps sont venus de la mort

De qui portes-tu le deuil, Terre,

Grosse de tant de cadavres

Que leur innocence a trompés

Mais dont l'âme flotte

En nos rêves

Nous ne pourrons jamais plus vivre

À marcher sur vos jeunes os

À piétiner votre colère

Nous ne pourrons jamais plus rire

Comme il faudrait de bas en haut

La glotte folle,

Avec cet ogre en nos poitrines

Qui nous ronge nous fend la peau

Allez

Car nous serons bientôt ensemble

Dans la bohème du caniveau

Nous fuirons en faisant la planche

Vers d'autres rêves d'autres feux

Autour desquels perdre nos rimes

Qui ne sont plus d'amour

Ni d'aise

Il est fondu, notre métal

Nous nous retrouverons bientôt.

 

Poèmes bleus,

Editions Gallimard, 1962

Du même auteur :

 « On meurt de rire… » (10/08/2014)

Marines (10/08/2015)

« Il y a un bruit près de chez moi… » (16/10/2017)

« Il n’y a rien ... » (16/10/2018)

« Ces envies de vivre ... » (16/10/2019)

« Cette légère envie de se saouler... » (16/10/2020)

L’âme (16/10/2021) 

Huit poèmes (16/102022)

Marines (2) (16/10/2023)

 

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