Saint-Pol-Roux (1861 – 1940) : Les Vieilles du hameau
Les vieilles du hameau
à ma fille Divine
L’une après l’autre, elles s’en vont les bonnes vieilles au fuseau,
l’une après l’autre elles s’en vont toutes les vieilles du hameau.
Tu ne reverras plus tante Marie ni tante Lise, ô ma Divine, ni tant
d’autres en coiffes blanches du dimanche ou bien en penn-du de laine
de la semaine, tu ne reverras plus les mères-grand au long châle de deuil
qui souriaient à ta chair de féerie sur le seuil après avoir, grêles marraines
au dos de cerceau, souri sur les gazouillements premiers de ton berceau d’osier,
tu ne reverras plus ces candides anciennes que derrière la pesante croix d’argent
viennent d’emporter au cimetière entre des planches quatre braves gens. Elles
avaient une âme douce de brebis ces aïeulettes du pays qui t’apportaient du lait,
du miel, des œufs, le fars des fêtes, le gâteau de la grand’messe, le bouquet de
la Saint-Pierre et le bouquet de la Saint-Jean et, t’élevaient parmi leurs bras de
vieille vigne pour, à l’aurore de tes joues, baiser de l’espérance et cueillir de la
vie. Tu ne les reverras plus, mignonne, mais elles hanteront à l’infini le pré
béni de ta mémoire, tirant par l’attache la vache qui fut leur fortune avec le champ
de pommes et le champ de blé noir dont on fait le gros pain rond à la pâte brune.
A la longue, malingres comme des jouets, elles s’en sont allés, mères de gars
éparpillés sur les mers jaune, blanche, rouge, noire, bleue, elles s’en sont allées
dans un hoquet, tirées par quelque bise et lestées d’un hostie, elles s’en sont allées
sans le baiser de leurs petits, dans un linceul de toile bise, elles s’en sont allées
vers le bon Dieu qui leur a mis des ailes aux épaules et puis des robes d’or et
puis des doigts tout roses pour jouer de la lyre en dansant sur la lande aux étoiles,
fleurs d’ajonc des cieux.
L’une après l’autre, elles s’en vont, les bonnes vieilles au fuseau, l’une après
l’autre elles s’en vont, toutes les vieilles du hameau.
Pendant l’enterrement de Tante Lise :
hameau de Lanvernazal en Roscanvel,
23 mai 1900
Les Reposoirs de la procession,
Volume I : La Rose et les épines du chemin
Editions du Mercure de France, 1901
Du même auteur :
Les litanies de la mer (04/03/2014)
Roscanvel (04/0303/2015)
Dialogue marin (04/03/2017)
Prière à l’Océan (04/03/2018)
Pour dire aux funérailles des poètes (04/03/2019)
Litanies du verbe (04/03/2020)
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