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Le bar à poèmes
4 mars 2016

Saint-Pol-Roux (1861 – 1940) : Les Vieilles du hameau

1256833382[1]

 

Les vieilles du hameau

à ma fille Divine

 

     L’une après l’autre, elles s’en vont les bonnes vieilles au fuseau,

l’une après l’autre elles s’en vont toutes les vieilles du hameau.

     Tu ne reverras plus tante Marie ni tante Lise, ô ma Divine, ni tant

d’autres en coiffes blanches du dimanche ou bien en penn-du de laine

de la semaine, tu ne reverras plus les mères-grand au long châle de deuil

qui souriaient à ta chair de féerie sur le seuil après avoir, grêles marraines

au dos de cerceau, souri sur les gazouillements premiers de ton berceau d’osier,

tu ne reverras plus ces candides anciennes que derrière la pesante croix d’argent

viennent d’emporter au cimetière entre des planches quatre braves gens. Elles

avaient une âme douce de brebis ces aïeulettes du pays qui t’apportaient du lait,

du miel,  des œufs, le fars des fêtes, le gâteau de la grand’messe, le bouquet de

la Saint-Pierre et le bouquet de la Saint-Jean et, t’élevaient parmi leurs bras de

vieille vigne pour, à l’aurore de tes joues, baiser de l’espérance et cueillir de la

vie. Tu ne les reverras plus, mignonne, mais elles hanteront à l’infini le pré

béni de ta mémoire, tirant par l’attache la vache qui fut leur fortune avec le champ

de pommes et le champ de blé noir dont on fait le gros pain rond à la pâte brune.

     A la longue, malingres comme des jouets, elles s’en sont allés, mères de gars

éparpillés sur les mers jaune, blanche, rouge, noire, bleue, elles s’en sont allées

dans un hoquet, tirées par quelque bise et lestées d’un hostie, elles s’en sont allées

sans le baiser de leurs petits, dans un linceul de toile bise, elles s’en sont allées

vers le bon Dieu qui leur a mis des ailes aux épaules et puis des robes d’or et

puis des doigts tout roses pour jouer de la lyre en dansant sur la lande aux étoiles,

fleurs d’ajonc des cieux.

          L’une après l’autre, elles s’en vont, les bonnes vieilles au fuseau, l’une après

l’autre elles s’en vont, toutes les vieilles du hameau.

Pendant l’enterrement de Tante Lise :

hameau de Lanvernazal en Roscanvel,

23 mai 1900

 

Les Reposoirs de la procession,

Volume I : La Rose et les épines du chemin

Editions du Mercure de France, 1901

Du même auteur :

Les litanies de la mer (04/03/2014)

Roscanvel (04/0303/2015)

Dialogue marin (04/03/2017)

Prière à l’Océan (04/03/2018)

Pour dire aux funérailles des poètes (04/03/2019)

Litanies du verbe (04/03/2020)

 Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne (24/04/2021) 

Ave, Massilia (24/04/2022)

 

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