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Le bar à poèmes
24 février 2016

Badr Châker al-Sayyâb / بدر شاكر السياب ‎(1926- 1964) : Retour à Jaykour

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Retour à Jaykour 

 

Sur le coursier du rêve

Je suis parti à travers les collines,

Fuyant la ville, ses tournoyantes poussières

Son souk plein de marchands,

Son aube basse,

Sa nuit sifflante et ses passants,

Sa lumière sans couleur,

Son dieu lavé avec le vin,

Sa honte cachée dans des fleurs,

Sa mort glissant sur le fleuve,

Marchant sur ses flots endormis.

Ah, si l’eau se réveillait

Et si la Vierge venait y boire,

Si le soleil blessé du couchant

Venait se rafraîchir, ou s’il se levait,

Si les branches du crépuscule fleurissaient.

Si les maisons de luxure fermaient leurs portes !

 

Sur le coursier du rêve,

Sous le soleil du levant vert,

Dans l’été généreux et riche de Jaykour,

J’ai marché sur une route longue et sans fin,

J’ai marché entre la rosée, les fleurs et l’eau,

Cherchant à l’horizon une étoile,

Une naissance de l’Esprit sous le ciel,

Une source pour éteindre le feu de la soif,

Un gîte pour le voyageur las.

 

Jaykour, Jaykour, où est l’eau, où est le pain ?

La nuit tombe, et les guides se sont endormis,

Et la caravane veille, tourmentée par la faim et la soif,

Et le vent hurle, et l’horizon n’est qu’écho

Désert d’on on ne voit pas la route au bout,

Ciel d’une nuit aveugle,

Jaykour ouvre-nous une porte pour entrer

Ou envoie-nous une étoile pour nous éclairer.

 

Agonie et non mort,

Parole et non voix,

Douleurs de l’enfantement et non naissance,

Qui crucifiera le poète à Bagdad ?

Qui achètera ses deux mains ou ses deux prunelles ?

Qui transformera sa couronne en épines ?

Jaykour, O Jaykour,

Les fils de la lumière

Ont tendu le filet du matin,

Fais avec mes blessures

Un festin aux oiseaux et aux fourmis,

Voici mon pain, vous qui avez faim,

Voici mes larmes, Vous les malheureux,

Voici ma prière, Vous les dévots :

Que le volcan rejette sa lave,

Que l’Euphrate envoie son déluge

Pour que les ténèbres voient le jour,

Et que nous connaissions la miséricorde.

Jaykour, O Jaykour,

Les fils de la lumière

Ont étendu le filet du matin,

Avec mes blessures

Fais un festin aux oiseaux et aux fourmis.

 

Ce cheval est plus fort que les murailles,

« Le plus fort des coursiers du rêve »,

Le fer est devenu mou,

Et le cortège a été vaincu.

Jaykour, ton passé est revenu. 

 

Voici le chant du coq : le sommeil a fui

Et je suis revenu de mon grand voyage :

Le soleil, père des épis verts

Est comme un pain, derrière les maisons,

Mais sur les trottoirs

Il est plus précieux que l’or.

Et l’amour : « Entends-tu

Ces cris violents ?

Mais que nous importe ?

Abd al –Latif sait que nous… de quoi as-tu peur ? »

Et mon âme s’envola, et le train siffla,

Et des larmes perlèrent à mes yeux,

Et un nuage me porta, et il partit.

O soleil de mes jours, n’y aurait-il plus de retour ?

 

Jaykour, dors dans la nuit des années.

 

Traduit de l’arabe par Simon Jargy

Revue « Vagabondages, N°31, Juin 1981 »

Association « Paris-Poète », Librairie Séguier, 1981

 

Du même auteur :

Testament d’un agonisant (27/05/2017)

Dans la nuit (27/05/2017)

 

 

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