Badr Châker al-Sayyâb (1926 -1964) /بدر شاكر السياب : Dans la nuit
Dans la nuit
La chambre a sa porte close,
le silence est profond,
les rideaux près de ma fenêtre
tombent jusqu’au sol.
Il se peut que la rue
prête l’oreille pour m’écouter,
pour me guetter derrière la fenêtre.
Et mes habits
tels ceux d’un épouvantail planté en plein champ
sont noirs.
La porte close leur a donné une âme.
Elle a enfoui en eux des lambeaux
de sentiments ;
elle va les réveiller de cette mort
qui les tient,
et les voilà prêts à me chuchoter à l’oreille,
dans le silence profond :
« Il ne reste plus un seul ami,
pour venir te visiter
dans la nuit terne,
et la chambre a sa porte close. »
J’ai revêtu mes habits
comme en un rêve
et je me suis faufilé dans la nuit :
viendra certainement à ma rencontre
ma mère
dans cette terre des morts, là-bas, par ses enfants
abandonnée.
Et elle me dira : « Où cours-tu ainsi
en cette nuit aveugle
sans même un ami ?
tu as faim ? Veux-tu goûter avec moi
les caroubes du champ des morts ?
L’eau, tu l’aspireras à brèves gorgées
du sein de la terre.
Ne vois-tu pas dans quel état sont tes habits ?
Prends donc ce bout de drap arraché
à mon linceul !
C’est une étoffe que le temps même
ne saurait user.
C’est Azril, l’Ange de la mort,
qui l’a tissée
et viendrait-elle à se fatiguer
qu’il la raccommoderait ! Allons, viens-t’en
chez moi dormir :
J’ai préparé une place dans ce lit
profond
pour toi, qui m’est plus cher encore
que le désir,
ce désir que les morts conservent du soleil
et de l’onde paresseuse...
ce désir qui attend l’heure
où le chant du coq viendra sonner
à tous les horizons
au jour de la Résurrection ! »
Alors je m’en irai par les chemins du rêve
alors je marcherai vers l’ultime rencontre
et celle qui viendra
sera encore ma mère !
Traduit de l’arabe par René R. Khawam
in, « La poésie arabe des origines à nos jours »
Editions Phébus, 1995
Du même auteur :
Retour à Jaykour (24/02/2016)
Testament d’un agonisant (27/05/2017)