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Le bar à poèmes
27 mai 2018

Badr Châker al-Sayyâb (1926 -1964) /بدر شاكر السياب : Dans la nuit

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Dans la nuit

 

La chambre a sa porte close,

le silence est profond,

les rideaux près de ma fenêtre

     tombent jusqu’au sol.

Il se peut que la rue

prête l’oreille pour m’écouter,

pour me guetter derrière la fenêtre.

     Et mes habits

tels ceux d’un épouvantail planté en plein champ

     sont noirs.

La porte close leur a donné une âme.

Elle a enfoui en eux des lambeaux

     de sentiments ;

elle va les réveiller de cette mort

     qui les tient,

et les voilà prêts à me chuchoter à l’oreille,

     dans le silence profond :

« Il ne reste plus un seul ami,

pour venir te visiter

     dans la nuit terne,

et la chambre a sa porte close. »

J’ai revêtu mes habits

     comme en un rêve

et je me suis faufilé dans la nuit :

viendra certainement à ma rencontre

     ma mère

dans cette terre des morts, là-bas, par ses enfants

     abandonnée.

Et elle me dira : « Où cours-tu ainsi

en cette nuit aveugle

     sans même un ami ?

tu as faim ? Veux-tu goûter avec moi

les caroubes du champ des morts ?

L’eau, tu l’aspireras à brèves gorgées

     du sein de la terre.

Ne vois-tu pas dans quel état sont tes habits ?

Prends donc ce bout de drap arraché

     à mon linceul !

C’est une étoffe que le temps même

     ne saurait user.

C’est Azril, l’Ange de la mort,

     qui l’a tissée

et viendrait-elle à se fatiguer

qu’il la raccommoderait ! Allons, viens-t’en

     chez moi dormir :

J’ai préparé une place dans ce lit

     profond

pour toi, qui m’est plus cher encore

     que le désir,

ce désir que les morts conservent du soleil

     et de l’onde paresseuse...

ce désir qui attend l’heure

où le chant du coq viendra sonner

     à tous les horizons

     au jour de la Résurrection ! »

Alors je m’en irai par les chemins du rêve

alors je marcherai vers l’ultime rencontre

     et celle qui viendra

     sera encore ma mère !

 

Traduit de l’arabe par René R. Khawam

in, « La poésie arabe des origines à nos jours »

Editions Phébus, 1995

Du même auteur :

Retour à Jaykour (24/02/2016)

Testament d’un agonisant (27/05/2017)

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