Jean – Pierre Faye (1925 - ) : Al Djezaïr
Al Djezaïr
Si la plaine est sabordée, et si
la rape prend sur la pierre
si le mur de chaux est lacéré
- la route aussi va rompre, les chemins
noués comme à l’épaule déchirée
épingle de blessure, liée
à l’angle et entre faim et geste
Jusqu’à l’avancement
de roc, lovant une femme
aux genoux enserrés
marquée de mains çà et là, marquée
de naissance et enserrée, tenue mais non prise
à peine arable, et comme
venue aux mains avec la pierre
Nous n’avons pas ses mots. Le sol
manque, égorge les vergers
après avoir suivi les pentes, du côté du soir
qui dorait les visages, taisait les bouches
longeait le retour des mains mêlées
attachait l’ombre, ici, agrafait l’arbre
les branches, la main trop simple
- cela qui ne sera pas rendu. Où une nuit s’est faite
sans venir, inventée
avant cette décision de forme entre hanche et aisselle
ouverte, essartée avant l’odeur
de bras chargé, sachant tenir, voulant
prendre, et rompre par présence
Nous n’avons pas le soir
ni la parole, mais ce fouet de corde humide
ce poing pierreux
II
Surgi du ciment
giclé de prunelle
âpre grincement
remordu à belles
soifs vives sarments
ou buissons – sans elles
tu vis vainement
l’épine irréelle
la pointe sans peine
la bombe et le blé
le béton perdu
éclaté près du
blockhaus ensablé
sans lieu sans haleine
III
Le chemin noir vers l’eau retrouvée
s’éteint et plie, retourne
au sol roux de bruyère
longuement la saveur cassée du bois
serrée de nœuds, cordée
de sécheresse. Nos mains étendues
touchent le bruit de feuille froissée
Les images roulent, gréseuses, se font choses
dans la pente sonore, bondissantes
où le pan d’ajoncs se tache de vert
brûlé de grisaille. La pierre taille un seuil
dans l’arête massive et le fouillis de fougère
reprise par l’heure, retirée
à la ligne dure du soir
défaisant les villes, jonchant le grain des boutiques
à l’instant qui trace des visages
les yeux rocheux et gris d’enfants, bleuissant
les bouches retracées, les corps longuement aimés
les muscles mûrs et chauds, les musiques rompues
comme un tendon soudain s’arrache à l’os
- chaleur lentement traversée
jusqu’à ce fond d’eau qui manque et ruisselle
sourdant sur la brisure
Ainsi dans une poche, serré doucement, un caillou poli
IV
Vivante brûlé et faite chair
Chair faisant abruptement femme
Trempée vive de terre et de fer
Donnée durement à une
Lutte nue de gorge et de lame
Aux creux des fosses communes
Lourde de mains liée à la roue
Paumes rivées à la jante
Au moyeu de visage et de boue
Qui tourne immobile attend
L’arrachement brut de la descente
Jusqu’à l’eau liée au sang
Assemblée par qui te supplicie
Déchirant ce que tu donnes
Défaisant le sang qui te relie
Tes doigts retournés se brisent
Où la route tressaille et résonne
Où l’arête vive incise
Sang tourné au fil de la douleur
Tu romps et mêles l’argile
Façonnant la courbe de couleurs
Tordant la soie d’un sourire
Rouant la touffe de peur agile
Creusant ce qu’elle respire
Lourdement vineuse larguée
Où la pente traîne et tire
Jusqu’à l’aval violent sans le gué
Fleuve renversé,
GLM Editeur, 1959
Du même auteur :
« Le visage qui va… » (14/12/2016)
Partage des eaux (14/12/2017)
Droit de suite. I (14/12/2018)
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