Frik /Ֆրիկ (vers 1320 – vers 1310) : Requête
Requête
Dieu équitable, juste
et en tout plein de charité
j’ai matière à requête
si tu daignes m’écouter.
C’est chose surprenante
qui a lieu sur la terre,
cela prête à pensée
ce que l’on voit au monde.
En paradis était Adam,
et Eve, unique semblable,
on y parlait une seule langue
avant que fut mangé le fruit de l’arbre.
Or voici qui donne à penser
et qui surprend grandement,
que de l’un et l’autre
tant de peuples soient nés,
et pour chacun d’eux une langue.
Mais nous sommes livrés aux tyrans
qui nous tiennent en captivité :
Combien d’églises à détruire ?
Combien de mosquée à ériger ?
Combien de femmes sont rendues vides ?
Combien d’enfants, orphelins ?
Que de sang ont-ils versés ?
Que de crimes ont été commis.
Combien ce monde doit-il nous faire souffrir
et cette vie nous saigner ?
Et toi, tu permets tout cela,
et tu nous oublies dans la détresse.
Tu n’appelles pas de vengeance éclatante,
tu ne rends pas manifeste le mal,
et tu sais que nous sommes corps de chair,
et que nous ne sommes pas statues de fer.
Nous ne sommes pas roseaux ou herbe sauvage,
mais tu nous livres au feu
comme la broussaille des champs
ou les buissons des bois.
Tu te déchaines contre la nation d’Arménie
comme tu la fais contre les Israélites,
toute ta colère
vient s’abattre sur nous.
L’un s’habille de soie et de pourpre,
à l’autre manque même une chemise ;
l’un réussit en agissant mal,
l’autre échoue en faisant le bien.
Que l’un, aux dépens des pauvres s’enrichisse,
et l’autre s’appauvrit, perdant même ce qu’il a ;
que l’un soit surprenant de force,
l’autre, pusillanime et faible.
Tu fais des princes qui règnent sur les autres
comme sur des moutons, les loups.
Comme sur des lièvres, les fauves
ou sur les troupeaux entiers, les lions puissants.
Est-ce bien cela que tu as voulu ?
Tu as voulu qu’il y a ait petits et grands ?
Que les fortunés partout se pavanent ?
Et que les infortunés aient le cœur déchiré ?
Dis, où se trouve la fortune ?
Et où la trouve-t-on, la chance ?
Voici des ans que j’erre après elle,
avec l’espoir de la recueillir.
Traduit de l’arménien par Jean – Pierre Faye,
In, «Poésie arménienne, anthologie des origines à nos jours,
sous la direction de Rouben Melik »
Editeurs Français Réunis, 1973