Serge Meitinger (1951 - ) : Prose du lieu
Prose du lieu
La maîtrise dont l’oracle est à Delphes / ne
parle / ni ne crache / il fait signe /
Héraclite
/ l’amas de rochers / haras de croupes assoupies parmi les
fougères / le happement glauque de la mer / roulement fauve
des galets ressassés / et le vide s’écroulant des hauteurs dans le
cri vertigineux de la mouette plongeuse /
/ quelle épaisseur proche et impalpable me faut-il traverser
pour rejoindre le paysage familier / si étrange / pour atteindre
cette fuyante immutabilité / le recueillement des choses / leur
contingence muette / paysage flageolant comme chose soûle
de soi / dépaysante familiarité / ? /
/ et le ciel sur tout ça / au tonnerre insonore / tambour crevé /
/ tentation de circonscrire / de découper un espace absolu où
s’amasserait pour nous le tout du réel / enfin offert / exposé sur
la hauteur assignée du temple /
/défrichement d’un lieu commun / où l’homme joindrait enfin
les choses – mêmes / mais le temple n’est encore que le lieu de
l’intercesseur / qui fait signe vers l’impossible réalité / vers un
monde venant enfin à nous comme tel / déchiffrer / tâche
infinissable de la parole /
/ et la maisonnette là – haut du douanier / avec sa porte borgne /
s’arrogeant l’empire du roc verdoyant / s’impose à moi avec la
netteté d’un devoir incontournable /
La grande dorsale, Editions Bretagne, 1979