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Le bar à poèmes
18 novembre 2014

Roland Dubillard (1923 – 2011) : Le Peigne

19691_1[1]

Le Peigne

 

Il me faudrait trouver un peigne.

Je serais rivière, longue et sans nœuds,

Parallèle à moi-même et descendant

Librement, selon l'inclinaison des pentes,

Sans tourbillons, sans remous, toutes les fibres de mon eau en ordre

   vers le même océan, 

Et se serrant les coudes malgré tout, car c'est dur 

Pour une rivière de ne pas se laisser disperser : 

Ne faisant qu'une et m'allongeant.

 

Un peigne pour moi ! comme il y en a pour les chevelures ! 

Ici je ne suis pas longue, je suis petite comme un poing crispé, 

Comme une pomme d'arrosoir... 

Je suis nouée, les mèches de ma pluie, de mes cheveux se sont serrées

   dans tous les sens  enchevêtrées ; cette chevelure n'est plus qu'un nœud.

Dur, un chignon dur où chaque cheveu est une couleuvre qui étrangle tous

   ses autres cheveux en même temps qu'il est étranglé par eux;

Je suis nouée comme un caillou... existe-t-il des peignes aussi pour les cailloux ?

Tout, même les montagnes, même l'acier, tout n'a-t-il pas son peigne ?

Peigne ! qui redonne le désir ou l'envie d'aller encore loin,

Comme une police triant les voitures bloquées,

Qui stationnaient, — bouchon dans la bouteille —,

Et toutes, dans le même sens, ensemble elles repartent, et parallèlement.

Peigne ! Peigne ou râteau si le peigne est fragile !

Je veux bien, même, qu'on me filtre.

— Je ne suis plus qu'un nœud d'emmêlements,

Qui ne se souvient pas comment c'est arrivé ni comment dénouer ni comment

On fait pour disparaître et s'éloigner de soi.

Avant, tous les fils de laine, chacun pour soi

Suivaient le cours du même fleuve...

Pourquoi ce nœud soudain ? Pourquoi soudain chacun des fils

devient le piège de lui-même et des autres fils ?

 

Il faudrait tomber régulièrement comme ces pluies que vous connaissez 

Le plus verticalement qu'il se puisse, de sorte que les trains de gouttes ne

   se mélangent pas, 

C'est-à-dire il faudrait reprendre l'école au niveau où l'on fait des bâtons, 

Et s'en tenir alors à ce qu'on sait, dire que c'est suffisant, ou alors pourquoi

   nous avons appris à faire des bâtons. 

Il faudrait s'en tenir à faire comme nos cheveux qui, à force de descendre le

   long du cou jusqu'aux genoux.

Un beau jour tombent pour de bon, et c'est alors que l'homme apprend à se

   passer des peignes,

Les peignes faits de petits bâtons qui ne tombent pas. 

     Un peigne est une photo de la pluie.

 

 

La Boîte à outils.

Editions L’Arbalète, 1985

 

Du même auteur :

C’est arrivé à moi  (14/04/2016)

Si le bruit recommence (10/12/2017)

 

La rencontre (10/12/2018)

 

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