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Le bar à poèmes
14 avril 2016

Roland Dubillard (1923 – 2011) : C’est arrivé à moi

media[1]

 

C’est arrivé à moi

 

Une étrange

fille, tout à fait l’envers

d’une autre  qui était

venue un jour et ne s’en allait pas ;

une fille offrant d’abord

ce que l’autre ne m’avait

donné qu’en suite ;

achetant les boîtes pour leur couvercle

et réservant pour dans longtemps

le plaisir de se découvrir ensemble, par exemple,

à la même fumée deux cigarettes différentes ;

ronde vers le dehors et satisfaite

comme de fournir des fruits,

tandis que l’autre était creuse et secrète

comme d’aimer manger des coquillages.

 

Je n’ai pas reconnu tout de suite

qu’elles pouvaient l’une et l’autre toucher

d’un doigt semblable un cercle de même rayon ;

et l’une et l’autre se toucher

à travers des fenêtres semblables.

J’avais déjà beaucoup à faire

à ne pas me tromper d’œil pour les voir

et à les toucher sans colère l’une après l’autre

comme les seins d’une troisième qui semblait

me venir d’elles par moments.

 

Etais-je seul dans leur pensée

et dans leurs quatre mains à la manière des pianos ?

 

Les vêtements que l’une m’enlevait

étaient ceux-là dont au même instant je sentais

l’autre me vêtir.

 

Elles s’en sont allées, la perle de l’une à l’oreille de l’autre

et inversement,

tandis que je voyais mes mains faire deux ombres

sur une seule table avec un seul soleil.

 

Je dirai que je suis tombé

Editions Gallimard,1966

Du même auteur :

Le  Peigne (18/11/2014)

Si le bruit recommence (10/12/2017)

La rencontre (10/12/2018)

 

 

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