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Le bar à poèmes
1 septembre 2014

Edouard Glissant (1928 – 2011) : Laves

glissant[1]

Laves

 

ELEMENTS

 

     Soleils éteints dans les cheveux du vrai soleil ! Je retrouverai une santé de

fruits en flammes.

 

     Voici les affiches noueuses, sur les arbres, nourries de feuilles. De chair, les

animaux me sont amis. Les fleuves passent à travers moi vers la transparence

des terres me voilà

     Dans cette rosée à l’infini que les jeunes filles tissent sur leur visage pour

annoncer l’amour Dans cette rumeur que les boucaniers trament sur les

clairières Dans ce foisonnement de soleils que distribue l’arrosoir des arbres

C’est moi la rivière de la roche impassible et dans son sein l’ardeur de la terre

     La foudre la main qui caresse l’éclair la main qui offre c’est nous J’ai tenu

dans mes doigts le poil hirsute des nuits Je ne dors plus la tête à la pointe des

lances Je ne vis plus aux cayes près des caïmans laveurs d’eau fraîche J’étudie

le sable et le ciel est contre moi, ses yeux glauques Les ombres me sont hostiles

Rien moins qu’une splendeur La fonte des eaux et l’aride hennissement des

algues.

 

 

*

 

     Vous, qui avez noué la sarabande et le vertige des forêts. A goulées franches

dans ta forêt d’astres tu dresses le bûcher des nuits Dans ta forêt les orgues (ma

vie inconnue) des feux de salve du jour. A goulées pleines, la terre surgie

imminente, par-delà les eaux respirables du poème tu joues le soleil, tu gagnes.

Dormir au fleuve bêcher le silence Laisse tes mains dans les buissons

atlantiques Entre les mornes que juillet soudainement éclate ô liberté des

larmes dans la terre parmi les arbres réconciliés Et par le cran d’arrêt de la

logique suspendue.

 

*

     C’est un pays qui bat des hanches contre l’aveuglement Races races flèches

des cannes sagaies Je neige et gèle sous le tambourin des baobabs

     Ce que d’autres écrivent

     En étoiles capitales

     je le sens qui rumine sa floraison doucement étale entre mes bras ses

boussoles multipliées. Les oiseaux flèches vers la soif écrasée des volcans. Tel

qui coud le silence de fil blanc n’a droit au tournoi ivre. Je dis que la poésie est

chair.

 

*

     Et aussi, râpant de son unique dent (d’orage de sang de larme) la grand’

lèche de l’acceptation. Une mâchoire de sables de déserts de brousse, que

l’autre soit d’astres de pollens : qu’il y jette les étoiles, les cous brisés le fouet

le maître qui sépulcre et les cannes qui sifflent l’attente et la douleur et le sang,

sa poésie et son boucan de poésie. Comme, parfilant d’inouïs étages tropicaux,

la noire brèche sous le vent. Ecoute,   

     accoudé au silence

     les barrissements.

     Il y a une rosée de galères dans les prairies de sel marin Dans la sève

l’étincellement J’ai décanté l’eau verte l’eau rouge, récolté assassins les

cannes et les couis A boire Le soleil est une lanterne visée abattue Splendeurs,

voyageurs de l’écume !

     Ma maison tressée en défi vers la foudre, de joncs échappés des

hougans d’octobre, ma maison ma maison de cristal marin longue muraille

d’Amérique. Le rebelle mis à l’index pour enseigner aux enfants qu’il n’y a

qu’un doigt dans la main. Je brasse la fougère des vagues. Mon réveil est de

chien traînant sa niche sous les ponts.

     L’errance prise au piège, désuète

     quand quand et quand les cloches

     décharnées de l’inaudible ?

 

*

     Et aussi, râpant de son unique dent (d’orage de sang de larme) la grand’

lèche de l’acceptation. Une mâchoire de sables de déserts de brousse, que

l’autre soit d’astres de pollens : qu’il y jette les étoiles, les cous brisés le fouet

le maître qui sépulcre et les cannes qui sifflent l’attente et la douleur et le sang,

sa poésie et son boucan de poésie. Comme, parfilant d’inouïs étages tropicaux,

la noire brèche sous le vent. Ecoute,

     accoudé au silence

     les barrissements.

     Il y a une rosée de galères dans les prairies de sel marin Dans la sève

l’étincellement J’ai décanté l’eau verte l’eau rouge, récolté assassins les

cannes et les couis A boire Le soleil est une lanterne visée abattue Splendeurs,

voyageurs de l’écume !

     Ma maison tressée en défi vers la foudre, de joncs échappés des

hougans d’octobre, ma maison ma maison de cristal marin longue muraille

d’Amérique. Le rebelle mis à l’index pour enseigner aux enfants qu’il n’y a

qu’un doigt dans la main. Je brasse la fougère des vagues. Mon réveil est de

chien traînant sa niche sous les ponts.

     L’errance prise au piège, désuète

     quand quand et quand les cloches

     décharnées de l’inaudible ?

 

*

     La forêt subitement hurle à la vie. Les étoiles, rôdeuses, envahissent les

Ecluses. Vivante ô vivante, reine. Tes pieds vont le chemin, manguiers

abandonnés. Ta peau retournée est un labour rouge. Vivante,

     ô vivante mon matin de prairie, toi ma nuit de prairie violée au combat des

taureaux. Tu as glissé dans l’eau les halètements de ta silhouette coupée de

verre. Au gué la plage noire le sable noir des caresses. Dans l’astre bel astre de

tes mains. Tranquille battue d’aurores dans la nef incendiée de tes rêves, et ta

voix de splendeur clamée, d’ivraie mêlée à l’ivraie : je suspends l’orage au

reposoir de tes lèvres ! 

     Ah soudain

     la peur d’être deux

     dans ta beauté ! 

    L’éclair de toi la chevelure des neiges l’éclair de toi air et amour entrelacés.

Toi serpente et labourée. Moi écume de tes pas.

 

*

     Ainsi, je fus, colonie d’enfants martyrs de chiens trouvés de squales non

convertis. Ô la souffrance, ce battement du vent dans les rues. La pauvreté est

ignorance de la terre, l’imaginé est passion.

     Mais nul crépitement, nul soleil, depuis que la seule bouche ouverte de

l’homme attend. Passons à d’autres continents.

     Pierre vibrée    

     Homme saccagé vif, labour

     Orage maculé ô

     pour toi je suis sang, merveilleux calice. Racines, racines, je n’en finirai pas

de tirer sur vos mamelles fécondes.

 

     Le feu choisit cette vague que je croyais la dernière pour me cerner à son

tour.

 

L'AIR NOURRICIER

 

 

     Dans la trappe de l’horizon la serre à dénouer l’enfance la mystérieuse

     L’homme se saoule de ma cruauté blanche tel que j’occupe tel qui me tend

son visage de crue lente celui qui m’alloue ses villes ou simplement son agonie

me font plus beau que l’apparition des larmes dans la vallée plus beau que la

vallée pleureuse entre les trois coups de lambi de la mort je suis dans la tour de

silence comme un oiseau blanc

 

     De mers en mers par la douceur de l’azote reconduit aux portes de l’eau

beau visiteur

     La mousse des pluies délicate l’agrégation des rosées

     Rien que moi les volcans vers moi drainent leurs mamelles sanglantes

ouvertes pourquoi

     sinon que j’arrive dans moi air fécondé d’air de torture d’oblique

continuation

 

     et je rampe en un retomber d’aurores de midis plus loin mes frères morts

contre les étoiles mortes (dans l’espace les lambeaux de vos chairs) vous mâles

femelles et perméables et semblables et dissemblables

 

     Vous mers dans vos mains tant d’essais de naufrages vous hommes vous

serpents vous villes piétez dans les entrailles de la terre ne me sillonnez pas de

vos phares

     Vers l’espace j’irrue mondes mondes

 

     Le vide est bol fumant un matin de rapine

     Le vide voleur ô vivre à sa gorge

     Volée de moineaux dans la rivière narquoise

     A mes épaules à mes flancs un jour

     Cessera la terre de tourner dans la prison qu’elle me dit.

 

*

       Et vous aurez beau faire, capitaine, la gymnastique de vos fers rouges sur

mes lèvres ne me forcera pas vers ce pain marqué de l’escompte de ma chair,

     La pluie vous tient entre les îles, négriers chercheurs d’Atlantique, tant

d’orages bravés à nous garder un peu de l’air putride de vos barques

     la pluie gardeuse de secrets m’odore de chanson insensible sur le dos la

fougère des pluies sur les mains les toiles noueuses des pluies contre la zébrure

les pieds brûlés la mer trop complice

 

     Par les souterrains qu’illuminent les sèves et l’œil va fouillant par les rues

étoilées aux racines brûlées de sève

     Je l’attends foreuse des eaux de mares veloutée sous les eaux qui éclate sa

lumière aux naseaux des mulets, leurs oreilles dressées vers elle pluie et soleil

réunis

 

     Je n’ai plus corps que libre pour la pluie des rencontres sous terre ô pluie

des cratères marqués de verdure

     Labourant parmi moi ses mondes.

 

*

     Les sensitives ont clos sous l’aile des moineaux la pulpe des rivières

     Pour une fois magister je concilie les soleils insistants la blancheur des rues

     Ô chanteurs  bloqués dans les assauts de l’air, vous, étoiles jetées aux

chanteurs

 

     J’entends par la montagne aux cavernes sensibles (narines et ouïes)

j’entends les parfums métalliques les mendiances solennelles

     L’aveugle mange son pain, l’arbre s’appuie sur son double

 

     Parce que beau le poème imposé à l’heure tardive les socs des coups de

chaleur dans la jachère des nuques

     Les milliards d’étoiles du mancenillier lait bouillant dans la fraîcheur des

yeux.

 

 

 

Le sang rivé (1947 – 1954),

Editions Présence africaine, 1961

 

Du même auteur :

Le premier jour  (01/09/2015)

L’œil dérobé (01/09/2016)

Versets (01/09/2017)

Pays (01/09/2018)

Le grand midi (01/09/2019)

Saison unique (01/09/2020) 

Saisons (01/09/2021)

Miroirs / Givres (01/09/2022)

Afrique (01/09/2023)

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