Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
17 mars 2024

Thibaud de Champagne (1201 – 1253) : « Douce dame, toute autre pensée... »

 

Douce dame, toute autre pensée,

Quand pense à vous, oublie en mon courage,

Dès que vous vis des yeux premièrement

Depuis Amour ne fut pour moi sauvage,

Mais m’a plus torturé qu’auparavant,

Pour ce, vois bien que guérison n’attends,

     Qui me soulage

     Fors seul de vous regarder

     Des yeux du cœur en penser.

 

Si je ne puis vers vous aller souvent

Ne vous plaignez, belle, courtoise et sage,

Car je redoute fort les males gens

Qui, devinant, auront fait maints dommages ;

Et si je fais d’aimer ailleurs semblant,

Sachez que c’est sans cœur et sans talent,

     De ce n’en doutez ;

     Et s’il vous devait peser,

     De suite, je renoncerai.

 

Sans vous ne puis, dame, ni je ne quiers,

Ni ja d’autrui Dieu ne me donne mes joies !

Car j’aime mieux être en votre danger

Et souffrir mal, que d’autre, bien, avoir.

Ah ! si bel œil riant à l’accointer

Qui me fit tellement mon cœur changer ;

     Et moi, qui soulais

     Blâmer, dédaigner amour,

     Or en sens mortelle douleur.

 

Si grand beauté qui se peut accointer

A courtois sens, que son gent corps octroie,

Ja la fit Dieu pour faire émerveiller

Tous ceux à qui elle veut faire joie.

Nulle outrance, dame, je ne vous quiers

Fors seulement que vous daignez cuider

     Que vôtre suis ;

     Moult me serait grand secours

     En espérance d’amour.

 

Ja rien ne lui vis qui ne m’ait navré

D’un corps profond de sa très douce lance :

Front, bouche et nez, yeux, vis frais coloré,

Mains, tête et corps et belle contenance.

Ma douce dame, et quand les reverrai,

Mes ennemis, qui si fort m’ont grevé

     Par leur puissance

     Que jamais on ne vit

     Tant aimer des ennemis ?

 

Chanson, va-t-en vers celle que bien sais

Et dis-lui qu’avec crainte ai chanté

     Et en doutance ;

     Mais juste est que fin ami

     Soif à sa dame attentif.

 

 

Traduction de France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Pierre Seghers, 1960

Du même auteur :

« Je pensais me séparer... » / « Je me cuidoie partir... » (17/03/2022)

« De tous les maux nul n’est plaisant... » / « De touz maus n’est nus plesanz... » (17/03/2023)

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité