Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
17 mars 2022

Thibaud de Champagne (1201 – 1253) : « Je pensais me séparer... » / « Je me cuidoie partir... »

troubadour_satire_poesie_satirique_sirventes_monde_medieval_thibaut_le_chansonnier[1]

 

I

Je pensais me séparer

D’Amour, mais n’en ai pas la force ;

Les doux maux du souvenir,

Qui nuit et jour ne me manquent,

Le jour me donnent maint assaut

Et la nuit je ne puis dormir,

Mais je me plains, et pleure, et soupire.

Dieu ! je brûle tant que je la regarde,

Mais je sais bien qu’elle n’en a cure.

 

II

Nul ne doit Amour trahir

Hormis goujat et ribaud ;

Et en dehors de son bon plaisir

Tout le reste est égal ;

Mais je veux qu’elle me trouve beau

Sans tromper ni mentir ;

En revanche si je puis rattraper

Le cerf, qui si bien peut fuir,

Nul n’a plus de joie que Thibaud.

 

III

Le cerf aime l’aventure,

Il est blanc comme neige

Et ses cheveux en tresses

Sont plus blonds qu’or d’Espagne.

Le cerf est dans une réserve

Dont l’entrée est fort périlleuse.

Aussi est-il à l’abri des loups :

Ce sont les traîtres envieux

Qui sont le fléau des amants courtois.

 

IV

Mais ni chevalier dans le tourment

Qui a perdu son équipement,

Ni village que brûle le feu

Et maisons, vignes, blés et bois,

Ni chasseur qui prend soif,

Ni loup qui meurt de faim

Ne sont plus valeureux que moi,

Car je crains d’être de ceux

Qui aiment contre leur gré.

 

V

Dame, je ne vous demande qu’une chose :

Pensez-vous que ce soit péché

De tuer celui qui vous aime en vérité ?

Oui, vraiment ! Sachez-le bien !

Si cela vous plaît, alors tuez-moi,

Car je veux et y consens,

Et s’y vous me préférez vivant,

je vous le dis devant témoins,

J’en serai bien plus heureux.

 

VI

Dame, qui n’a pas de rivale,

Veuillez si peu que ce soit

M’accorder pitié !

 

VII

Renaud, Philippe, Laurent,

Ils sont maintenant cruels les mots

Qui doivent vous faire sourire.

 

Traduction de Suzanne Julliard

In, « Anthologie de la poésie française »

Editions De Fallois, 2002

Du même auteur : 

« De tous les maux nul n’est plaisant... » / « De touz maus n’est nus plesanz... » (17/03/2023)

« Douce dame, toute autre pensée... » (17/03/2024)

 

 

I

Je me cuidoie partir

D’Amors, mes riens ne me vaut,

Li douz maus du souvenir,

Qui nuit et jor ne m’i faut,

Le jor m’i fet maint assaut,

Et la nuit ne puis dormir,

Ainz plain et pleur et souspir.

Deus ! tant art quant la remir,

Mes bien sai qu’il ne l’en chaut.

 

II

Nus ne doit Amors traïr

Fors que garçon et ribaut ;

Et, se n’est pas son plesir,

Je n’i voi ne bas ne haut ;

Ainz vueil qu’ele me truist baut

Sanz guiler et sanz mentir ;

Mes se je puis consivir

Le cerf, qui tant puet fouir,

Nus n’est joianz a Thiebaut.

 

III

Li cers est aventureus

Et si est blans conme nois

Et si a les crins andeus

Plus sors que or espanois.

Li cers est en un défois

A l’entrer mult perilleus

Et si est gardez de leus :

Ce sont felon envïeus

Qui trop grievent aus cortois.

 

IV

Ainz chevaliers angoisseus

Qui a perdu son hernois,

Ne vile que art li feus

Mesons, vignes, blez et pois,

Ne chacierres qui prent sois,

Ne leus qui est fameilleus

N’est avers moi dolereus,

Que je ne soie de ceus

Qui aiment deseur leur pois.

 

V

Dame, une riens vous demant :

Cuidiez vous que soit pechiez

D’ocirre son vrai amant ?

Oïl, voir ! bien le sachiez !

S’il vos plest, si m’ocïez,

Que je le vueil et creant,

Et se melz m’amez vivant,

Je le vos di en oiant,

Mult en seroie plus liez.

 

VI

Dame, ou nule ne se prent,

Mes que vos vueilliez itant

C’un pou i vaille pitiez !

 

VII

Renaut, Phelippe, Lorent,

Mult sont or li mot sanglent

Dont couvient que vos rïez.

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité