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Le bar à poèmes
24 août 2023

André Verdet (1913 - 2004) : Amour d’amour

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Amour d’amour

 

I

          La beauté est parfois

          Poignante à regarder

          Lorsque parée de mystère

          Eclairée de savoir

          Elle pose en silence

          Un doigt levé sur les lèvres

          Comme s’il lui fallait

          Une distance tenir

          Entre elle et nous

          Entre elle et la mort

II

          Nervurée de caresses

          Incrustée de baisers

          Rompue disjointe

          Comme un miroir d’eau

          Jonché de pétales

          Ainsi je te voyais

          Dormir dans la litière

          De nos désirs comblés

          En songeant au destin

          Des roses du jardin

          Sous les feux de l’été

          Du matin finissant

 

III

          Je te sais et je te lis par cœur

          Je te nomme et je t’épelle

          Tes yeux sont mes voyelles

          Et tes lèvres mes consonnes

 

          Je vais là où tu vas

          Mes pieds se posent au même endroit

          Et toi dont l’amour est égal

          Tu viens là où je suis

 

          Tous les obstacles sont franchis

          Il n’y a plus de détour

          Il n’y a plus de frontière

          Jamais plus nous ne nous perdrons

          Malgré l’absence inéluctable

 

          Si tes matins sont mes matins

          Tes nuits se fondent à mes nuits

          Midi minuit le point est fait

          Toujours l’aiguille au beau mouvant

          Malgré tristesses très profondes

          Malgré cela qui se déchire

          Et qui fait mal

 

          Ô simplicité fastueuse

          Ô quotidien miracle

          Me voici toi te voici moi

          Nous voilà tous deux ensemble

          Et pourtant libres de nous-mêmes

 

          Libres libres ô si libres

          De nous conduire où nous voulons

          Serions-nous l’un et l’autre

          Au bout de pôles opposés

 

IV

Ton regard me saisit à l’éclat d’un mirage

Comme s’efface en rêve une féerie d’univers

Tes yeux me chaviraient vers un ailleurs d’étoiles

Galaxies en repos couvrant leur devenir

 

Tes yeux me chaviraient vers un ailleurs de mondes

Jaillis de quelle extase et de quel strict paysage

Où le ciel et la mer sont joints à l’infini

Sans que nul continent ne trouble l’harmonie

 

Seule cette île haute aux rivages accores

Pur polyèdre sommé de cristal aveuglant

Tout d’azur innervé et d’immobile vent

 

Elle attend qu’affronté rejaillisse le feu

Eclairs et foudroiements ravageant l’étendue

Dévorant le silence et proclamant sur l’eau

La conjuration renaissante des astres

Le retour des cycles fous et de leurs saisons

 

Ton regard me saisit à l’éclat d’un mirage

Comme s’efface en rêve une féerie d’univers

Lorsque tu te replies au-dedans de l’extase

Et me laisse sevré d’espace et d’infini

 

V

 

          Lointain pays de tes yeux

          Où futur et passé se confondent

          Où mers et ciels se conjuguent

          Pour faire éclore des îles

          Des archipels d’espace

          Tout habillés d’appels

          De signes et d’échos

          Frangés de nostalgie

 

          Lointain pays de tes yeux

          Où l’énigme se révèle

          De cette part égarée

          Mais vierge de l’innocence

          Et qui parfois affleure

          Dans le regard triste des bêtes

          Battues et solitaires

          Aux approches de la mort

 

          Lointain pays de tes yeux

          Où ma patience se déroule

          Par des voies hasardeuses

          Lointain pays de tes yeux

          Où mon histoire se réverbère

          Sur des miroirs trompeurs

          Et qu’il me faut assumer

          Du seul fait que je t’aime

 

VI

          Silencieusement en foule

          Vous crevez la toile de fond

          Et la flamme de vos regards

          Eclaire un sombre corridor

 

          Je vous salue resplendissantes

          Rosaces de l’altier vitrail

          Immobiles en votre course

          Aucune à nulle autre pareille

          Et pourtant vous vous rassemblez

          En un seul et même visage

 

          Je vous retrouve et je vous perds

          Je vous enserre et vous fuyez

          Si je vous fuis vous revenez

          Seul de vos ailes un duvet

          Restait parfois entre mes doigts

          Trop impalpable à mon toucher

 

          Pour mon plaisir et pour le vôtre

          J’ai parcouru mainte contrée

          Géographie de votre corps

          Je fus curieux naïf rusé

          Vous m’appeliez et j’accourais

 

          Après l’étreinte les baisers

          Je ne trouvais qu’un souvenir

          Très loin perdu dans ma mémoire

          Où l’avenir et le passé

          Se conjuraient pour qui trahir

 

          Vous m’appeliez sur un bel air

          De belle fête ou de tristesse

          Or jamais dupe je ne fus

          Ne voyiez-vous mon ironie

          Etinceler sous mon sourire

 

          Au vrai ce soir je me résigne

          Et je vous dis Adieu Adieu

 

          Si par hasard l’une de vous

          Plus résolue poussait la porte

          Je me tairai m’effacerai

          Je deviendrai moi-même une ombre

          Peut-être même je rirai

          Sans savoir de joie ou de peine

          A voir l’autre ombre déroutée

 

          Or j’aurai dit vraiment Adieu

          A majuscule et point final

 

VII

          Déchirure de ce terme

          Et nos regards qui se voudraient

          Toujours amis mais déjà

          Si loin si loin pourtant si proches

 

          D’un verdict sans appel

          Alors que fabuleuse

          Une somme d’amour

          Restait à investir

          Au plus riche de nous

 

          Or ce baiser autant

          Refusé que donné

          Demeurera sur mes lèvres

          Quand une autre viendrait

          M’apporter le beau leurre

          D’une trêve apaisante

          A cet instant où joie

          Et chagrin se pénètrent

          Confondus dans l’acmé

          Silence de nos lèvres

          Au joint de l’extase

 

          Sentir en nous s’apaiser

          Le ressac des mers et océans

          Goûter sans dire

          La trêve des gouffres

          Le repos des volcans

 

          A l’arrêt

          Une comète nous fixe

          Apaisée

 

VIII

          Quel est l’amour dont tu me parles

          Avec une larme dans la gorge

          Puis une étoile dans les yeux

 

          Ô si seul si solitaire amour

          Qu’il se dérobe fuit s’efface

          Si nous voulons le retenir

          Par un des pans de sa tunique

 

         Mais l’avons-nous en vérité

          Jamais saisi et retenu

          Quand il s’offrait à nos lèvres

          Farouche au sein de nos baisers

 

          Ô si seul si solitaire amour

          Qu’il se profile comme hors des âges

          Mais son aura parfois nous nimbe

          Comme si toi et moi étions élus

          Dans la buée d’une tendresse

 

          Amour si fier inaccessible

          Pourtant bien là et si fidèle

          Qu’il renaîtrait intact de l’ombre

          D’un univers en perdition

          Qu’il renaîtrait pour nous offrir          

          Pour nous offrir ultime chance

          Ultime chance de salut

 

          Plus seul encore si solitaire

          Que même un dieu s’il en était

          Se sentirait désemparé

 

          Désemparé plus que nous-mêmes

          Devant amour qui nous dépasse

          Et désempare nos espoirs

 

          Amour d’amour dans un espace

          Inexprimable inexprimé

          A en croire follement que

          Cet espace le retiendrait

          Pour un seul rêve inachevé

 

          Amour si seul si solitaire

          Dont faim et soif jamais s’étanchent

          Et qui d’avoir tant prodigué

          Guère de nous n’espère plus

          Que quelques bribes de regret

 

          De nous qui l’espérons encore

          Quand tout paraît nous déserter

          Nous signifier qu’il n’est plus rien

          Qu’un horizon morne et muet

          Et qu’un ciel vide et sans retour

 

          Ô seul amour de notre amour

          Amour d’amour

 

In, revue « Poésie 1/vagabondages, N°23, septembre 2000 »

Le cherche midi éditeur, 2000

Du même auteur : Tu me disais (15/09/2018)

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