André Verdet (1913 - 2004) : Amour d’amour
Amour d’amour
I
La beauté est parfois
Poignante à regarder
Lorsque parée de mystère
Eclairée de savoir
Elle pose en silence
Un doigt levé sur les lèvres
Comme s’il lui fallait
Une distance tenir
Entre elle et nous
Entre elle et la mort
II
Nervurée de caresses
Incrustée de baisers
Rompue disjointe
Comme un miroir d’eau
Jonché de pétales
Ainsi je te voyais
Dormir dans la litière
De nos désirs comblés
En songeant au destin
Des roses du jardin
Sous les feux de l’été
Du matin finissant
III
Je te sais et je te lis par cœur
Je te nomme et je t’épelle
Tes yeux sont mes voyelles
Et tes lèvres mes consonnes
Je vais là où tu vas
Mes pieds se posent au même endroit
Et toi dont l’amour est égal
Tu viens là où je suis
Tous les obstacles sont franchis
Il n’y a plus de détour
Il n’y a plus de frontière
Jamais plus nous ne nous perdrons
Malgré l’absence inéluctable
Si tes matins sont mes matins
Tes nuits se fondent à mes nuits
Midi minuit le point est fait
Toujours l’aiguille au beau mouvant
Malgré tristesses très profondes
Malgré cela qui se déchire
Et qui fait mal
Ô simplicité fastueuse
Ô quotidien miracle
Me voici toi te voici moi
Nous voilà tous deux ensemble
Et pourtant libres de nous-mêmes
Libres libres ô si libres
De nous conduire où nous voulons
Serions-nous l’un et l’autre
Au bout de pôles opposés
IV
Ton regard me saisit à l’éclat d’un mirage
Comme s’efface en rêve une féerie d’univers
Tes yeux me chaviraient vers un ailleurs d’étoiles
Galaxies en repos couvrant leur devenir
Tes yeux me chaviraient vers un ailleurs de mondes
Jaillis de quelle extase et de quel strict paysage
Où le ciel et la mer sont joints à l’infini
Sans que nul continent ne trouble l’harmonie
Seule cette île haute aux rivages accores
Pur polyèdre sommé de cristal aveuglant
Tout d’azur innervé et d’immobile vent
Elle attend qu’affronté rejaillisse le feu
Eclairs et foudroiements ravageant l’étendue
Dévorant le silence et proclamant sur l’eau
La conjuration renaissante des astres
Le retour des cycles fous et de leurs saisons
Ton regard me saisit à l’éclat d’un mirage
Comme s’efface en rêve une féerie d’univers
Lorsque tu te replies au-dedans de l’extase
Et me laisse sevré d’espace et d’infini
V
Lointain pays de tes yeux
Où futur et passé se confondent
Où mers et ciels se conjuguent
Pour faire éclore des îles
Des archipels d’espace
Tout habillés d’appels
De signes et d’échos
Frangés de nostalgie
Lointain pays de tes yeux
Où l’énigme se révèle
De cette part égarée
Mais vierge de l’innocence
Et qui parfois affleure
Dans le regard triste des bêtes
Battues et solitaires
Aux approches de la mort
Lointain pays de tes yeux
Où ma patience se déroule
Par des voies hasardeuses
Lointain pays de tes yeux
Où mon histoire se réverbère
Sur des miroirs trompeurs
Et qu’il me faut assumer
Du seul fait que je t’aime
VI
Silencieusement en foule
Vous crevez la toile de fond
Et la flamme de vos regards
Eclaire un sombre corridor
Je vous salue resplendissantes
Rosaces de l’altier vitrail
Immobiles en votre course
Aucune à nulle autre pareille
Et pourtant vous vous rassemblez
En un seul et même visage
Je vous retrouve et je vous perds
Je vous enserre et vous fuyez
Si je vous fuis vous revenez
Seul de vos ailes un duvet
Restait parfois entre mes doigts
Trop impalpable à mon toucher
Pour mon plaisir et pour le vôtre
J’ai parcouru mainte contrée
Géographie de votre corps
Je fus curieux naïf rusé
Vous m’appeliez et j’accourais
Après l’étreinte les baisers
Je ne trouvais qu’un souvenir
Très loin perdu dans ma mémoire
Où l’avenir et le passé
Se conjuraient pour qui trahir
Vous m’appeliez sur un bel air
De belle fête ou de tristesse
Or jamais dupe je ne fus
Ne voyiez-vous mon ironie
Etinceler sous mon sourire
Au vrai ce soir je me résigne
Et je vous dis Adieu Adieu
Si par hasard l’une de vous
Plus résolue poussait la porte
Je me tairai m’effacerai
Je deviendrai moi-même une ombre
Peut-être même je rirai
Sans savoir de joie ou de peine
A voir l’autre ombre déroutée
Or j’aurai dit vraiment Adieu
A majuscule et point final
VII
Déchirure de ce terme
Et nos regards qui se voudraient
Toujours amis mais déjà
Si loin si loin pourtant si proches
D’un verdict sans appel
Alors que fabuleuse
Une somme d’amour
Restait à investir
Au plus riche de nous
Or ce baiser autant
Refusé que donné
Demeurera sur mes lèvres
Quand une autre viendrait
M’apporter le beau leurre
D’une trêve apaisante
A cet instant où joie
Et chagrin se pénètrent
Confondus dans l’acmé
Silence de nos lèvres
Au joint de l’extase
Sentir en nous s’apaiser
Le ressac des mers et océans
Goûter sans dire
La trêve des gouffres
Le repos des volcans
A l’arrêt
Une comète nous fixe
Apaisée
VIII
Quel est l’amour dont tu me parles
Avec une larme dans la gorge
Puis une étoile dans les yeux
Ô si seul si solitaire amour
Qu’il se dérobe fuit s’efface
Si nous voulons le retenir
Par un des pans de sa tunique
Mais l’avons-nous en vérité
Jamais saisi et retenu
Quand il s’offrait à nos lèvres
Farouche au sein de nos baisers
Ô si seul si solitaire amour
Qu’il se profile comme hors des âges
Mais son aura parfois nous nimbe
Comme si toi et moi étions élus
Dans la buée d’une tendresse
Amour si fier inaccessible
Pourtant bien là et si fidèle
Qu’il renaîtrait intact de l’ombre
D’un univers en perdition
Qu’il renaîtrait pour nous offrir
Pour nous offrir ultime chance
Ultime chance de salut
Plus seul encore si solitaire
Que même un dieu s’il en était
Se sentirait désemparé
Désemparé plus que nous-mêmes
Devant amour qui nous dépasse
Et désempare nos espoirs
Amour d’amour dans un espace
Inexprimable inexprimé
A en croire follement que
Cet espace le retiendrait
Pour un seul rêve inachevé
Amour si seul si solitaire
Dont faim et soif jamais s’étanchent
Et qui d’avoir tant prodigué
Guère de nous n’espère plus
Que quelques bribes de regret
De nous qui l’espérons encore
Quand tout paraît nous déserter
Nous signifier qu’il n’est plus rien
Qu’un horizon morne et muet
Et qu’un ciel vide et sans retour
Ô seul amour de notre amour
Amour d’amour
In, revue « Poésie 1/vagabondages, N°23, septembre 2000 »
Le cherche midi éditeur, 2000
Du même auteur : Tu me disais (15/09/2018)