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Le bar à poèmes
3 juillet 2023

Philippe Jaccottet (1925 – 2021) : Fin d’hiver

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Philippe Jaccottet à Paris en 1987. © FLORENCE PONCET

 

Fin D’hiver

 

Peu de chose, rien qui chasse

l’effroi de perdre l’espace

est laissé à l’âme errante

 

Mais peut-être, plus légère,

incertaine qu’elle dure,

est-elle celle qui chante

avec la voix la plus pure

les distances de la terre

*

Une semaison de larmes

sur le visage changé,

la scintillante saison

des rivières dérangées ;

chagrin qui creuse la terre

 

L’âge regarde la neige

s’éloigner sur les montagnes

*

Dans l’herbe à l’hiver survivant

ces ombres moins pesantes qu’elle,

de timides bois patients

sont la discrète, la fidèle,

 

l’encore imperceptible mort

 

Toujours dans le jour tournant

ce vol autour de nos corps

Toujours dans le champ du jour

ces tombes d’ardoise bleue

*

       Vérité, non vérité

       se résorbent en fumée

 

       Monde pas mieux abrité

       que la beauté trop aimée,

       passer en toi, c’est fêter

       de la poussière allumée

 

       Vérité, non vérité

       brillent, cendre parfumée

 

LUNE A L’AUBE D’ETE

 

Dans l’air de plus en plus clair

scintille encore cette larme

ou faible flamme dans du verre

quand du sommeil des montagnes

monte une vapeur dorée

 

Demeure ainsi suspendue

sur la balance de l’aube

entre la braise promise

et cette perle perdue

 

LUNE D’HIVER

 

     Pour entrer dans l’obscurité

     prends ce miroir où s’éteint

     un glacial incendie :

 

     atteint le centre de la nuit,

     tu n’y verras plus reflété

     qu’un baptême de brebis

*

  Jeunesse, je te consume

  avec ce bois qui fut vert

  dans la plus claire fumée

  qu’ait jamais l’air emportée

 

  Âme qui de peu t’effraies,

  la terre de fin d’hiver

  n’est que tombe d’abeilles

 

AU DERNIER QUART DE LA NUIT

 

Hors de la chambre de la belle

rose de braise, de baisers

le fuyant du doigt désignait

Orion, l’Ourse, l’Ombelle

à l’ombre qui l’accompagnait

 

Puis de nouveau dans la lumière,

par la lumière même usé,

à travers le jour vers la terre

cette course de tourterelles

*

     Là où la terre s’achève

     levée au plus près de l’air

     (dans la lumière où le rêve

     invisible de Dieu erre)

 

     entre pierre et songerie

 

     cette neige : hermine enfuie

*

Ô compagne du ténébreux

entends ce qu’écoute sa cendre

afin de mieux céder au feu :

 

les eaux abondantes descendre

aux degrés d’herbe et de roche

et les premiers oiseaux louer

la toujours plus longue journée

la lumière toujours plus proche

*

Dans l’enceinte du bois d’hiver

sans entrer tu peux t’emparer

de l’unique lumière due :

elle n’est pas ardent bûcher

ni lampe aux branches suspendue

 

Elle est le jour sur l’écorce

l’amour qui se dissémine

peut-être la clarté divine

à qui la hache donne force

 

 

Airs, poèmes (1961 – 1964)

Editions Gallimard, 1967

Du même auteur :

« … qu’est-ce qu’un lieu ? » (27/06/2014) 

 Oiseaux, fleurs et fruits (27/06/2015)

Oiseaux invisibles (27/06/2016)

Parler (03/07/2017)

« Dis encore cela... » (03/07/2018)

A la lumière d’hiver (03/07/2019)

Monde (03/07/2020)

Autres chants (03/07/2021)

Leçons (03/07/2022)

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