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Le bar à poèmes
10 février 2023

Octavio Paz (1914 - 1998) : La vie tout simplement / La vida sencilla

640px-Octavio_Paz_-_1988_Malmö[1]

 

La vie tout simplement

 

Appeler le pain par son nom - et que se pose

sur la nappe le pain de chaque jour ;

faire la part du feu, donner à nos rêves,

au bref paradis, à l’enfer,

au corps et à la minute ce qu’ils réclament ;

rire comme rit la mer, comme le vent rit,

sans que le rire sonne comme des bris de verre ;

boire et dans l’ivresse posséder la vie ;

danser sans perdre le tempo ;

toucher la main d’un inconnu

par un jour de pierre et d’agonie

et que cette main ait la fermeté

que n’eut pas la main de l’ami ;

passer par la solitude sans que le vinaigre

torde ma bouche, ni que le miroir

répète mes grimaces, ni que le silence

se hérisse dans un grincement de dents :

ces quatre murs – papier, plâtre,

tapis chiche, foyer jaunâtre –

ne sont pas encore l’enfer promis ;

que ne me blesse plus ce désir,

gelé par la peur, pluie froide,

brûlure des lèvres non embrassées :

l’eau claire jamais ne suspend son cours

et certains fruits tombent mûrs ;

savoir partager le pain – et le partage,

le pain d’une vérité commune à tous,

vérité du pain qui nourrit notre faim

(si je suis un homme, c’est par son levain,

un semblable parmi mes semblables) ;

lutter pour que vivent les vivants,

donner vie aux vivants, à la  vie,

et enterrer les morts et les oublier

comme la terre les oublie : comme des fruits...

et qu’à l’heure de la mort j’arrive

à mourir comme les hommes et que me soit donné

le pardon, et la vie perdurable

de la poussière, des fruits, de la poussière.

 

 

Traduit de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert

in, Octavio Paz : « Liberté sur parole »

Editions Gallimard, 1966

Du même auteur :

L’avant du commencement /Antes del Comienzo (17/01/2015)

Pierres de soleil / Piedra de sol (17/02/2016)

Hymne parmi les ruines / Himno entre ruinas (10/02/2017)

Source (10/02/2018)

« Même si la neige tombe... » (10/02/2019)

Elégie ininterrompue / Elegía interrumpida (10/02/2020)

Mise au net / Pasado en claro (10/02/2021)

Le temps même / El mismo tiempo (10/02/2022)

Réponse et réconciliation / Respuesta y reconciliación (12/02/2024)

 

La Vida sencilla

 

 

Llamar al pan y que aparezca

sobre el mantel el pan de cada día;

darle al sudor lo suyo y darle al sueño

y al breve paraíso y al infierno

y al cuerpo y al minuto lo que piden;

reír como el mar ríe, el viento ríe,

sin que la risa suene a vidrios rotos;

beber y en la embriaguez asir la vida,

bailar el baile sin perder el paso,

tocar la mano de un desconocido

en un día de piedra y agonía

y que esa mano tenga la firmeza

que no tuvo la mano del amigo;

probar la soledad sin que el vinagre

haga torcer mi boca, ni repita

mis muecas el espejo, ni el silencio

se erice con los dientes que rechinan:

estas cuatro paredes ?papel, yeso,

alfombra rala y foco amarillento?

no son aún el prometido infierno;

que no me duela más aquel deseo,

helado por el miedo, llaga fría,

quemadura de labios no besados:

el agua clara nunca se detiene

y hay frutas que se caen de maduras;

saber partir el pan y repartirlo,

el pan de una verdad común a todos,

verdad de pan que a todos nos sustenta,

por cuya levadura soy un hombre,

un semejante entre mis semejantes;

pelear por la vida de los vivos,

dar la vida a los vivos, a la vida,

y enterrar a los muertos y olvidarlos

como la tierra los olvida: en frutos...

Y que a la hora de mi muerte logre

morir como los hombres y me alcance

el perdón y la vida perdurable

del polvo, de los frutos y del polvo.

 

 

Libertad bajo palabra

Fondo de Cultura Económica,Mexico, 1960 

Poème précédent en espagnol :

Julio José Casal : Curiosidad (23/12/2022)

Poème suivant en espagnol :

Gabriela Mistral : Pays de l’absence /País de la ausencia (14/02/23)

 

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