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Le bar à poèmes
1 décembre 2022

Jean-Luc Steinmetz (1940 -) : Vers l’apocalypse (1)

images[1]Source : Ouest-France, 30-09-2021.

 

 

Vers l’apocalypse

 

SEPT MESURES AVANT DE COMMENCER

 

1

La somme est toujours là, additionnée de plus en plus

Le songe y mène                    en son hymen.

Êtres et choses engrangées depuis le début

ne cessent de se refaire

de multiplier plus loin leurs lumières et leurs ténèbres.

Chaque jour apporte, soustrait, redonne

une espérance de haut vol qu’agrandit l’horizon.

 

2

Si tu ne penses aller plus loin,

reste alors,      reste,      à demeure. Considère

ta tête entre tes mains

tes doigts entre tes doigts

et les vastes banderoles développant sur la denrée du jour

leur dialogue inconnu

où la figure du plus proche répond au huit de l’infini.

 

3

Enfant souvent j’ai rêvé d’être un grand footballeur.

Mais, à chaque fois, le ballon devenait la Sphère

qui roule jusqu’à Ulysse trempé de saumure

après la tempête.

Mes pieds dans le sable se heurtaient à des racines.

Ce que je rentrais dans les buts

était la tête d’un arbitre corrompu

ou celle d’un vieil amateur de mélancolie vert-de-grisé.

 

4

Aucune phrase ne sera donnée par le dieu.

Trop tard.

Elle se lèvera plutôt du fond de toi.

Tu feras semblant de la croire.

Ou bien, issue d’un livre,

d’un vieux livre palimpsesté,

elle continuera à l’heure d’aujourd’hui,

libre soudain de dire ce qu’elle n’avait su dire

et qui dormait dans ses syllabes.

Elle prendra toute son envergure ou brillera d’un éclat de silex

comme aux mains d’un chasseur des premiers âges.

 

5

Yeux qui se ferment. Regards plongés en arrière

et fatigués durant l’après-midi d’avoir existé

par prolongements  neuroniques.

Si le regard s’ouvre

il voit des touffes de cyclamens

faisant l’offrande

les dernières pommes tombées dans l’herbe qui attendent

comme une preuve inutile, mais rougeoyante.

Puis le sommeil reprend, s’aventure, énumère

les enfants de septembre.

Les mots dont on dispose

ne veulent pas mourir.

Ils brodent une fin de journée

que protège un arbre blessé.

 

Ouvre de nouveau tes paupières

pour épouser progressivement l’heure.

Elle, avant qu’elle s’offre à l’oubli,

avance       avec une certaine tendresse.

 

6

Je ne suis pas sûr de résister

aux nuées de mots intelligibles

qui vont recouvrir ce moment.

Les mains sont prêtes à toucher.

Les yeux à s’ouvrir.

La salle d’attente s’emplit de voyageurs

connaissant trop bien leur destination.

Entourant des baies vitrées

luit une sorte d’auréole sainte.

Les montants et les cintres se teignent de bruyants reflets.

On pourrait dire : « C’est le moment du départ. »

Combien de stations une à une vont interrompre

le trajet depuis l’enfance,

un désir de pureté qui file droit devant lui.

Et quel aspect prendra la gare du bout

peuplée d’incertitudes comme de composteurs ?

J’en suis là, formant des images

peut-être fausses, ceignant mon front qui saigne.

Chaque parole tentée

je songe à la détruire

mais la laisse passer.

Les plus nombreuses sont de celles que vous rencontrez

dans l’irritante communauté.

Pas une pour échapper au plus fade sourire

comme au plus piètre désespoir.

Les compartiments s’éloignent

dans l’odieux branle-bas d’ici-bas.

Un homme resté à quai prend soin de marcher ensuite

jusqu’à chez lui, avec lenteur et seul

avant de franchir le pas de sa porte et de la refermer.

 

7

L’idéal fut de garder les quelques éléments à portée

quitte à penser s’en éloigner

ou qu’ils deviendraient différents avec l’âge.

D’instant en instant l’instant change.

Dans tous les mots l’eau et le feu passent et se dissipent :

- un bout de terre, ses limites acquises,

   sa surface agrémentée de fleurs

- chaque banalité hautement revendiquée

   comme preuve et témoin

   et les transformations du proche sous les nuages

   métamorphiques

- certaines plantes difficilement reconnaissables

   quoique de vision courante,

- des présences animales le plus souvent invisibles

   chacune pour son être,

- des chats qui vivent en solitaires,

- des abeilles peuplant un tronc évidé.

On aimerait poursuivre l’énumération

comme celle des tribus d’Israël.

On en formerait un grand Tout

avec une lumière qui varie

sous les périodiques effets de soleils couchants.

Le dire, le redire, le répéter,

très peu y consacrent leur vie,

tant guettent le souci, l’humeur responsable ,

les déficits immunitaires.

Et soi-même déraciné,

d’un arbre on envie les branches

les feuilles virevoltantes qu’il  abandonne au vent.

En un coin du terreau

les vers activent le sol aux sombres fruits.

 

ICI COMMENCE L’APOCALYPSE

 

1

Les cheveux blancs comme de la laine blanche

les pieds pareils à de l’orichalque

les yeux comme une flamme ardente

la voix comme la voix des grandes eaux

la longue robe serrée à la taille,

il est donné de LE regarder et de voir la suite,

les fléaux, les renaissances

les erreurs multiples se reproduisant

de soudaines rafales, la langue des typhons.

Un moment je pourrais m’arrêter sur la route.

Qui me conseille de continuer

à travers la forêt obscure ?

Quelle intention se fraie passage

au milieu du chemin de vie ?

Vous entendrez ce que vous n’avez pas su entendre.

Vous regarderez l’issue hors de la membrane placentaire.

A pleins poumons vous prendrez votre respiration

et, d’un élan sans peur, vous avancerez jusqu’au prochain jour.

 

2

Il y a trop. Les métaplasies,

les phénomènes supplémentaires

les charniers jamais assez pleins

les discours abondants qui devancent la tuerie

les jambes des races enchevêtrées ou percussionnées.

S’étendent l’abondance des meurtres

les corps ennemis outrepassés et concassés

de vastes époques lancinatoires

des mondes entiers réduits aux simagrées d’un singe.

Que veulent ces cris ? Pourquoi

les fuites vers un restant d’aurore ?

Avant et contre, cueille, moissonne et vanne tout ce langage

dont fait sa nourriture le prophète

comme du livre qu’il avale, au goût d’absinthe.

 

3

Sostenuto. Tenir le ton

rester dans les rouges sang

ou poursuivre dans l’or oriental.

Ne pas cesser. Ne pas tomber.

Frapper le tambourin. Agiter le sistre.

Emouvoir la cymbale.

Appeler. Ou résonner à menu bruit

comme la pluie sur la verrière.

Surtout ne pas suspendre le pas. Le danser.

Glisser ou présenter à la surface de la lumière

le rouleau d’un volumen

que l’on adresse au vent.

Entre des mains d’enfant

il prend la forme d’une longue-vue

par où guetter la fin du jour.

 

4

En remuant les mots, en les dérangeant de leur place habituelle

qu’exigent les discours civiques

(les fameux instants de sens partagé)

je réponds et ne réponds pas,

je suis sur la frontière du présent et du futur

appelle la pensée prophétique

qui ouvre grandes les portes du caravansérail ou de l’église.

Il faudrait l’universelle compréhension

toutes les langues réunies au creuset

et non pas le rendez-vous des termites

ni les confusions digitales

quand dérape l’index sur des chiffres surcodés.

En les prenant, ces mots, pour ce qu’ils valent

et comme ils se trouvent.

Un goût salé vient sur la langue.

Le seul sens qui s’impose

est celui qu’apportent les larmes et le sang.

...........................................................................................

 

Vers l’apocalypse

Editions Le Castor Astral, 2022

Du même auteur : Vers l’apocalypse (2) (02/12/2023)

 

 

 

 

 

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