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Le bar à poèmes
1 décembre 2022

Paul Celan (1920 – 1970) : Port / Hafen

535908662_f5ccaa8533_z[1]Paul Celan © NC Mallory / Flickr

 

Port

 

Guéri-meurtri - : où,

si tu étais comme moi, bourlinguant

- valdingué en tous sens rêvé

par des cols de flacons de schnaps à la

table des putains

 

- lance comme il faut

les dés de mon bonheur. Toison de mer,

pelle un bon tas de la vague qui me porte, Noir-juron,

fraie-toi la route

dans le ventre le plus brûlant,

Plume-chagrin de glace -,

 

ne

viendrais-tu pas t’allonger avec moi, et même

sur les bancs

chez la mère Clausen, elle

sait bien pardi combien de fois je t’ai

fait monter tout mon chant jusqu’en la gorge, heidideldu,

comme l’aulne bleu myrtille

du pays avec tout son feuillage,

heidudeldi,

tu m’entends,

comme la flûte astrale

de par-delà la crête du monde – là aussi

nous avons nagé, nus de nus, nagé,

avec le vers d’abîme sur

le front écarlate – l’or

toujours embrasé dedans à flux

profond se creusait

ses passages vers le haut -,

 

                                            ici

voilure toute parée de cils,

un souvenir aussi est passé, lentement

les flammes ont sauté sur l’autre bord, et sé-

parées, entends-tu

séparées sur les deux

gabarres de mémoire

bleu-noires,

mais aujourd’hui encore poussées

par le mille-bras

dans lequel je te tenais,

naviguent, longeant des bouges au Jet d’Etoile,

nos bouches toujours ivres-abreuvées, et buvantes,

et d’un monde à côté – pour ne parler que d’elles –

 

jusqu’à ce que là-bas, à l’horloge du clocher vert de temps

la rétine, la peau-cadran sans un bruit

se décolle – dock de délire,

flottant, devant lequel

blanches-monde de

rebut, les lettres

des grandes grues écrivent un

antinom, c’est sur lui

que grimpe tout là-haut, pour le saut de la mort, le

chat courant, le palan mobile existence,

c’est lui

qu’après minuit la pelleteuse

des phrases assoiffées de

sens excave entièrement,

c’est vers lui

que le péché neptunien lance

son câble de remorque couleur de schnaps,

au milieu de bouées sonores d’amour dodéca-

phonique

- poulie de puits, jadis, c’est avec toi

que ça chante

dans le chœur qui n’est plus continental –

arrivent les bateaux -phares en dansant,

de très loin, d’Odessa.

 

la marque de flottaison basse

qui s’enfonce avec nous, fidèles à notre chargement,

nous mire-espiègle tout ça

vers le fond, vers le haut et – pourquoi pas ? guéri-meur-tri, où, si –

vers nous et loin de nous et vers nous

 

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre

in, Paul Celan : « Choix de poèmes, réunis par l’auteur »

Editions Gallimard (Poésie), 1998

Du même auteur :

Fugue de mort / Todesfuge (01/12/2014)

Strette / Engfürhrung (01/12/2015)

 Matière de Bretagne (01/12/2016)

Le Menhir (01/12/2017)

« Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)

Psaume / Psalm (01/12/2019)

Eloge du lointain / Lob der Ferne  (01/12/2020)

« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)

« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)

 

Hafen

 

Wundgeh

eit : wo-,

wenn du wie ich wärst, kreuz-

und quergeträumt von

Schnapsflaschenhälsen am

Hurentisch

 

- würfel

mein Glück zurecht, Meerhaar,

schaufel die Welle zuhauf, die mich trägt, Schwarzfluch,

brich dir den Weg

durch den heißesten Schoß,

Eiskummerfeder -,

 

wo –

hin

kämst du nicht mir zu liegen, auch

auf die Bänke

bei Mutter Clausen, ja sie

weiß, wie oft ich dir bis

in die Kehle hinaufsang, heidideldu,

wie die heidelbeerblaue

Erle der Heimat mit all ihrem Laub,

heidudeldi

du, wie die

Astralflöte von

jenseits des Weltgrats – auch da

schwammen wir, Nacktnackte, schwammen,

der Abgrundvers auf

brandroter Stirn – unverglüht grub

sich das tief-

innen flutende Gold

seine Wege nach oben -,

 

                                             hier,

mit bewimperten Segeln,

fuhr auch Erinnrung vorbei, langsam

sprangen die Brände hinüber, ab-

getrennt, du,

abgetrennt auf

den beiden blau-

schwarzen Gedächtnis-

schuten,

doch angetrieben auch jetzt

vom Tausend-

arm, mit dem ich dich hielt,

kreuzen an Sternwurf -Kaschemmen vorbei,

unsre immer noch trunknen, trinkenden,

nebenweltlichen Münder – ich nenne nur sie -,

 

bis drüben am zeitgrünen Uhrturm

die Netz-, die Ziffernhaut lautlos

sich ablöst – ein Wahndock,

schwimmend, davor

abweltweiß die

Buchstaben der

Großkräne einen

Unnamen schreiben, an dem

klettert sie hoch, zun Todessprung, die

Laufkatze Leben,

den

baggern die sinn-

gierigen Sätze nach Mitternach aus,

nach ihm

wirft die neptunische Sünde ihr korn-

schnapsfarbenes Schleppseil,

zwischen

zwölf-

tonigen Liebeslautbojen

- Ziehbrunnenwinde damals, mit dir

singt es im  nich mehr

binnenländischen Chor –

kommen die Leuchtfeuerschiffe getanzt,

weither, aus Odessa,

 

die Tieflademarke,

die mit uns sinkt, unsrer Last treu,

eulenspiegel das alles

hinunter hinauf und – warum nicht ? wundgeheilt, wo-, wenn –

herbei und vorbeit und herbei.

 

Atemwende

Suhrkamp Verlag, Frankfurt, 1967

 

Poème précédent en allemand :

Wolfdietrich Schnurre: Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (II) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (II) (28/11/2022)

Poème suivant en allemand :

Oskar Kokoschka : Les garçons qui rêvent / Die träumenden Knaben (03/12/2022)

 

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