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Le bar à poèmes
13 novembre 2022

Jean Métellus (1937 – 2014) : Au pipirite chantant (II)

 

 

Jean-Metellus[1]

Au pipirite chantant

 

.............................................................  

 

La vie filtre à travers les membranes du silence

Le désespéré prend plaisir à ses larmes

La terre se fend, le vent délire, l’éclair s’éteint, le tonnerre gronde,

Pluie, tempête, stupeur, le désespéré est exaucé

Calme, sans racine, dans la faveur de l’ombre

Vestige du temps et de l’espace

Reste de massacres, dépôts, débris

C’est dans la catastrophe qu’il chante

 

Tout bouge

Tout meurt en se désentravant

Et tout renaît nourri de bruit

Convié par le pressoir du sexe

Mort et résurrection quotidienne

Aquarium érotique et mystique

Vertige marquant le deuil

C’est l’hygiène lascive des temps

Le chromatisme satanique des sens

L’alchimie perpétuelle de la nuit

La formule sauvage des ténèbres

La graine acharnée est tombée

Jetée, crue, étonnée

Boueuse et prodigieuse

Prête, attifée pour un long repos

Elle est semée par les soins du voyageur

Blême, terne, outrant le sol, pour la gloire de l’arbre

Elle s’abreuve de rosée

La pluie vient, l’entraîne ailleurs

Et la plaine l’embauche

Et la graine s’enterrant exhale une magie rouge

 

Son vêtement a éclaté

Veule dans les draps de la terre

Seule dans les bras de la mère

Aspirant son suc, buvant son eau

Défleurie, dévidée

Sans écorce, sans carapace

Ah l’entreprise de réinventer l’unité

De reproduire le spasme des saisons

La terre s’est ouverte pour la graine

Elle a saigné pour elle

Et forme deux berges protectrices

     une nouvelle coque de vie chargée de sentinelles

     une armure passionnée

     un manteau de sécurité

Et la graine étend sa demeure

     pousse des pattes dans son domaine, l’agrandit

     oublie tout son passé

Et devient germe

Et enfante sa mère

La terre enchatonnée a délivré l’espoir

Les vœux débridés montent au ciel

Les assises de la vie circulent dans le sol

Et la mère fatiguée invite l’espérance au bal du soleil et de l’eau

Pour mes enfants dit la terre je bois toutes sortes d’eaux

L’eau de la source et celle du ciel

Et jusqu’à l’eau des ténèbres du corps

Pour mes enfants dit la terre j’ai tout bu

Et le mapou haut troussé, casqué de vent, d’oiseaux

     tourmente l’alliance et fête la mémoire des dieux

Amant de l’inconnu, sa crête dompte une écharde astrale

Les ténèbres plus fraîches qu’un petit matin rose,

     plus pleines que la face du soleil, plus denses

     que les effluves du vétiver, fortes et vivantes,

     déraisonnables comme l’instinct de la mer,

     attachent aux trousses des chimères la moisson et l’offrande

Mais l’espérance, l’épaule de mon âme, la chaussée de mes nuits

Mais l’espérance distrait les paumes de l’anxiété

     et mûrit sur des rives blessées

 

Quand le mapou accorde audience aux arbres plus frileux

Quand l’eau s’enivre de sa voix

Quand le soleil pèse ses saisons

Que la plaine pèle ses écorces

Quand le fleuve rit de ses débris

Que le silence conquiert le rythme

L’homme assied sa gloire et sa victoire

Et livre aux serpents du temps son amour

Et la foudre prend possession des outre de ses mots

Comme un récipiendaire par Satan délégué

Et la campagne, merveilleuse croqueuse et pourvoyeuse d’énergie, mais aussi

     asile obscur des spectres et de la peur, aire du gosier et du peuple, lave ses

     tabliers aux larmes du paysan

Comme le soleil suspend son linge aux décors des astres

 

Comme le fleuve coule sur ses rives des vagues de larves

Et l’imposture fabuleuse des mapous enfume le souffle laiteux de l’été

La nuit inhume ses épaisseurs et cache ses voiles

Et le jour fait danser les destins dans leur tunnel, remue ses griffes et force

     l’homme au combat

Car les mapous avaient tenu conseil aux époques de sécheresse :

Ils obligeaient l’homme à revendiquer

Ils prêchaient contre le déboisement

 

Au pipirite chantant les cheveux enivrés

                   les yeux baignés d’espoir

                   l’odorat épiant les racines

Le paysan s’en va, le cœur glorifiant la fumée d’un brasier

Il sème les souhaits de ses aïeux

Et les barques enjouées de l’espérance exultent à ma vue

Mais le front des mornes et la clarté recréent un jardin prodigieux et cueillent

     la vérité de la vie

Et moi, infatigable, j’interroge sur les bords du doute

Et je recense le frisson des lunes, des étoiles

Pour déjucher la gloire de ces trônes qui bâillent sur ma sueur

Pour brûler un solfège d’épines, de fantômes et de chenilles prêts à enseigner

     la mort

Une toile d’araignée soudain me dispute les grâces des loas et bascule les

     pylônes du houmfort

Au pipirite chantant mon cœur est tourmenté, ma tête embrigadée par la

     vaillance des vœux

L’éclaircie soudain gemme

Mes craintes s’envolent en fumerolles dans le creux de l’oubli, parmi les

     limons, les calcaires, les rochers et les échos

La matinée avec ses feux, ses serments, ses vertiges au milieu des véraisons

     comme une presse étrangle mes derniers déchirements

Et la raison vannée par la fuite des paroles égrène le chapelet de mes actes

Mon verbe entré sur les branches de l’avenir fait éclater la foudre des calamités

     et l’orgueil aurifère

Le bourdonnement des herbes insensibles aux signes,

     au bercement de ma prière, aux flots de ma gorge,

     aux meurtrissures de ma voix

                             Attise ma vocation

L’insoumission de la passion insinue la tempête dans ma bouche

Et l’air frivole alimente les gencives qui se ruent sur ma joie

La fraîcheur elle-même se pâme et déjà les langes du soleil remembrent

     sous nos pas l’érection dans la suée, l’allégresse dans la chair

Et il part, lui, le paysan, avec la lune sa complice, semer des graines contre la

     malice des hommes

Car les digues de la tristesse ont entravé son chant

Les couches détrempées du temps étouffent les oracles

Le vent lui-même a balisé sa plage de tambours muets, de murmures

     d’insectes et les ronces de la soif ont cloué sa prière

Mais l’éveil parmi les charmes du matin et les transports des mots

Mais les paupières indécises de la journée

Les prunelles étourdies de vigueur ou de lenteur

L’acidité nobiliaire d’ancêtres enchaînés

Loin des mamelles du soleil

Dans la rumeur glauque des cales

Entre les crocs du bien et du mal

Ont élu son cœur et sa voix chantre des astres et des armes

Plus haut lui crie l’instinct agraire des lettres et des traits

La vaillance du verbe vaincra la solitude

Les termites lucifuges s’éteindront sous tes mots

Prie lui dit un alphabet en gestation :

Le défilé des sens éclipsera pierres et fossés

Les cinq parties du monde jouissent de nos veillées viriles

L’univers entier est enclos dans nos corps

Les plantes, les animaux, les eaux et les esprits roulent dans nos mains

Et nous sommes la miséricorde, la demeure des officiants de tous grades et de

     toutes sectes

Les étoiles ricanaient en cillant

Le crépuscule, sur les trottoirs du ciel, égouttait ses rayons séditieux

Et le choeur du silence s’altérait, s’éloignait

L’entreprise de la plaine est une bénédiction car elle veille sur la ville et sur

     les songes

Au ras des jours avec une coupe d’eau les loas ont traité tous les voeux des

     délaissés et ils ont sentencié :

L’évènement, nous l’ordonnerons, prendra la route

 

Le paysan, crâne rasé, épaississant les contours du soir, plus bleus qu’une

     nuit d’automne, plus vif que ces bastions légendaires des grandes religions,

     déplie sa garnison de prières sous les bahayon des étonnées et les paroles

     crépitent au petit jour devant la case inondée  par la brillance réfléchie de

     la lune

Que la splendeur, la gaieté, le bonheur m’inondent

Ma joie de semeur est d’enrichir la plaine

L’épi du maïs fait la joie d’Erzulie

Que l’avocatier, chair salutaire, s’enhardisse

L’orange douce, l’orange amère nourrissent et guérissent

Le pâturage a frémi le jour des grandes eaux

Evitez-nous ô loas la grêle des châtiments

Epargnez-nous les notaires et les tribunaux

Que les poux de la ville ne viennent pas nous sucer

Que la terre de notre sueur vibre tel un orgue généreux

Et fasse résonner le flanc des mornes

Pour rompre les mors qui étranglent notre sort

Contre les dégâts des arpenteurs

Et les gravats de la spéculation

Tout un corset d’ordures menace, comme des corbeaux, les gestes du désir

Et ronge la crête de notre virilité

Semez sur nos sentiers non pas l’écaille mais la coquille lisse de l’harmonie

Le verbe organisera l’entente

Tuez les soudards, les pillards, et que notre vie essaime l’amour, comme une

     jarre d’eau fraîche encourageant le pèlerin, comme une cascade arrosant le

     chemin d’Ogoun

Et naisse enfin la fanfare des hommes libres comme une explosion fervente,

     comme l’aurore des Antilles et l’alliance des îles

Et rugisse l’aube sur les eaux les sorciers les fruits, pour la gloire et l’extase

     des vivants

Les ravins éblouis, les montagnes purifiées, les collines offertes, les buissons

     frissonnants, les halliers en festin, demanderont compte des ossuaires à tous

     les mercenaires, à tous les sanguinaires

Ô dieux d’Afrique, amateurs de très grandes excursions, vos larmes ont

     humecté tous les horizons, exhaussé jusqu’aux portes du firmament les plus

     aigres des souffles, et depuis s’est déchaînée sur toute la terre l’amère salive

     de la douleur, la mousse douloureuse des guerres et des discordes

Ô dieux brûlés par les crépitements de l’alcool

Ô dieux immunisés par la terreur et la faim

Où trouver le chemin libre qui vous honore la voie sûre

     qui vous libère ?

 

Au piripite chantant

In,Revue « Les Lettres Nouvelles »

Editions Denoël,1975

Du même auteur :

Au pipirite chantant (I) (29/06/2015)

Prière au soleil (13/11/2023)

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