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Le bar à poèmes
12 mars 2022

Henri Droguet (1944 -) : Pour l’exemple

la-poesie-d-henri-droguet-s-expose-jusqu-au-samedi-16-avril_2813804[1]Credits : K125A

 

Pour l’exemple

 

Un œil se givrerait dans la gerçure des nuages

la mer toussait rauque peu loin

celui qui sait, passant, troussait

la main des brumes et ses voyures

le froid faisait / fera ses manigances

dans le sein des eaux mortes

on devinait l’amen plutôt câlin des choses

la mâchure immobile du temps

le vent qui pleure

le vent qui rit torche sans fin

ni terme la rouille des forêts

 

Une saison quelconque pue

la parole s’abrège de celui / moi

qui a su l’agonie des soleils

la flanelle des vagues crépusculaires

l’herbe fraîchie

la liberté provisoire des songes

le lai de délaissée des pluies

la terre crue violente

aux féroces petits matins dominicaux

ma parole somme toute équarissoir

 

Petite âme enfin, petite âme,

la pluie viendra de plus loin et moi

je suis cette main seulement

qui t’a donné leçon de la caresse

 

la vie sera comme un chant

permanent des mésanges.

2- 15 novembre 1972

 

*

La belle averse bat la campagne

J’étais aux falaises à fougères

coeur barbelé, coeur vacant

mains nettes, perdues vides,

pèlerin d’insolite voyage

voyeur foulé de bonheurs étrangers

et j’ai laissé se dire un chant hors-venu

les oiseaux se taisaient le vent froissait

la mer et l’herbe à l’ordinaire

 

Saurez-vous qui je suis ?

Ni belle âme sensible, ni moi ni je

quelqu’un d’autre

dans le rut clandestin des aurores

et l’absence au petit malheur

 

J’entends la petite musique des nuits crues

et la dégoulinure du ciel, à six heures précises

j’ouvre le sac à maléfices

de la césure solitude

je me raconte des histoires

reviens demain à voile blanche

                                     blanche

                                     blanche...

comme les nuits

les jours qu’on marque, facilement, de pierres noires.

19 novembre 1972

 

*

et des vents indulgents entonnèrent

sous les haies

dans l’odeur de coiffure et de pêcheries

et de morts encore

morts

 

et les crachins chuintèrent

rafraîchissant l’ombre

coupante et dans l’ortie d’anciens

préservatifs

 

à préface d’eau

- perdus les mots et

le sauge des songes –

il y eut

la laryngite des corbeaux

à épuiser un labour neuf

une jument noire et tranquille

 

il chercha ses mots

consacra le chant des charpentiers

(ils ont la main patiente)

le ressac nul des eaux pleines

apaisées

la toux des tourterelles au fond voisin d’un clos

le cosmétique de l’averse

à l’heure du vent tombé

sur la suie des banlieues et

les pavois périmés des Thulé froiduleuses

 

il n’osa pas dire je

sa joie, ni les fuligineux

remparts des cités fabuleuses

ces étranges feuilles fermentées

que j’observai purement sur les sables

ni le banc mouillé

où son enfance le troubla.

13-15 septembre 1974

 

*

Je me tais

l’eau passe sous les arches

je me tais

ici l’on ne fait plus le pain

et toi tu cherches, dis,

nuageux,

le tweed des rivières pérennes

et toi tu cherches, dis,

l’odeur des granges remembrées

la pluie en long

en large en travers

et moi je cherche, dis,

la très ancienne enfance

le chant interminé de l’archipel

et de la mort envisagée

et moi je cherche, dis,

là-bas l’oliveraie

 

et tu te tais, dis,

tu te tais.

                       9 – 10 novembre 1974

 

*

Les pluies jouissaient dans l’herbe dénouée

Le ciel se changeait

                                  et la fougère belle et claire

tu prenais tes repères dans le secret du village

la source vers le nord - fermée –

à l’est les tombeaux

au couchant d’autres sources, et la gare

tu vivais tu savais

                               vivre

dans les celliers l’odeur de lie ancienne

et dure

le trou de l’âtre.

                           L’horloge mesurait.

Le soir tu regardais l’unique étoile

sur la citerne vide et sonore

à gauche le mur, inutile, défait,

rien n’avait lieu

                           que le bonheur

et l’inquiétude des greniers

l’écorchure du vent

la plate lune et les nuages inévitables

la lenteur annulait paisiblement des jours...

janvier- février 1976

 

*

Le vent ça mange

la mort dodue le reste

ça mangera ton chant

la ville le bonheur et les larmes

le vent ça mange

 

la mer c’est la patiente

gourmande et chevelue

ça chantonne à l’heure connue

ça revient blanc trop tard

la mer c’est la patiente

 

le ciel c’est de l’épais

dans l’arbre qui fut sage

c’est de l’oiseau coupé

l’orge et le seigle

où s’occupe un  nuage

passant

le ciel ça passe

 

l’homme

               ça jouit.

Puteaux, 27mars 1976

 

*

Il a dit les mêmes

            ce sont comme des dents les murs

            les arbres crus

            au crépuscule les cieux semblables

            et les étoiles

            ce sont les chemins immobiles

           bientôt. Jamais. Tu ne les prendras

            plus.

 

            Marie Etasse a passé 83 années

            Derrière le cellier est fermé

            tu ne flaireras pas les fûts vacants

            les outils périmés dans l’odeur

            du soufre, de la lie, des poussières

            et du foin moisi

 

            et puis le décombre des haies

            toujours croissantes

            la carcasse d’acier d’un lit sur la soue

            où restait un très ancien parfum de son

            les clapiers effondrés

            le jardin regagné par l’herbe et la ronçaie lisibles

            sur la citerne (devant) l’étoile rognée par les crachins

il a dit tes repaires

 

            Dans le bas-ventre du village

            les sapins abattus

            et la fraîcheur récupérée de la fontaine

            où elles battaient le linge

            il y a cinq mille et cinq jours

            à peu près

            et la chanson des oiseaux étrangers

            le même train pourtant là-bas, vers les cinq heures

            et le chien fou

            dans les joncs

                                   tranchés

 

Il a dit demain la beauté du pays froid superbe

            comme une pluie d’hiver

            la claque des vents de jouissance

            demain une ferme, un orme

            l’église brute d’Omonville

            (la Rogue)

            et des haies reconnues

            - comme ta poche –

 

(Il a dit demain ta mère crie

            qu’elle a perdu

            son temps)

 

            la beauté inépuisable des galets

            devant le phare et le soleil tombant

            au bout du monde.

 

            demain  les barbelés

 

il dit beaucoup pour ne pas dire

            sa mort

 

            « Je suis dans les petits papiers du Temps

            le merle le savait qui chantait

            dans l’aurore. »

Fayence, 12 juillet 1976

 

*

Les Dieux se levaient tôt

dans la coulisse bleue des collines

le soleil fut

très simplement sur la pénombre

et la fraîcheur des fermes présumées

l’homme lisant s’étonnait       

dans la sueur de l’arbre

de l’étrange familiarité de l’herbe

observait patiemment les oiseaux qui feulaient

il rêvait du mot pain

pour toutes les raisons, même les pires

il prononçait

les pierres ont la vie dure.

                                                                          Fayence, 17 juillet 1976

 

 

Chant rapace

In, Revue « Cahier de poésie, 3 »

Editions Gallimard, 1980

Du même auteur :

Sans paroles (12/03/2019)

Salut (12/03/2020)

Bout de monde (12/03/2021)

Gwerz / Amen (12/03/2023)

Scopie 1 / « ...Indéfiniment ma joie... » (11/03/2024)

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