Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bar à poèmes
5 mai 2020

François Cheng (1929 -) : L’arbre en nous a parlé (II)

cheng-1[1]

 

L’arbre en nous a parlé (II)

 

...........................................................

Avant l’orage

 

Entre les amandiers

Le trop-plein de l’été

          s’est retiré

Un chant de loriot

          depuis la haie

Vient se loger

Dans le nid défait

          de la vacance

 

Jailli de la senteur

          du sol originel

Le rayonnement vert

Se fait plus proche

          plus ardent

                    plus transparent

Comme pour tout reprendre

 

Avant l’orage

 

 

 

 

Dans l’allée qui mène à la lisière

Nous nous arrêtons     saisis de peur

Par-delà la lisière ce soir

          l’avènement du Pur Espace

 

Qui pourrait lui faire face sans périr ?

Nous nous arrêtons     humble procession

          figée devant l’ultime autel

 

Lentement au loin monte une fumée

Quelques cris d’alouette embrasant l’air

Tout est couleur de signes inouïs

Tout est couleur de songes mortels

D’un moment à l’autre

Nous le pressentons

Les étoiles ravies vont crever

          l’immense voile

Quand nous pénètre jusqu’au tréfonds

          le dernier rayon du crépuscule

 

Les uns d’entre nous s’inclinent

Les autres vers le Révélé

          lèvent leurs offrandes

 

 

 

 

Céder à l’invite du tronc couché

Céder à l’antique blessure

          guérie par la résine du temps

Au sortilège d’un après-midi

          en vierge forêt

Aux murmures ininterrompus de l’été

A la félicité de l’attente, à l’arrivée

          inattendue d’une amante de rêve

Au bourdonnement autour des mûres

          que les renards ont crachées

Aux écailles de serpent muées en papillons

A la soif qu’étanchent seules les larmes

A l’irrépressible nostalgie renée

          de l’éternel instant

 

Céder à l’invite du héron debout

Qui, près de l’étang, là-bas,

Tend le miroir d’un soir doré

          au cœur de la mémoire terrestre

 

 

 

 

Entre deux rochers

Surplombant le vide

Le pin ivre d’écoute

Dira nos secrets

 

Oiseaux du matin

Ni brumes du soir

Jamais ne rompront

Le fil de nos voix

 

Voix échangées là

Au hasard d’un jour

Un jour par-dessus

Les années -

                     lumière

 

 

 

 

L’appel de la mer

          tu l’entends

L’appel de la lune

          tu l’entends

 

Longue plainte lumineuse

Sillonnant la surface mouvante

Depuis l’extrême bord

          jusqu’à tes pieds

 

Toi Eucalyptus

Tu ne perds rien

          du clair de lune

Qui caresse qui entaille

Le corps de la mer

          rompu jusqu’aux entrailles

 

Tu es celle qui attend

Es-tu celle qu’on attend

Tu reprends

Feuille à feuille

          branche à branche

Le cantique des épousailles

 

D’un coup libéré de l’écorce

          flanc nu gonflé de lait

          chevelure ruisselante de larmes

Tu renais soudain à toi

Tu renais enfin à toi

 

En toi s’achève

          la voix nocturne

Quand tu exultes

          à ton nom propre

Eu-ca-lyp-tus !

          éclats de lune

Sans fin mêlés

          au chant des vagues...

 

 

 

 

A nous survécu

Témoigneras-tu ?

Tes anneaux ont bu

Nos cris sans écho

 

Toi érable oublieux

Aux feuilles de sang

 

Ecorce entaillée

Où s’emmêlent nos noms

Donneras-tu le miel

A ceux qui viendront

 

Toi érable oublieux

Là, encore, saignant

 

 

 

 

Le fruit parle :

Notre destin certes

          est de contenir

Le voici pourtant

          prêt à éclater

 

Sur lui pèsent trop d’étés

Trop d’automnes l’écrasent

 

Qui survit-il à son désir ?

 

Notre gloire n’est point d’ici

Notre gloire est bien ici

 

Sous l’outré du ciel

          Tout de vol de cailles

Nous consentons

Au crève-cœur de l’humus

A son âme insondée

          à sa tacite promesse

 

 

 

 

Survivre au désir

Porter la soif

          plus loin que l’oasis

 

A l’orée de l’ombrage

          et du bruissement

Céder à l’âpre ivresse

          de l’immense

 

Là-bas

L’orage qui s’annonce

          plus ardent que la mort

Rompt le vol des migrateurs

Brise les arabesques du temps

 

Restitue à l’horizon

Son irrépressible senteur

          de mousse et d’algue

 

 

 

 

Quand s’approchent les pas

Tout est à l’avance

          consommé

 

Sous l’offrande des feuilles

Traces de lynx

          ou de scorpion

Eclair d’une plume

          au feu mal éteint

 

Un rien de la déesse

S’élève

          s’élève encore

 

La cime des chênes roussit davantage

Sous le voile

 

Bleui

 

 

 

 

Plus subit

Que le cri

          de la grive

 

Senteur d’un soir

Proche insistante

          au cœur du bois

 

Qui donc est là

Depuis toujours là

Dont on ignore la face

Que pourtant on se rappelle

Avoir vu

Au détour

          d’un sentier

 

Quand certain soir

On s’attardait

          trop

 

 

 

 

Luxuriance encore

Déjà cendre au cœur

Que vaut or de septembre

Que vaut soie de décembre

Parures des jours d’alliances

Qui les porte au seuil de l’an ?

- nous avons tant défié le vent

entre les rochers de l’attente –

Bruit seule la lave interne

Sourde à l’appel des rongeurs

Que vaut soie de décembre

Que vaut or de septembre

Déjà cendre au cœur

Luxuriance encore

 

 

 

 

La forêt parle :

Au passage de l’automne

Nous nous livrons aux flammes

Les dieux muets ont vécu

Nul temple ne nous abrite

 

Nous connaissions la juste distance

Nous connaissions la juste cadence

Sans prévoir le déferlement de la horde

Nos troncs nus font une haie dérisoire

Au passage de l’ouragan            où l’air

Prend feu pas une feuille n’est épargnée

Où les fumées rejoignent les nuages

S’envolent sans regret les oies sauvages

Qui d’autres sinon nous pour dire les jours

Pour redire l’incandescence des saisons

Trop haute notre passion            trop brève

Est-il chair qui ne soit d’amour vaincue

Le glaive du couchant clôt l’horizon

Seul le fleuve brise la chaîne des montagnes

 

Les dieux muets sont partis

Nul temple ne nous abrite

Nous nous livrons aux flammes

Au passage de l’automne

 

 

 

 

Lors même que nous briserions

          les anneaux du temps

La mort reste notre plus urgent

 

Lors même que serait dépassée

          la mémoire ancienne

Nous poussons, fiévreux encore

 

Vers où le corps défaille

          d’inaltérable soif

Vers où scintille le diadème

 

La fumée a couronné le fumier

Une limace a gravi les degrés

          du solstice

.....................................................................

 

 

Double chant,

Editions Encre Marine,2000

 

Du même auteur :

Un jour, les pierres (I) (15/052014)

« L'infini n'est autre… » (15/05/2015)

Un jour, les pierres (II) (15/05/2016)

« Demeure ici… » (15/05/2017)

Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)

L’arbre en nous a parlé (I) (05/05/2019)

L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021)

Cantos toscans (I) (05/05/2022)

Cinq quatrains (05/05/2023)

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bar à poèmes
Publicité
Archives
Newsletter
96 abonnés
Publicité