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Le bar à poèmes
3 octobre 2019

Emile Verhaeren (1855 – 1916) : La pluie

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La pluie

 

Longue comme des fils sans fin, la longue pluie

Interminablement, à travers le jour gris,

Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,

Infiniment, la pluie,

La longue pluie,

La pluie.

 

Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,

Des haillons mous qui pendent,

Au ciel maussade et noir.

Elle s'étire, patiente et lente,

Sur les chemins, depuis hier soir,

Sur les chemins et les venelles,

Continuelle.

 

Au long des lieues,

Qui vont des champs vers les banlieues,

Par les routes interminablement courbées,

Passent, peinant, suant, fumant,

En un profil d'enterrement,

Les attelages, bâches bombées ;

Dans les ornières régulières

Parallèles si longuement

Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,

L'eau dégoutte, pendant des heures ;

Et les arbres pleurent et les demeures,

Mouillés qu'ils sont de longue pluie,

Tenacement, indéfinie.

 

Les rivières, à travers leurs digues pourries,

Se dégonflent sur les prairies,

Où flotte au loin du foin noyé ;

Le vent gifle aulnes et noyers ;

Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,

De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;

 

Le soir approche, avec ses ombres,

Dont les plaines et les taillis s'encombrent,

Et c'est toujours la pluie

La longue pluie

Fine et dense, comme la suie.

 

La longue pluie,

La pluie - et ses fils identiques

Et ses ongles systématiques

Tissent le vêtement,

Maille à maille, de dénûment,

Pour les maisons et les enclos

Des villages gris et vieillots :

Linges et chapelets de loques

Qui s'effiloquent,

Au long de bâtons droits ;

Bleus colombiers collés au toit ;

Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,

Un emplâtre de papier bistre ;

Logis dont les gouttières régulières

Forment des croix sur des pignons de pierre ;

Moulins plantés uniformes et mornes,

Sur leur butte, comme des cornes

 

Clochers et chapelles voisines,

La pluie,

La longue pluie,

Pendant l'hiver, les assassine.

 

La pluie,

La longue pluie, avec ses longs fils gris.

Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,

La longue pluie

Des vieux pays,

Eternelle et torpide !

 

Les villages illusoires,  

Chez Edmond Deman, libraire, Bruxelles (Belgique), 1895

 

Du même auteur :

Le vent (06/02/2016)

« Dès le matin... » (05/05/2017)

La folie (14/05/2018)

Fleur fatale (03/10/2020)

Les plaines (03/10/2021)

Le départ (03/10/2022)

La neige (03/10/2023)

 

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Commentaires
S
Ce n'est sans doute pas le plus beau des poèmes de Verhaeren, c'est long, en fait je pensais surtout à la chanson de Brel qui sonne bien plus juste à mes sens.
Répondre
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