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Le bar à poèmes
19 janvier 2019

Norge (1898 – 1990) : Louange d’une source

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Louange d’une source

 

Dans le matin hésitant où l'écoulement des heures ne vibre pas encore,

J'ai reconnu les rieuses voyelles que prononçait ma fontaine .

J'ai reconnu ma source chère, qui jamais ne dort ou ne rêve,

Mais qui est née pour chanter et pour fuir .

Je l'ai caressée de mes mains comme une douce bête,

Une bête des bois à la profonde fourrure .

Les graminées se balançaient dans le bonheur d'un vent faible .

Au pied des chênes, un peu de nuit s'enroulait encore comme du lierre,

L'oiseau lissait sa plume dans la rosée,

Et lentement la clarté découvrait un monde sans pesanteur .

Ma source chère, arrête un peu ta fuite, et songe avec moi sous la durée bleue

qui sourit et ne vieillit point .

Contemple avec moi sans parole et sans mouvement, écoute avec moi sans

désir et sans pensée .

Et formons un double silence dans cette heure suspendue qui sait tendrement se

taire .

Je te donnerai une robe de jeunes feuilles et de pétales,

Un lit de sable fin pour un repos transparent, un lit de sable moelleux pour des

rêves et de chauds sommeils .

Je te donnerai un nom et ce nom fera un bruit pareil à celui de tes eaux .

Arrête un peu ta course et viens nicher dans cette anse de marbre où le ciel

mettra sa joue contre ta joue .

Tu sentiras sur ta peau tendue ce vent clairet qui a traversé les pommiers en fleur,

Et bercé des sommeils de libellule et soutenu des voix d'hirondelle et tremblé

dans le murmure d'un orme .

Mon petit furet qui glisse, mon petit oiseau qui gazouille, ma petite fille

sauvage,

Repose un peu dans mes mains, viens un peu sur mes genoux,

Mets ta tête à mon épaule, laisse-moi réchauffer tes petits pieds froids !

Elle s'échappe encore et poursuit son plaisir d'être folle et nue .

Elle sait un museau de biche qui veut boire,

Et des racines de menthe qui s'enfoncent vers la fraîcheur .

Ah ! bondir, ah ! briller, frissonner, ouvrir sous la clarté des milliers de regards,

c'est le bonheur d'une source .

Elle est délivrée de ce noir séjour sous les terreaux, elle est lasse de cette

longue patience

Qu'il fallut pour se former goutte à goutte .

Et puisque le monde est si grand, si beau,

Elle se hâte en chantant comme un pipeau de berger, vers la nouveauté des

feuillages,

Elle court chantant vers un soleil dont l'amour l'étreint de la tête aux pieds .

 

Le vin profond

Editions Flammarion, 1968

Du même auteur :

 C’est un pays (27/12/2014) 

Du temps (19/01/2020)

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