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Le bar à poèmes
24 juillet 2017

Jacques Roumain (1907 – 1944) : Madrid

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Madrid

 

     Cette ride sinistre de la sierra et l’horizon cerné d’un orage de fer :

     le ciel n’a plus un sourire plus un seul tesson d’azur

     pas un arc à lancer l’espoir d’une flèche de soleil

     les arbres déchiquetés se redressent, gémissent comme des violons

désaccordés

     tout un village endormi dans la mort s’en va à la dérive

     quand la mitrailleuse crible la passoire du silence

     quand explose la cataracte de fracas

     que le plâtras du ciel s’écroule

     Et les flammes tordues lèchent dans la cité les blessures des lézardes

calfatées de la nuit

     et dans le petit square abandonné où règne maintenant la paisible épouvante

il y a

     mais oui il y a sur le visage sanglant de cet enfant un sourire

     comme une grenade écrasée à coups de talon

 

     Plus d’oiseaux de doux chant, d’oiseau des collines

     l’âge de feu et d’acier est né la saison des sauterelles apocalyptiques

     et les tanks avancent l’invasion obstinée de gros hannetons ravageurs

     et l’homme est terré avec sa haine et sa joie pour demain

     et quand il s’élance

     la mort te vendange Hans Beimler

     la mort qui agite sur le van de la plaine une moisson de cris

     Voici avec la neige la denture cariée des montagnes

     l’essaim des balles bourdonnant sur la charogne de la terre

     et la peur au fond des entonnoirs est comme le ver dans une pustule crevée

     Qui se rappelle l’incroyable saison le miel des vergers et le sentier sous les

branches

     le murmure froissé des feuilles et le rire tendre et bon de la jeune femme

     la part du ciel et le secret des eaux

     - Il y a longtemps déjà que tomba dans l’oliveraie Lina Odena

     là-bas dans le Sud

 

     C’est ici l’espace menacé du destin

     la grève où accourue de l’Atlas et du Rhin

     la vague confondue de la fraternité et du crime déferle

     sur l’espoir traqué des hommes,

     mais c’est aussi malgré les sacré-cœurs brodés sur l’étendard de Mahomet

     les scapulaires les reliques

     les grigris du lucre

     les fétiches du meurtre

     les totems de l’ignorance

     tous les vêtements du mensonge les signes démentiels du passé

     ici que l’aube s’arrache des lambeaux de la nuit

     que dans l’atroce parturition et l’humble sang anonyme du paysan et

de l’ouvrier

     naît le monde où sera effacé des hommes la flétrissure amère de  la

seule égalité du désespoir

 

Revue « Commune, N° 44, Avril 1937 »

Du même auteur :

Bois d’Ebène : Prélude (24/07/2015)

Nouveau sermon nègre (24/07/2016)

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