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Le bar à poèmes
18 avril 2017

Cesare Pavese (1908 – 1950) : La terre et la mort / La terra e la morte

Cesare_pavese_1_

 

La terre et la mort

 

Terre rouge terre noire,

tu viens de la mer,

des campagnes brûlées

où sont les mots anciens

et des peines de sang

et des géraniums

entre les rochers –

tu ne sais pas ton poids

de mer de mots de peines,

ô toi riche comme un souvenir,

comme l’aride campagne,

ô toi dure et très douce

parole, ancienne par le sang

amassé dans tes yeux ;

jeune, comme un fruit

qui est souvenir et saison –

ton haleine repose

sous le ciel de l’été,

tes regards en olive

adoucissent la mer,

et tu vis, tu revis

sans t’étonner, certaine

comme la terre, sombre

comme la terre, pressoir

de saisons et de songes

que la lune révèle

d’un âge très ancien,

comme les mains de ta mère,

comme l’âtre du foyer.

27 octobre 1945

 

*

 

Tu es comme une terre

que personne jamais n’a nommée.

Tu n’attends rien

si ce n’est la parole

qui jaillira du fond

comme un fruit dans les branches.

Un vent vient jusqu’à toi.

Arides et fanées, des choses

t’encombrent et vont au gré du vent.

Membres et mots anciens.

Tu trembles dans l’été.

29 octobre 1945

 

*

 

Toi aussi tu es colline

et sentier de rochers,

brise dans les roseaux,

et tu connais la vigne

qui se tait à la nuit.

Tu es sans paroles.

 

Il y a une terre taciturne

et ce n’est pas la terre.

Un silence qui dure

sur arbres et collines.

Des eaux et des campagnes.

Tu es silence muré,

inflexible, tu es lèvres,

sombres yeux. Tu es la vigne.

 

C’est une terre qui attend

et qui est sans paroles.

Des journées ont passé

sous les cieux enflammés.

Tu as joué aux nuages.

C’est une terre mauvaise –

e ton front le sait bien.

Ca aussi, c’est la vigne.

 

Tu retrouveras

nuages et roseaux, et les voix

comme une ombre de lune.

Tu retrouveras des paroles

par-delà la vie brève

et nocturne des jeux,

et l’enfance fervente.

Le silence sera doux.

Tu es la terre et la vigne.

Un silence fervent

brûlera la campagne

comme les feux au soir.

30-31 octobre 1945

 

*

 

Ton visage est de pierre sculptée,

ton sang de terre dure,

tu es venue de la mer.

Tu accueilles, tu scrutes

et repousses loin de toi

ou comme la mer. Ton cœur

n’est que silence, que paroles

englouties. Tu es sombre.

Pour toi l’aube est silence.

 

Et tu es comme les voix

de la terre – le choc

du seau contre le puits,

ou la chanson du feu,

ou la pomme qui tombe ;

les paroles résignées et amères

sur le pas des maisons,

les cris d’enfants – les choses

qui ne passent jamais.

Tu es sombre. Immuable.

 

Tu es la cave fermée

au sol de terre battue,

où l‘enfant est entré

une fois, les pieds nus,

et sans cesse il y pense.

Tu es la chambre sombre

qu’on évoque sans cesse,

comme l’ancienne cour

où l’aube se levait.

5 novembre 1945

 

*

Tu ne sais les collines

où le sang a coulé.

Nous avons tous fui,

nous avons tous jeté

nos armes et notre honneur. Une femme

nous regardait fuir.

Un seul parmi nous

s’arrêta, poing fermé,

regarda le ciel vide,

pencha la tête et mourut

sous le mur, en silence.

Maintenant, c’est un haillon sanglant

et un nom. Une femme

nous attend sur les collines.

9 novembre 1945

 

*

De saumure et de terre

est ton regard. Un jour

tu as ruisselé de mer

Il y a eu des plantes

qui, chaudes, t’entouraient,

elles gardent ton empreinte.

L’agave et l’oléandre.

Tout s’inscrit dans tes yeux.

De saumure et de terre

sont tes veines, ton souffle.

 

Bave de vent chaud,

ombres de canicule –

en toi tout est inscrit.

Tu es la voix rauque

de la campagne, le cri

de la caille tapie,

la chaleur de la pierre.

La campagne est labeur,

la campagne est douleur.

Avec la nuit le geste

du paysan se tait.

Tu es la lourde peine,

la nuit qui rassasie.

 

Comme l’herbe et le roc,

comme la terre, tu es secrète ;

tu te brises comme la mer.

Il n’est pas de parole

qui puisse te posséder

ou t’arrêter. Tu accueilles

tes heurts comme la terre

et par toi ils deviennent

vie, haleine caressante, silence.

Tu es brûlée comme la mer,

comme le fruit de l’écueil,

et tu es sans paroles

et personne ne te parle.

15 novembre 1945

 

*

Toujours tu surgis de la mer

et tu en as la voix rauque,

toujours, tu as des yeux secrets

d’eau vive entre les ronces

un front bas comme un ciel

où les nuages sont bas.

Chaque fois tu revis

comme une chose ancienne,

sauvage, que le cœur

connaissait et il se serre.

 

Chaque fois, c’est un déchirement,

chaque fois c’est la mort.

Un combat de toujours.

Qui accepte le heurt

a gouté à la mort

et la porte en son sang.

Tels de bons ennemis

qui ont cessé de haïr

nous avons une même

voix, une même peine,

nous vivons affrontés

sous un ciel misérable.

Pas d’embûches entre nous,

pas de choses inutiles –

nous combattrons toujours. 

 

Nous combattrons encore,

nous combattrons toujours,

recherchant le sommeil

de la mort côte à côte,

nous avons la voix rauque,

le front bas et sauvage

et un ciel identique.

Nous fûmes faits pour ça.

Qu’un de nous cède au heurt,

une longue nuit suit

qui n’est ni paix ni trêve

ni la mort véritable.

Tu n’es plus. C’est en vain

que les bras se débattent.

 

Tant que notre coeur tremble.

On a dit un de tes noms,

et la mort recommence.

Inconnue et sauvage

tu es renée de la mer.

19-20 novembre 1945

 

*

 Et nous lâches alors

qui aimions le murmure

du soir, et les maisons,

les sentiers sur le fleuve,

les lumières rouges et sales

de ces lieux, la douleur

apaisée, silencieuse –

nous arrachâmes nos mains

de la vivante chaîne

et nous nous tûmes, mais au cœur

notre sang tressaillit,

il n’y eut plus de douceur,

il n’y eut plus d’abandon

au sentier sur le fleuve –

sans plus être esclaves, nous sûmes

que nous étions seuls et vivants.

23 novembre 1945

 

*

Tu es la terre et la mort.

Ta saison est ténèbres

et silence. Rien ne vit

qui soit plus étranger

à l’aube que tu n’es.

 

Quand tu sembles t’éveiller

tu n’es rien que douleur,

elle est dans ton regard, dans ton sang

mais tu es insensible. Tu vis

comme vit une pierre,

comme la terre dure.

Et des songes te vêtent

des mouvements des spasmes

que tu ignores. La douleur

comme l’eau d’un lac

frémit et t’entoure.

Ce sont des ronds sur l’eau.

Tu les laisses s’évanouir.

Tu es la terre et la mort.

3 décembre 1945

 

Traduit de l’italien par Gilles de Van

In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra

et elle aura tes yeux ».

Editions Gallimard, 1969

 

.........................................................................

Tu as un visage de pierre sculptée,

un sang de terre dure,

tu es venue de la mer.

Tu accueilles et scrutes toutes choses

puis les rejettes loin de toi

comme fait la mer.

Ton cœur garde le silence

de paroles ravalées.

Tu es sombre.

A toi l’aube ne parle pas.

 

Tu es comme les voix

de la terre ; comme le heurt

d’un seau dans le puits,

la chanson du feu,

la chute d’une pomme, les paroles résignées

et mornes sur le seuil des portes,

le cris des enfants : toutes choses

qui ne passent jamais.

Tu ne changes pas. Tu es sombre.

 

Tu es le cellier clos

à l’aire battue,

où l‘enfant est entré

un jour, pieds nus,

il y songe sans cesse.

Tu es la triste chambre

à laquelle on repense toujours

comme à l’antique cour

où l’aube se déployait..

.............................................................

 

Traduit de l’italien par Geneviève Burckhardt

In, « Italie poétique contemporaine »

Editions du Dauphin, 1968

Du même auteur :

Paysage, Paysage I, II, III, IV(18/04/2016)

La mort viendra et elle aura tes yeux / Verrà la morte e avrà i tuoi occhi (18/04/2018)

Paysage VIII / Paesaggio VIII (18/04/2019)

Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020) 

Eté – Eté 1 / Estate – Estate I (18/04/2021)

L’Etoile du matin / Lo steddazzu (05/10/2021)

Dépaysement / Gente Spaesata (18/04/2022) 

Manie de solitude / Mania di solitudine (05/10/2022)

Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023)

Marc en septembre / Grappa a settembre (18/04/2024)

 

La terra e la morte

(1945-1946) 

 

 

Terra rossa terra nera,

tu vieni dal mare,

dal verde riarso,

dove sono parole

antiche e fatica sanguigna

e gerani tra i sassi ‒

non sai quanto porti

di mare parole e fatica,

tu ricca come un ricordo,

come la brulla campagna,

tu dura e dolcissima

parola, antica per sangue

raccolto negli occhi;

giovane, come un frutto

che è ricordo e stagione ‒

il tuo fiato riposa

sotto il cielo d'agosto,

le olive del tuo sguardo

addolciscono il mare,

e tu vivi rivivi

senza stupire, certa

come la terra, buia

come la terra, frantoio

di stagioni e di sogni

che alla luna si scopre

antichissimo, come

le mani di tua madre,

la conca del braciere.

27 ottobre '45

 

 

Tu sei come una terra

che nessuno ha mai detto.

Tu non attendi nulla

se non la parola

che sgorgherà dal fondo

come un frutto tra i rami.

C'è un vento che ti giunge.

Cose secche e rimorte

t'ingombrano e vanno nel vento.

Membra e parole antiche.

Tu tremi nell'estate.

29 ottobre '45

 

 

Anche tu sei collina

e sentiero di sassi

e gioco nei canneti,

e conosci la vigna

che di notte tace.

Tu non dici parole.

 

C'è una terra che tace

e non è terra tua.

C'è un silenzio che dura

sulle piante e sui colli.

Ci son acque e campagne.

Sei un chiuso silenzio

che non cede, sei labbra

e occhi bui. Sei la vigna.

 

È una terra che attende

e non dice parola.

Sono passati giorni

sotto cieli ardenti.

Tu hai giocato alle nubi.

È una terra cattiva ‒

la tua fronte lo sa.

Anche questo è la vigna.

 

Ritroverai le nubi

e il canneto, e le voci

come un'ombra di luna.

 

Ritroverai parole

oltre la vita breve

e notturna dei giochi,

oltre l'infanzia accesa.

Sarà dolce tacere.

Sei la terra e la vigna.

Un acceso silenzio

brucerà la campagna

come i falò la sera.

30‒31 ottobre '45

 

 

Hai viso di terra scolpita,

sangue di terra dura,

sei venuta dal mare.

Tutto accogli e scruti

e respingi da te

come il mare. Nel cuore

hai silenzio, hai parole

inghiottite. Sei buia.

Per te l'alba è silenzio.

 

E sei come le voci

della terra ‒ l'urto

della secchia nel pozzo,

la canzone del fuoco,

il tonfo di una mela;

le parole rassegnate

e cupe sulle soglie,

il grido del bimbo ‒ le cose

che non passano mai.

Tu non muti. Sei buia.

 

Sei la cantina chiusa,

dal battuto di terra,

dov'è entrato una volta

ch'era scalzo il bambino,

e ci ripensa sempre.

Sei la camera buia

cui si ripensa sempre,

come al cortile antico

dove s'apriva l'alba.

5 novembre '45

 

 

Tu non sai le colline

dove si è sparso il sangue.

Tutti quanti fuggimmo

tutti quanti gettammo

l'arma e il nome. Una donna

ci guardava fuggire.

Uno solo di noi

si fermò a pugno chiuso,

vide il cielo vuoto,

chinò il capo e morì

sotto il muro, tacendo.

Ora è un cencio di sangue

e il suo nome. Una donna

ci aspetta alle colline.

9 novembre '45

 

 

Di salmastro e di terra

è il tuo sguardo. Un giorno

hai stillato di mare.

Ci sono state piante

al tuo fianco, calde,

sanno ancora di te.

L'agave e l'oleandro.

Tutto chiudi negli occhi.

Di salmastro e di terra

hai le vene, il fiato.

Bava di vento caldo,

ombre di solleone ‒

tutto chiudi in te.

Sei la voce roca

della campagna, il grido

della quaglia nascosta,

il tepore del sasso.

La campagna è fatica,

la campagna è dolore

Con la notte il gesto

del contadino tace.

Sei la grande fatica

e la notte che sazia.

 

Come la roccia e l'erba,

come terra, sei chiusa;

ti sbatti come il mare.

La parola non c'è

che ti può possedere

o fermare. Cogli

come la terra gli urti,

e ne fai vita, fiato

che carezza, silenzio.

Sei riarsa come il mare,

come un frutto di scoglio,

e non dici parole

e nessuno ti parla.

15 novembre '45

 

 

Sempre vieni dal mare

e ne hai la voce roca,

empre hai occhi segreti

d'acqua viva tra i rovi,

e fronte bassa, come

cielo basso di nubi.

Ogni volta rivivi

come una cosa antica

e selvaggia, che il cuore

già sapeva e si serra.

 

Ogni volta è uno strappo,

ogni volta è la morte.

Noi sempre combattemmo.

Chi si risolve all'urto

ha gustato la morte

la porta nel sangue.

Come buoni nemici

che non s'odiano più

noi abbiamo una stessa

voce, una stessa pena

viviamo affrontati

sotto povero cielo.

Tra noi non insidie,

non inutili cose ‒

combatteremo sempre.

 

Combatteremo ancora,

combatteremo sempre,

perché cerchiamo il sonno

della morte affiancati,

abbiamo voce roca

fronte bassa e selvaggia

un identico cielo.

Fummo fatti per questo.

Se tu od io cede all'urto,

segue una notte lunga

che non è pace o tregua

non è morte vera.

Tu non sei piú. Le braccia

si dibattono invano.

 

Fin che ci trema il cuore.

Hanno detto un tuo nome.

Ricomincia la morte.

Cosa ignota e selvaggia

sei rinata dal mare.

19‒20 novembre '45

 

 

E allora noi vili

che amavamo la sera

bisbigliante, le case,

i sentieri sul fiume,

le luci rosse e sporche

di quei luoghi, il dolore

addolcito e taciuto ‒

noi strappammo le mani

dalla viva catena

e tacemmo, ma il cuore

ci sussultò di sangue,

e non fu piú dolcezza,

non fu piú abbandonarsi

al sentiero sul fiume ‒

‒ non piú servi, sapemmo

di essere soli e vivi.

23 novembre '45

 

 

Sei la terra e la morte.

La tua stagione è il buio

e il silenzio. Non vive

cosa che piú di te

sia remota dall'alba.

 

Quando sembri destarti

sei soltanto dolore,

l'hai negli occhi e nel sangue

ma tu non senti. Vivi

come vive una pietra,

come la terra dura.

E ti vestono sogni

movimenti singulti

che tu ignori. Il dolore

come l'acqua di un lago

trepida e ti circonda.

Sono cerchi sull'acqua.

Tu li lasci svanire.

Sei la terra e la morte.

3 dicembre '45

 

Poème précédent en italien :

Michel-Ange / Michelangelo Buonarotti : « Avec ce coeur de soufre… » / « Al cor di zolfo… » (14/01/2017) 

Poème suivant en italien : 

Giuseppe Ungaretti: Les fleuves / I fiumi (13/05/2017)

 

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