Cesare Pavese (1908 – 1950) : La terre et la mort / La terra e la morte
La terre et la mort
Terre rouge terre noire,
tu viens de la mer,
des campagnes brûlées
où sont les mots anciens
et des peines de sang
et des géraniums
entre les rochers –
tu ne sais pas ton poids
de mer de mots de peines,
ô toi riche comme un souvenir,
comme l’aride campagne,
ô toi dure et très douce
parole, ancienne par le sang
amassé dans tes yeux ;
jeune, comme un fruit
qui est souvenir et saison –
ton haleine repose
sous le ciel de l’été,
tes regards en olive
adoucissent la mer,
et tu vis, tu revis
sans t’étonner, certaine
comme la terre, sombre
comme la terre, pressoir
de saisons et de songes
que la lune révèle
d’un âge très ancien,
comme les mains de ta mère,
comme l’âtre du foyer.
27 octobre 1945
*
Tu es comme une terre
que personne jamais n’a nommée.
Tu n’attends rien
si ce n’est la parole
qui jaillira du fond
comme un fruit dans les branches.
Un vent vient jusqu’à toi.
Arides et fanées, des choses
t’encombrent et vont au gré du vent.
Membres et mots anciens.
Tu trembles dans l’été.
29 octobre 1945
*
Toi aussi tu es colline
et sentier de rochers,
brise dans les roseaux,
et tu connais la vigne
qui se tait à la nuit.
Tu es sans paroles.
Il y a une terre taciturne
et ce n’est pas la terre.
Un silence qui dure
sur arbres et collines.
Des eaux et des campagnes.
Tu es silence muré,
inflexible, tu es lèvres,
sombres yeux. Tu es la vigne.
C’est une terre qui attend
et qui est sans paroles.
Des journées ont passé
sous les cieux enflammés.
Tu as joué aux nuages.
C’est une terre mauvaise –
e ton front le sait bien.
Ca aussi, c’est la vigne.
Tu retrouveras
nuages et roseaux, et les voix
comme une ombre de lune.
Tu retrouveras des paroles
par-delà la vie brève
et nocturne des jeux,
et l’enfance fervente.
Le silence sera doux.
Tu es la terre et la vigne.
Un silence fervent
brûlera la campagne
comme les feux au soir.
30-31 octobre 1945
*
Ton visage est de pierre sculptée,
ton sang de terre dure,
tu es venue de la mer.
Tu accueilles, tu scrutes
et repousses loin de toi
ou comme la mer. Ton cœur
n’est que silence, que paroles
englouties. Tu es sombre.
Pour toi l’aube est silence.
Et tu es comme les voix
de la terre – le choc
du seau contre le puits,
ou la chanson du feu,
ou la pomme qui tombe ;
les paroles résignées et amères
sur le pas des maisons,
les cris d’enfants – les choses
qui ne passent jamais.
Tu es sombre. Immuable.
Tu es la cave fermée
au sol de terre battue,
où l‘enfant est entré
une fois, les pieds nus,
et sans cesse il y pense.
Tu es la chambre sombre
qu’on évoque sans cesse,
comme l’ancienne cour
où l’aube se levait.
5 novembre 1945
*
Tu ne sais les collines
où le sang a coulé.
Nous avons tous fui,
nous avons tous jeté
nos armes et notre honneur. Une femme
nous regardait fuir.
Un seul parmi nous
s’arrêta, poing fermé,
regarda le ciel vide,
pencha la tête et mourut
sous le mur, en silence.
Maintenant, c’est un haillon sanglant
et un nom. Une femme
nous attend sur les collines.
9 novembre 1945
*
De saumure et de terre
est ton regard. Un jour
tu as ruisselé de mer
Il y a eu des plantes
qui, chaudes, t’entouraient,
elles gardent ton empreinte.
L’agave et l’oléandre.
Tout s’inscrit dans tes yeux.
De saumure et de terre
sont tes veines, ton souffle.
Bave de vent chaud,
ombres de canicule –
en toi tout est inscrit.
Tu es la voix rauque
de la campagne, le cri
de la caille tapie,
la chaleur de la pierre.
La campagne est labeur,
la campagne est douleur.
Avec la nuit le geste
du paysan se tait.
Tu es la lourde peine,
la nuit qui rassasie.
Comme l’herbe et le roc,
comme la terre, tu es secrète ;
tu te brises comme la mer.
Il n’est pas de parole
qui puisse te posséder
ou t’arrêter. Tu accueilles
tes heurts comme la terre
et par toi ils deviennent
vie, haleine caressante, silence.
Tu es brûlée comme la mer,
comme le fruit de l’écueil,
et tu es sans paroles
et personne ne te parle.
15 novembre 1945
*
Toujours tu surgis de la mer
et tu en as la voix rauque,
toujours, tu as des yeux secrets
d’eau vive entre les ronces
un front bas comme un ciel
où les nuages sont bas.
Chaque fois tu revis
comme une chose ancienne,
sauvage, que le cœur
connaissait et il se serre.
Chaque fois, c’est un déchirement,
chaque fois c’est la mort.
Un combat de toujours.
Qui accepte le heurt
a gouté à la mort
et la porte en son sang.
Tels de bons ennemis
qui ont cessé de haïr
nous avons une même
voix, une même peine,
nous vivons affrontés
sous un ciel misérable.
Pas d’embûches entre nous,
pas de choses inutiles –
nous combattrons toujours.
Nous combattrons encore,
nous combattrons toujours,
recherchant le sommeil
de la mort côte à côte,
nous avons la voix rauque,
le front bas et sauvage
et un ciel identique.
Nous fûmes faits pour ça.
Qu’un de nous cède au heurt,
une longue nuit suit
qui n’est ni paix ni trêve
ni la mort véritable.
Tu n’es plus. C’est en vain
que les bras se débattent.
Tant que notre coeur tremble.
On a dit un de tes noms,
et la mort recommence.
Inconnue et sauvage
tu es renée de la mer.
19-20 novembre 1945
*
Et nous lâches alors
qui aimions le murmure
du soir, et les maisons,
les sentiers sur le fleuve,
les lumières rouges et sales
de ces lieux, la douleur
apaisée, silencieuse –
nous arrachâmes nos mains
de la vivante chaîne
et nous nous tûmes, mais au cœur
notre sang tressaillit,
il n’y eut plus de douceur,
il n’y eut plus d’abandon
au sentier sur le fleuve –
sans plus être esclaves, nous sûmes
que nous étions seuls et vivants.
23 novembre 1945
*
Tu es la terre et la mort.
Ta saison est ténèbres
et silence. Rien ne vit
qui soit plus étranger
à l’aube que tu n’es.
Quand tu sembles t’éveiller
tu n’es rien que douleur,
elle est dans ton regard, dans ton sang
mais tu es insensible. Tu vis
comme vit une pierre,
comme la terre dure.
Et des songes te vêtent
des mouvements des spasmes
que tu ignores. La douleur
comme l’eau d’un lac
frémit et t’entoure.
Ce sont des ronds sur l’eau.
Tu les laisses s’évanouir.
Tu es la terre et la mort.
3 décembre 1945
Traduit de l’italien par Gilles de Van
In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra
et elle aura tes yeux ».
Editions Gallimard, 1969
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Tu as un visage de pierre sculptée,
un sang de terre dure,
tu es venue de la mer.
Tu accueilles et scrutes toutes choses
puis les rejettes loin de toi
comme fait la mer.
Ton cœur garde le silence
de paroles ravalées.
Tu es sombre.
A toi l’aube ne parle pas.
Tu es comme les voix
de la terre ; comme le heurt
d’un seau dans le puits,
la chanson du feu,
la chute d’une pomme, les paroles résignées
et mornes sur le seuil des portes,
le cris des enfants : toutes choses
qui ne passent jamais.
Tu ne changes pas. Tu es sombre.
Tu es le cellier clos
à l’aire battue,
où l‘enfant est entré
un jour, pieds nus,
il y songe sans cesse.
Tu es la triste chambre
à laquelle on repense toujours
comme à l’antique cour
où l’aube se déployait..
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Traduit de l’italien par Geneviève Burckhardt
In, « Italie poétique contemporaine »
Editions du Dauphin, 1968
Du même auteur :
Paysage, Paysage I, II, III, IV(18/04/2016)
La mort viendra et elle aura tes yeux / Verrà la morte e avrà i tuoi occhi (18/04/2018)
Paysage VIII / Paesaggio VIII (18/04/2019)
Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020)
Eté – Eté 1 / Estate – Estate I (18/04/2021)
L’Etoile du matin / Lo steddazzu (05/10/2021)
Dépaysement / Gente Spaesata (18/04/2022)
Manie de solitude / Mania di solitudine (05/10/2022)
Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023)
Marc en septembre / Grappa a settembre (18/04/2024)
La terra e la morte
(1945-1946)
Terra rossa terra nera,
tu vieni dal mare,
dal verde riarso,
dove sono parole
antiche e fatica sanguigna
e gerani tra i sassi ‒
non sai quanto porti
di mare parole e fatica,
tu ricca come un ricordo,
come la brulla campagna,
tu dura e dolcissima
parola, antica per sangue
raccolto negli occhi;
giovane, come un frutto
che è ricordo e stagione ‒
il tuo fiato riposa
sotto il cielo d'agosto,
le olive del tuo sguardo
addolciscono il mare,
e tu vivi rivivi
senza stupire, certa
come la terra, buia
come la terra, frantoio
di stagioni e di sogni
che alla luna si scopre
antichissimo, come
le mani di tua madre,
la conca del braciere.
27 ottobre '45
Tu sei come una terra
che nessuno ha mai detto.
Tu non attendi nulla
se non la parola
che sgorgherà dal fondo
come un frutto tra i rami.
C'è un vento che ti giunge.
Cose secche e rimorte
t'ingombrano e vanno nel vento.
Membra e parole antiche.
Tu tremi nell'estate.
29 ottobre '45
Anche tu sei collina
e sentiero di sassi
e gioco nei canneti,
e conosci la vigna
che di notte tace.
Tu non dici parole.
C'è una terra che tace
e non è terra tua.
C'è un silenzio che dura
sulle piante e sui colli.
Ci son acque e campagne.
Sei un chiuso silenzio
che non cede, sei labbra
e occhi bui. Sei la vigna.
È una terra che attende
e non dice parola.
Sono passati giorni
sotto cieli ardenti.
Tu hai giocato alle nubi.
È una terra cattiva ‒
la tua fronte lo sa.
Anche questo è la vigna.
Ritroverai le nubi
e il canneto, e le voci
come un'ombra di luna.
Ritroverai parole
oltre la vita breve
e notturna dei giochi,
oltre l'infanzia accesa.
Sarà dolce tacere.
Sei la terra e la vigna.
Un acceso silenzio
brucerà la campagna
come i falò la sera.
30‒31 ottobre '45
Hai viso di terra scolpita,
sangue di terra dura,
sei venuta dal mare.
Tutto accogli e scruti
e respingi da te
come il mare. Nel cuore
hai silenzio, hai parole
inghiottite. Sei buia.
Per te l'alba è silenzio.
E sei come le voci
della terra ‒ l'urto
della secchia nel pozzo,
la canzone del fuoco,
il tonfo di una mela;
le parole rassegnate
e cupe sulle soglie,
il grido del bimbo ‒ le cose
che non passano mai.
Tu non muti. Sei buia.
Sei la cantina chiusa,
dal battuto di terra,
dov'è entrato una volta
ch'era scalzo il bambino,
e ci ripensa sempre.
Sei la camera buia
cui si ripensa sempre,
come al cortile antico
dove s'apriva l'alba.
5 novembre '45
Tu non sai le colline
dove si è sparso il sangue.
Tutti quanti fuggimmo
tutti quanti gettammo
l'arma e il nome. Una donna
ci guardava fuggire.
Uno solo di noi
si fermò a pugno chiuso,
vide il cielo vuoto,
chinò il capo e morì
sotto il muro, tacendo.
Ora è un cencio di sangue
e il suo nome. Una donna
ci aspetta alle colline.
9 novembre '45
Di salmastro e di terra
è il tuo sguardo. Un giorno
hai stillato di mare.
Ci sono state piante
al tuo fianco, calde,
sanno ancora di te.
L'agave e l'oleandro.
Tutto chiudi negli occhi.
Di salmastro e di terra
hai le vene, il fiato.
Bava di vento caldo,
ombre di solleone ‒
tutto chiudi in te.
Sei la voce roca
della campagna, il grido
della quaglia nascosta,
il tepore del sasso.
La campagna è fatica,
la campagna è dolore
Con la notte il gesto
del contadino tace.
Sei la grande fatica
e la notte che sazia.
Come la roccia e l'erba,
come terra, sei chiusa;
ti sbatti come il mare.
La parola non c'è
che ti può possedere
o fermare. Cogli
come la terra gli urti,
e ne fai vita, fiato
che carezza, silenzio.
Sei riarsa come il mare,
come un frutto di scoglio,
e non dici parole
e nessuno ti parla.
15 novembre '45
Sempre vieni dal mare
e ne hai la voce roca,
empre hai occhi segreti
d'acqua viva tra i rovi,
e fronte bassa, come
cielo basso di nubi.
Ogni volta rivivi
come una cosa antica
e selvaggia, che il cuore
già sapeva e si serra.
Ogni volta è uno strappo,
ogni volta è la morte.
Noi sempre combattemmo.
Chi si risolve all'urto
ha gustato la morte
la porta nel sangue.
Come buoni nemici
che non s'odiano più
noi abbiamo una stessa
voce, una stessa pena
viviamo affrontati
sotto povero cielo.
Tra noi non insidie,
non inutili cose ‒
combatteremo sempre.
Combatteremo ancora,
combatteremo sempre,
perché cerchiamo il sonno
della morte affiancati,
abbiamo voce roca
fronte bassa e selvaggia
un identico cielo.
Fummo fatti per questo.
Se tu od io cede all'urto,
segue una notte lunga
che non è pace o tregua
non è morte vera.
Tu non sei piú. Le braccia
si dibattono invano.
Fin che ci trema il cuore.
Hanno detto un tuo nome.
Ricomincia la morte.
Cosa ignota e selvaggia
sei rinata dal mare.
19‒20 novembre '45
E allora noi vili
che amavamo la sera
bisbigliante, le case,
i sentieri sul fiume,
le luci rosse e sporche
di quei luoghi, il dolore
addolcito e taciuto ‒
noi strappammo le mani
dalla viva catena
e tacemmo, ma il cuore
ci sussultò di sangue,
e non fu piú dolcezza,
non fu piú abbandonarsi
al sentiero sul fiume ‒
‒ non piú servi, sapemmo
di essere soli e vivi.
23 novembre '45
Sei la terra e la morte.
La tua stagione è il buio
e il silenzio. Non vive
cosa che piú di te
sia remota dall'alba.
Quando sembri destarti
sei soltanto dolore,
l'hai negli occhi e nel sangue
ma tu non senti. Vivi
come vive una pietra,
come la terra dura.
E ti vestono sogni
movimenti singulti
che tu ignori. Il dolore
come l'acqua di un lago
trepida e ti circonda.
Sono cerchi sull'acqua.
Tu li lasci svanire.
Sei la terra e la morte.
3 dicembre '45
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