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Le bar à poèmes
18 mars 2017

Francis Jammes (1868 – 1938) : Quelle est cette lumière ?

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Quelle est cette lumière ?

 

Le Poète

Quelle est cette lumière qui est presque de l’ombre ?

 

La Petite Vieille

C’est l’aube qui va accoucher. Elle se gonfle.

Elle va accoucher de tout ce qu’on verra :

du soleil et de l’eau, de la terre et des bois.

 

Le Poète

Qu’est-ce qui luit ?

 

La Petite Vieille

 

                                             C’est un lac sous la lune de givre.

Il tremble et fume sous les aulnes de la rive.

Quel silence. On dirait, la brume s’élevant,

que tout le lac s’élève en devenant d’argent.

La poule d’eau effarouchée le bat de l’aile.

De l’argent. De l’argent. Tout le lac est d’argent.

C’est un silence qui est glacé et qui brille.

Attends. Je veux cueillir pour cette jeune fille

qui est nue et t’attend dans un  nid de rosée,

un bouquet de brouillard en fruits de clématites. 

 

Le Poète

Vieille, ne vas-tu pas trop remplir ton cabas ?

Il y a déjà tant de choses…

 

La Petite Vieille

                                                       Que non pas

car rien ne peut combler un cabas de pauvresse.

Ces fruits sont des duvets de brouillard qui s’effrange

 

Le Poète

Dis ? N’est-ce-pas là-bas des brumes d’ailes d’anges ?

On sent passer des vols de choses immobiles.

O divine et cocasse vieille ! La beauté

de tout ce que je vois d’heure en heure s’augmente.

De quel charme l’enchantes-tu ?

 

La Petite Vieille

                                                     De pauvreté.

L’air est un océan. L’Aube accouche la Terre.

Les coteaux surgissants, pareils à des baleines,

nagent vers le soleil et bondissent. Un char

crie, écrasant là-bas le gravier de la boue.

La vie commence. Vois : les herbes les plus petites

commencent une à une à se montrer. Voici

l’euphorbe d’or, la véronique bleue, la mousse.

Sens-les vivre dans leur bonté modeste et douce.

On ne les entend point. La rosée est leur voix.

Leur âme tendrement un jour se fanera.

On les a surnommées les simples, simplement.

Elles ont un devoir ignoré, comme nous.

Elles ont toujours l’air de prier à genoux.

 

Le deuil des primevères

Editions du Mercure de France,1901

Du même auteur :

« j’aime dans le temps… » (07/12/2014)

« J’allais dans le verger… » (18/03/2016)

Prière pour avoir la foi dans la forêt (18/03/2018)

 

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