Paul Dirmeikis (1954 -) : Etat des lieux modifié (Fugue 1)
Etat des lieux modifié
Fugue n°1
TOUJOURS S’EN VA toujours cette chose à l’angle
toujours s’engame le seulet à ces tresses de nuages,
des schistes où la mousse sait tant manger du souvenir,
au-dessus de ses aires de fortune, entre les guerres
s’en va toujours ce rouge-gorge veillant les premiers enfants
& les ombres, on laissera flânocher la barque au fil de l’eau,
à la lisière des premiers noms, toujours s’en va
dérivant loin des tanières & des songes nonchalants,
à chaque souffle le souffle d’une mère, rassemblant
on priera encore & encore & encore jusqu’à cette invariable
sa maisonnée dès la tombée du jour & son linge
tristesse des chevaux & toujours s’engame ce même
enfin sec, & ses désirs de mère plus impatients
solitaire à un autre cœur de décembre & on s’approchera
qu’un rouge -gorge & plus nécessiteux que ceux-là
sans bruit, ainsi qu’un ruisseau s’immisçant au milieu
parmi les plus pauvres & pourtant princiers, toujours
des bêtes assoupies & d’un coup, tel un coq en colère,
chaque jour & plusieurs, & s’en va le mouchoir sali
se dresserait le rauque éclair de la lampe, & toujours
de l’adieu, & l’ami, serré dans les bras de la pluie s’en va
engamant la nuit & ses buissons & sa grêle rosée de nuit,
avant la fin du sourire, à l’angle des maisons mangées de mousses
le seulet, le solitaire, celui qui dort à part, front contre
à cause de l’oubli & du soleil croupissant, & toujours
le gel & les traces fugaces des bêtes qui s’enfuient,
se souvenant & toujours s’arrachant des dents
celui-là même qui tutoie l’obscur & la pluie crépitant
ce rogaton de peau au long d’un ongle & cette brûlure
sur l’ardoise, oui, celui-là n’est-ce pas, qui décline
qui perdurera & l’envol du rouge-gorge & la vie
un peu plus chaque jour & s’agenouille & prie & prie
qui toujours brûlera & çà, qui est caché sous l’oreiller
& prie encore & encore, malgré la richesse des ruches
avec les dents de lait & les mains sèches & la terre
malgré l’intelligence des gens, celui-là purgeant sa mélancolie,
collée aux ongles & la porte entrebâillée, pour savoir
& laissant blanchir son front & s’émonder les jours passés,
ce qui se dit au dessert, avec ces lacis de versets
qui donc le préviendra de tant de pièges, & d’un chardon
& ces points de suspension & la vie des morts
lui griffera les yeux, qui donc lui révèlera ce reliquat
toujours là, s’immisçant sous la mousse des noms
au fond des poches, ah, que de sommeil voudrait-on
& toujours le fébrile rouge-gorge du corps, de là à là
encore pout transhumer ses rêves à l’autre bout du jardin
toujours, & l’harmonie des nuits à l’angle, là où quelque bête
& sereinement pisser sur le muret des regrets & ses longues
domestique se sera lovée sur sa quiétude fébrile de bête,
orties & vider sa mémoire au petit matin, à cette heure
on a faim toujours des choses proches & sûres, tel un travail
où l’amour est à flâner & les paupières à peine dessillées,
long à achever, tel un lacet à resserrer, toujours
& alors, à cette douleur toujours de la mort & à sa beauté
on se souviendra du comment, toujours on aura
toujours ignorée on fera place & aux ronces ligneuses
ce rouge-gorge entre les dents, on ne mordra pas, non,
de la mort on fera place & au long ruisseau
on gardera juste le goût de cette mort sûre & proche
de la mort on fera place & à l’eau si longtemps gelée
on rassemblera les syllabes éparpillées pour en serrer
de la mort on fera place & toujours & toujours & toujours
un bouquet sur le guéridon, près des médicaments,
& toujours s’engamera le seulet à ces tresses de nuages,
& le limon de l’obscurité, avec sa posologie à suivre
& on laisse flânocher la barque au fil de l’eau
Toujours
Mordre au travers, 22190 Plérin, 2021
Du même auteur :
Laudes du bois (20/04/2019)
L’Epaule d’Orphée (21/04/2020)
Laudes du feu (21/04/2021)
L’anneau des frontières (I-XI) (21/04/2022)
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