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Le bar à poèmes
6 mai 2023

Miguel Angel Asturias (1899 - 1974) : Méditation devant le lac Titicaca / Meditación frente al lago Titicaca

asturias_cuba[1]

 

Méditation devant le lac Titicaca

 

 

Voici venir le courrier volant des semailles

qui dépose ses lettres chaussées d’enveloppes

de graines, et contemple les noces du mât

et de l’Indien, profil frappé en monnaie sur la lune :

pour arrêter ses dents, et le blanc de ses yeux

ouverts pour regarder, regarder, regarder

tous ceux qui l’humilient, qui l’attachent, le mordent ;

pour branchies le sifflement de ses poumons, océans exténués,

et le sel de la sueur, sueur salée de la peau,

sel qui s’exhale de lui-même, du sel de la fatigue,

lorsque le ciel éponge l’ombre de la terre

et qu’il ôte à l’Indien sa peau d’homme épuisé

contre des sens baignés d’une fraîcheur sereine

et mûre, fraîcheur d’aube ou fraîcheur de caverne.

 

Celui qui est Indien sait bien que tout cela

veut dire : être d’ici, de l’Amérique ;

premier chatouillement des pleurs et de la brise,

combat contre les crocs dans les mufles du doute,

force effrénée qui débouche et se précipite,

pétrie dans tout ce qui respire et fatigue et conduit

à la bonté prophétique de l’homme

qui, regardant, baisse les yeux, qui écoutant, baisse l’oreille,

et, surpris dans ses sens, se penche depuis ses entrailles muettes

jusqu’aux abords secrets et suaves

de l’eau couchée dans son haleine.

 

Pourquoi suis-je venu jusqu’ici étudier

le trille, si le miel seul ici s’étudie,

le miel céleste, ici où tombent

les reflets de sommets aux parfums d’herbe ancienne ?...

(O la libre racine d’une pensée

fleurie aux thyrses des parfums !)

Angoisse insaisissable du plaisir de vivre.

Plaisir qu’on laisse derrière soi

tout comme le souci de se couper et recouper les ongles

aux ciseaux, comme les cheveux.

 

La vie du haut plateau au cœur du paysage

m’escorte en mon voyage, aujourd’hui-même, aujourd’hui-même,

oh ! dites-le à mes amis,

aux spectres de mes étudiants, à mes enfants ,

aux femmes de ma chair,

et à l’eau du sol que je porte

contre la plante de mes pieds cicatrisée,

depuis que je me suis arraché à ma terre,

moi qui ne pourrais plus m’attacher nulle part

sans courir le péril d’être changé en arbre !

Oui, je cours le péril d’être changé en arbre. Pour cela

je m’en vais demain, aujourd’hui, en cet instant

qui peut-être fatal à l’homme qui, vivant,

revêt une peau de feuillage.

 

Tranchez net mes racines avec les fers les plus profonds

avec les haches les plus dures, tranchez mes branches

avec l’acier de votre chant,

que mes racines cessent ici de s’accroitre,

mes racines que guide leur subconscience végétale,

parce que mon corps a été humus :

sa peau brûlée muée en écorce,

sa salive en sève exténuée,

ses narines en suc,

ses cheveux en cheveux de nopal,

maintenant chevelure de cacique,

et tout l’engrenage des dents

en rire d’épis de maïs que protègent les thyms,

le timide ravin, la fronde belliqueuse du cactus !

Tranchez net mes racines, mes branches et leur ombre !

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon,

In, Miguel Angel Asturias : « Messages indiens »

Pierre Seghers, 1958

Du même auteur :

Le grand diseur évoque ceux qui passèrent (06/05/2016) 

Marimba jouée par les Indiens /Marimba tocada por indios (06/05/2017)

Litanies de l’exilé /Letanías del desterrado (06/05/2018)

Técoun-Oumane (06/05/2019)

Si haut le Sud (06/05/2020)

Les Indiens descendent de Mixco / Los indios bajan de Mixco (06/05/2021)

Le grand diseur parle des hommes (06/05/2022)

 

Meditación frente al lago Titicaca

 

Aquí viene el presuroso correo de las siembras

a descalzar sus cartas que llegan en zapatos

de sobres de semillas, a la boda del mástil

y el perfil del indígena troquelado en la luna:

por espinas sus dientes y el blanco de sus ojos

abiertos para mirar, para mirar, para mirar a todos

los que lo atan, lo humillan y lo muerden;

por aletas el silbo de sus pulmones, mares de fatiga,

y por su estar siempre salóbrego, en piel de sal,

de sal de él mismo que se sale en la sal de su cansancio,

cuando enjuga el cielo la sombra de la tierra

y a él le muda ese pellejo de hombre trabajado,

por un dulce sentido, fresco baño de serena y madura

manera de alba y fruta.



El que es indio sabe bien lo que esto significa:

es ser de aquí, de donde es América;

la primera cosquilla del llanto y de la brisa,

lo que combate en fauces de la duda,

lo que desemboca desbocándose,

amasado con todo lo que alienta, desalienta y conduce

a la bondad profética del hombre

que al ver, suelta los ojos, al oír suelta el oído

y al sentir se suelta él mismo de sus entrañas mudas

a las suaves y astutas vecindades

del agua recostada en su aliento.



No sé por qué he venido a estudiar el trino,

si aquí se estudia miel, la miel del cielo,

aquí bajan reflejos de los montes

olorosos a yerbas veteranas...

(¡Oh la libre raíz de un pensamiento

de flor en manos del aroma!)

No comprender el duelo en que se vive lo gozado.

Se va quedando el gozo atrás de uno

y el gasto de las uñas que se cortan y cortan

igual que los cabellos, con tijeras.



La vida de la puna en el paisaje

va de viaje conmigo, hoy mismo, hoy mismo,

comunicadlo a mis amigos,

a los espectros de mis estudiantes y mis niños,

a las mujeres de mi carne

y a la humedad del suelo que llevo

en la planta de los pies cicatrizada,

después que me arrancara de mi tierra

al costo de no estar nunca en un sitio,

por el peligro de volverme árbol.

Corro el peligro de volverme árbol y por eso me voy,

mañana mismo, hoy mismo, en este instante

que puede ser fatal para el que vive

con la piel de la hoja siendo humano.



¡Cortad, cortadme las raíces con los filos más hondos,

con las hachas más duras, y cortadme las ramas

con los filos del canto,

para que no se multipliquen mis raíces aquí,

mis raíces de subconciencia vegetal,

porque mi ser ha sido humus:

tiene la piel quemada de corteza,

la saliva de jugo de fatiga,

las narices de zumo,

el pelo de pelo de nopal,

ya cabellera de cacique,

y todo el engranaje de los dientes

de risa de mazorca conseguida a favor de los tomillos,

la tímida hondonada y la honda de pita pendenciera!

¡Cortadme las raíces, las ramas y la sombra!

 

Poème précédent en espagnol :

Esperanza López Parada  : Stèle d’un marcheur inconnu / Estela de un caminante desconocido (06/04/2023)

Poème suivant en espagnol :

Angel González : Rien n’est pareil / Nada es lo mismo (18/05/2023)

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