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Le bar à poèmes
5 mai 2022

Miguel Angel Asturias (1899 – 1974) : Le grand diseur parle des hommes

 

images[1]A. Bicis, 1967

 

Le Grand diseur parle des hommes

 

Nous avons ceint les diadèmes du feu,

les diadèmes de l’homme, il fallait défendre nos biens,

notre sol ancestral, sans le trafic des maîtres ;

nous avons pris les clefs de l’avenir où commencent le temps

et le ciel que traverse

celui qui pour marcher a des sandales d’or ;

nous nous sommes vêtus de plumes sidérales,

brodant sur nos plastrons de silence ouatés

la fleur de la chance brûlante et héroïque ;

alors notre combat a commencé dans les montagnes et les campagnes,

et dans l’alignement des métiers à tisser,

dans les mots conjugués avec de la rosée,

dans les outils que nous baignions de notre sueur.

Nos poitrines reçurent le matin,

des seins de femmes aux yeux en pointe

virent le jour se lever sur les nouveau-nés

et les tribus furent nourries à ce lait tributaire

du bien et de la joie.

Nos mains reçurent le matin,

nos fronts reçurent le matin

et nul ne s’avança au-delà des cils de la mer,

soie écumeuse, et nul ne perturba le rythme de son pas.

Les têtes remuaient sur les cous,

s’inclinaient pour la révérence, se dressaient

pour marcher ou se tournaient et se retournaient (parler de l’homme)...

Combien de têtes ? Trop pour les compter. Têtes et cous,

thorax couverts de tatouages et de peaux, jambes et cuisses,

mollets, peau bien tendue pour exhiber sa force,

chevilles déliées, pieds longs en leur minceur

avec le langage des doigts, pieds d’un peuple racé

qui laissa le monde en arrière et calma les chemins.

Une grande assemblée. Comme une eau jaillie de la roche,

les yeux sur la pierre humide et lunaire des visages,

la pierre polie par le vent. Ils voyaient, ils parlaient,

inexistants et existants, dans le silence et la parole,

ils existaient quand ils parlaient, ils s’effaçaient en se taisant,

les mains sur les balances de leurs avant-bras

parés de bracelets qui pesaient les propos du sage,

donnaient des ailes à l’éloquence du devin

et s’ouvraient et se refermaient comme des feuilles de pavot

dans les doigts douloureux de l’extatique...

 

Cette assemblée, une seule voix l’exprimait : le Grand Diseur,

suivi et poursuivi, entre le jour et le sommeil,

par les mots, par les colibris,

la peau gracieuse de l’épi de maïs vert

et la douce robe des biches,

marinière du vent et des distances...

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

In, « Le Grand Diseur, suivi de Exercices poétiques en forme

de sonnets sur des thèmes d’Horace »

Editeurs français réunis (Petite sirène), 1975

Du même auteur :

Le grand diseur évoque ceux qui passèrent (06/05/2016) 

Marimba jouée par les Indiens /Marimba tocada por indios (06/05/2017)

Litanies de l’exilé /Letanías del desterrado (06/05/2018)

Técoun-Oumane (06/05/2019)

Si haut le Sud (06/05/2020)

Les Indiens descendent de Mixco / Los indios bajan de Mixco (06/05/2021)

Méditation devant le lac Titicaca / Meditación frente al lago Titicaca (06/05/2023)

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