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Le bar à poèmes
30 mars 2023

Eugène Guillevic (1907 – 1997) : Carnac (II)

guillevic[1]Source : Le temps des cerises, communiqué par Jean-Pierre Ravery (Le Maitron)

 

Carnac

............................................................................................

 

*

A Carnac d’autres vents

Font semblant d’apporter

Des souffles de vivants

Mais ne sont que passants.

*

Les herbes de Carnac

Sur les bords du chemin

Sont herbes d’épopée

Que le repos ne réduit pas.

*

Du milieu des menhirs

Le monde a l’air

 

De partir de là,

D’y revenir.

 

La lumière y est bien,

Pardonne.

 

Le ciel

A trouvé sa place.

*

Fermes à l’écart, hameaux,

Dans vos pins,

Dans vos chemins,

 

Vous n’êtes pas tout à fait sûrs

De votre assise.

 

Le silence

Est obligatoire.

*

Dans les terres

Bien souvent,

 

La misère

Est au gris fixe.

*

Besoin d’un départ

Marquant les hameaux et les fermes

 

Vers la vie, davantage de vie,

Vers la mort.

 

Tremblement tous les jours

Entre les deux.

*

Sur la route de la plage, la fontaine

Etait là comme venue d’ailleurs,

Mal habituée

 

- Ou c’était le reste

*

Parfois il y avait au large

Des lézards gris dormant

Sous une longue fumée.

 

La vue de l’escadre

Faisait du pays de Carnac

Un verre de lampe qui pouvait être cogné.

*

Avoue, soleil :

C’est toi l’étendue.

 

Avec de la mer

Ca te réussit.

 

Tu sais comment on peut

Apporter du vague

Au milieu du net

Et la mer s’y prête.

*

Sans toi d’ailleurs, soleil,

La mer serait encore

Cognant à l’infini,

Mais alors dans ce noir

 

Qu’on suspecte la mer

De vouloir devenir

 

Quand tu es là,

Soleil.

*

Amis, ennemis,

Le soleil, la mer,

 

Fatigués l’un de l’autre, habitués,

Mais décidés soudain

 

A dépasser enfin l’extrême du désir

Qu’ils savent, chacun d’eux,

Pouvoir atteindre sans se perdre au sein de l’autre.

 

Décidés à savoir

Ce qu’ils seront alors

 

Si la chose arrive

Que l’autre les prenne.

*

Soleil sur la mer,

Silence, un point fixe

 

Auquel vous tendez

Le soleil, la mer –

 

Et l’air qui se perd

A vous distinguer !

*

Le soleil, la mer,

Lequel de vous deux

Prétend calmer l’autre,

 

Au moyen de quoi ?

*

Vous voulez vous battre

Et vous n’arrivez à vous rencontrer

Que pour vous frôler.

*

Au point tu sais, toi, océan,

Qu’il est inutile

De rêver ta fin.

*

Oui, je t’ai vue sauvage, hors de ta possession,

Devant endosser les assauts du vent.

 

Je t’ai vue bafouée, recherchant ta vengeance

Et la faisant porter sur d’autres que le vent,

 

Mais je parle de toi quand tu n’es que toi-même,

Sans pouvoir que d’absorber.

*

« Désossée », « dégraissée »,

Ce sont des voix.

 

« Décolorée »,

« Grise, grise, grise »,

C’est une autre voix.

 

Elles t’en veulent, ces voix,

Elles sont dans le vent, dans le soleil,

Dans ta couleur, dans ta masse.

*

C’est bon, n’est-ce pas ?

De lécher le pied des rochers,

Ca te change de toi,

*

Sur la plage et les terres

Le soleil se rattrape.

 

Là il est maître et là

Ce n’est pas lui qu’il voit

Autant que dans la mer.

 

Là, il se voit le père.

*

A Carnac, le linge qui sèche

Sur les ajoncs et sur les cordes

 

Retient le plus joyeux

Du soleil et du vent.

 

Appel peut-être

A la musique.

*

Il y a dans les cours de fermes

Du purin qui ne s’en va pas

 

Et c’est pour leur donner

De l’épaisseur terrestre.

*

Que dis-tu de ce bleu

Que tu deviens sur les atlas ?

 

As-tu parfois rêvé

De ressembler à ça ?

*

On ne peut pas te boire,

Tu refuses nos corps,

 

Mais on te touche

Un peu.

 

On a ton goût surtout

Et ton odeur qui fait

S’agrandir la distance

 

Et parfois s’engouffrer

Dans le temps de tes origines.

*

Tu peux être fraîche

Et douce à la peau

Dans les jours d’été,

 

Mais tu ne parles pas

Des souvenirs communs d’il y a quelques temps,

Comme fait la source.

*

On peut plonger en toi.

 

Tu l’acceptes très bien,

Même tu le demandes.

 

Mais ce n’est que toucher

Un passé légendaire

Qui s’oublie dans ta masse

 

Dont tu parais absente.

*

Cet homme que tu prends,

Tu en as bientôt fait,

Au bout de quelques mètres,

Un objet simple et blanc

 

Qui n’a pour avenir

Que d’être plus défait

 

Au rythme régulier

De la tranquille exécution de tes sentences.

 

*

Prise entre des rochers

Au cours de la marée,

Tu t’y plais, on dirait.

 

Douce, douce, caressante –

Et c’est peut-être vrai.

*

Ils n’ont pas l’air de te comprendre,

Ceux qui vivent dans toi,

Ceux qui sont faits de toi,

Ces poissons, ces crevettes.

 

*

Il me semble pourtant

Qu’à bien les regarder,

Les toucher, les manger,

 

Ils nous disent de toi

Ce qu’on ne saurait pas,

 

Qu’ils nous disent surtout,

Ce que tu sens de toi.

*

Tu n’as pour te couvrir

Que le ciel évasé,

 

Les nuages sans poids

Que du vent fait changer.

 

Tu rêvais de bien plus,

Tu rêvais plus précis.

*

Toujours les mêmes terres

A caresser toujours.

 

Jamais un corps nouveau

Pour t’essayer à lui.

 

*

L’insidieux est notre passé,

Chargé sur nous de représailles.

 

Pourquoi faut-il que l’on t’y trouve,

Océan, accumulation ?

*

Quand tu reçois la pluie

Reconnais-tu ta fille ?

 

Exilée, revenue,

Ignorant son histoire,

 

Qui croit qu’elle te frappe

Ou peut-être t’apaise.

*

Contre le soleil

Tu as voulu t’unir,

 

Mais avec quoi,

Sauf avec lui ?

*

Si l’espace une fois

Brûlait en rouge et bleu

Mais plus loin, sur la terre,

 

Ce serait la fête,

 

Tu pourrais être douce, après.

*

Tu ne changeras pas au cours des ans,

Même si tu en rêves à coups de vagues.

 

Mais pour moi d’autres jours

Pourraient venir de mon vivant.

 

 Ce sera comme un cercle

Qui se réveille droite,

 

Une équation montée

Dans l’ordre des degrés,

 

D’autres géométries

Pour vivre la lumière.

 

Alors , que seras-tu pour moi ?

Que dirons-nous ?

*

Alors j’irai

Vers le total moi-même.

 

Ma paix sera plus grande

Et voudra te gagner.

*

Les profondeurs, nous les cherchons,

Est-ce les tiennes ?

 

Les nôtres ont pouvoir de flamme.

*

Même assis sur la terre

Et regardant la terre,

 

Il n’est pas si facile

De garder sa raison

Des assauts de la mer.

*

En somme, avec toi,

Qu’on soit sur tes bords,

Qu’on te voit de loin

 

Ou qu’on soit entré

Te faire une cour

Que la courbe s’impose

Où sont le soleil, le ciel et le sol,

 

N’importe où qu’on soit,

On est à la porte.

*

On est à la porte,

On a l’habitude,

On ne s’y fait pas.

*

A la porte de l’océan

Et parlant, parlant.

 

Le difficile,

C’est d’être lui

 

Et si tu l’étais

C’est de rester toi,

 

Assez pour savoir

Que tu es les deux

 

Et pour en crier.

*

Cogne, cogne, cogne,

Puisque ça t’occupe

 

Et puisque pour nous

Le spectacle est grand

...........................................................

 

Carnac

Editions Gallimard, 1961

Du même auteur :

Herbier de Bretagne (31/03/2014)

Le matin (30/03/2015) 

Du silence (30/03/2016)  

Les Rocs (30/03/2017)

Bergeries (30/03/2018)

« Dans le domaine... » (30/03/2019)

Lyriques (30/03/2020)

Elle (30/03/2021)

Carnac (I) (30/03/2022)

Si je pouvais... (30/03/2024

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