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Le bar à poèmes
30 mars 2022

Eugène Guillevic (1907 – 1997) : Carnac (I)

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Carnac

 

Mer au bord du néant,

Qui se mêle au néant,

 

Pour mieux savoir le ciel,

Les plages, les rochers,

 

Pour mieux les recevoir.

*

Femme vêtue de peau

Qui façonnes nos mains,

 

Sans la mer dans tes yeux,

Sans ce goût de la mer que nous prenons en toi,

 

Tu n’excèderais pas

Le volume des chambres.

*

La mer comme un néant

Qui se voudrait la mer,

 

Qui voudrait se donner

Des attributs terrestres

 

Et la force qu’elle a

Par référence au vent.

*

J’ai joué sur la pierre

De mes regards et de mes doigts

Et mêlées à la mer,

S’en allant sur la mer,

Revenant par la mer,

 

J’ai cru à des réponses de la pierre

*

Ils ne sont pas tous dans la mer,

Au bord de la mer,

Les rochers.

 

Mais ceux qui sont au loin,

Egarés dans les terres,

 

Ont un ennui plus bas,

Presque au bord de l’aveu.

*

Ne te fie pas au goémon : la mer

Y a cherché refuge contre soi,

Consistance et figure.

 

Pourrait s’y dérouler

Ce qu’enroula la mer

*

Ne jouerons-nous jamais

Ne serait-ce qu’une heure,

Rien que quelques minutes,

Océan solennel,

 

Sans que tu aies cet air

de t’occuper ailleurs ?

*

Je veux te préférer,

Incernable océan,

 

Les bassins que tu fais

Jusqu’aux marais salants.

 

Là je t’ai vu dormir

Avec d’autres remords.

*

D’abord presque pareille

A celle du grand large,

 

De bassin en bassin

Ton eau devient épaisse

 

Et finit par nourrir

Des espèces de vert

 

Comme font nos fontaines.

*

Là ça grouille dans toi,

Mais au moins je le vois.

*

Depuis ton ouverture

Sur les rochers de Por en Dro

Vers le grand large et l’horizon,

 

Je t’ai prise à rebours

Jusqu’aux marais salants

 

Où je ne savais pas si je devais pleurer

De n’avoir plus de toi que ces tas de sel blanc.

*

Avant que tu sois là,

Collant à la saline,

 

Je t’ai vue bien souvent,

Cernée dans les bassins

 

Rendre au soleil couchant

L’hommage des eaux calmes.

*

Mais tu sais trop qu’on te préfère,

Que ceux qui t’ont quittée

 

Te trouvent dans les blés,

Te recherchent dans l’herbe,

T’écoutent dans la pierre,

Insaisissable.

*

Tu regardes la mer

Et lui cherches des yeux.

 

Tu regardes des yeux

Et tu y vois la mer.

*

A Carnac, derrière la mer,

La mort nous touche et se respire

Jusque dans les figuiers.

 

Ils sont dans l’air

Les ossements.

 

Le cimetière et les dolmens

Sont apaisants.

*

Mer sans vieillesse,

Sans plaie à refermer,

Sans ventre apparemment.

*

Eglise de Carnac

Qui est comme un rocher

Que l’on aurait creusé

 

Er meublé de façon

A n’y avoir plus peur.

*

Il y avait de pauvres maisons

Et de pauvres gens.

 

Le temps

Pouvait n’être pas

Celui des vivants.

*

Les gens y étaient comme des menhirs,

Ils étaient là depuis longtemps.

 

Ils n’allaient pas regarder la mer,

Ils écoutaient.

*

De la mer aux menhirs,

Des menhirs à la mer,

 

La même route avec deux vents contraires

Et celui de la mer

Plein du meurtre de l’autre.

*

Derrière les menhirs

Encore un autre vent

Sur des bois et des champs.

 

La terre et moins de sable,

C’est vert et c’est épais.

 

C’est de ce pays-là

Peut-être que la mer

Etait un œil ouvert.

 

Ca se ressemble peu

Tout un corps et son œil.

*

Tu es pour quelque chose

Dans la notion de Dieu,

 

Eau qui n’est plus de l’eau,

Puissance dépourvue de mains et d’instruments,

 

Pesanteur sans emploi

Pour qui le temps n’est pas.

*

Souvent pour t’occuper

Tu viens nous appeler

Vers la paix dans ton creux.

*

A ruminer tes fonds

Tu les surveilles mal,

 

Ou peut-être tu pousses

Ces monstres qui pénètrent

Dans le lieu de nos cauchemars.

*

Soyons justes : sans toi

Que nous serait l’espace

Et que seraient les rocs ?

*

Ta peur de n’être pas

Te fait copier les bêtes

 

Et la peur de rater

Les mouvements des bêtes,

Leurs alarmes, leurs cris,

Te les fait agrandir.

 

Quelquefois tu mugis

Comme aucune autre d’entre elles

*

Entre le bourg et la plage,

Il y avait sur la droite une fontaine

 

Qui n’en finissait pas

De remonter le temps.

*

La fille qui viendrait

Serait la mer aussi,

La mer parmi la terre.

 

Le jour sera bonté,

L’espace et nous complices.

 

Nous apprendrions

A ne pas toujours partir.

*

Nous aurions la puissance

Et celle de n’en pas user.

 

Nous serions pleins

De notre avoir.

*

Présence alors jamais trop lourde

De vous autour de nous

A composer le monde,

 

Puisque le temps se tient

Aux dimensions de notre avoir.

*

Elle avait un visage

Comme sont les visages

Ouverts et refermés

Sur le calme du monde.

 

Dans ses yeux j’assistais

Aux profondeurs de l’océan, à ses efforts

Vers la lumière supportable.

 

Ella avait un sourire égal au goéland.

Il m’englobait.

*

En elle s’affrontaient les rêves

Des pierres des murets,

Des herbes coléreuses,

Des reflets sur la mer,

Des troupeaux dans la lande.

 

Ils faisaient autour d’elle un tremblement

Comme le lichen

Sur les dolmens et les menhirs.

 

Elle vivait dessous,

M’appelait, s’appuyait

Sur ce que l’un à l’autre nous donnions.

 

Nos jours étaient fatals et gais.

*

Ce qui fait que la morte est morte

Et moi vivant,

 

Ce qui fait que la morte

Se tient plus loin qu’auparavant,

 

Océan, tu te poses

Des questions de ce genre.

*

Quand je ne pensais pas à toi,

Quand je te regardais sans vouloir te chercher,

 

Quand j’étais sur tes bords

Ou quand j’étais dans toi,

Sans plus me souvenir de ta totalité,

 

J’étais bien,

Quelquefois.

*

Bleu des jacinthes,

Bleu des profondeurs,

 

Il vient d’un feu faiseur de rouge

Qui tourne au violet puis au bleu.

 

Il est dans la terre,

Il nous cherche.

 

La mer

Peut l’ignorer.

*

Nous n’avons pas de rivage, en vérité,

Ni toi ni moi.

*

Ecoute ce que fait

La poudre en explosant.

 

Ecoute ce que fait

Le fragile violon.

*

Pas besoin de rire aussi fort,

De te moquer si fort

De moi contre le roc.

 

De toi je parle à peine,

Je parle autour de toi,

 

Pour t’épouser quand même

En traversant les mots.

*

Je sais qu’il y a d’autres mers,

Mer du pêcheur,

Mer des navigateurs,

Mer des marins de guerre,

Mer de ceux qui veulent y mourir.

 

Je ne suis pas un dictionnaire,

Je parle de nous deux

 

Et quand je dis la mer,

C’est toujours à Carnac.

*

Nulle part comme à Carnac,

Le ciel n’est à la terre,

Ne fait monde avec elle

 

Pour former comme un lieu

Plutôt lointain de tout

Qui s’avance au-dessous du temps.

*

Le vent vient de plus bas,

Des dessous du pays.

 

Le vent est la pensée

Du pays qui se pense

A longueur de sa verticale.

 

Il vient le vérifier, l’éprouver, l’exhorter,

A tenir comme il fait

 

Contre un néant diffus

Tapi dans l’océan

Qui demande à venir.

.............................................................................

 

Carnac

Editions Gallimard, 1961

Du même auteur :

Herbier de Bretagne (31/03/2014)

Le matin (30/03/2015) 

Du silence (30/03/2016)  

Les Rocs (30/03/2017)

Bergeries (30/03/2018)

« Dans le domaine... » (30/03/2019)

Lyriques (30/03/2020)

Elle (30/03/2021)

Carnac (II) (30/03/2023)

Si je pouvais... (30/03/2024

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