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Le bar à poèmes
7 avril 2015

Honorat de Bueil de Racan (1589 – 1670) : Stances sur la retraite

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Stances

 

Tircis, il faut penser à faire la retraite,   

La course de nos jours est plus qu’à demi faite ; 

L’âge insensiblement nous conduit à la mort. 

Nous avons assez vu sur la mer de ce monde 

Errer au gré des flots notre nef vagabonde ; 

Il est temps de jouir des délices du port.   

 

Le bien de la fortune est un bien périssable ; 

Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable ; 

Plus on est élevé, plus on court de dangers ; 

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête, 

Et la rage des vents brise plutôt le faîte 

Des maisons de nos rois, que les toits des bergers. 
  

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire 

Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire, 

Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs, 

Et qui, loin, retiré de la foule importune, 

Vivant dans sa maison content de sa fortune, 

A selon son pouvoir mesuré ses désirs. 
  

Il laboure le champ que labourait son père, 

Il ne s’informe point de ce qu’on délibère 

Dans ces graves conseils d’affaires accablés, 

Il voit sans intérêt la mer grosse d’orages, 

Et n’observe des vents les sinistres présages 

Que pour le soin qu’il a du salut de ses blés. 
  

Roi de ses passions, il a ce qu’il désire ; 

Son fertile domaine est son petit empire, 

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau. 

Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ; 

Et, sans porter envie à la pompe des princes, 

Se contente chez lui de les voir en tableau.

 

Il voit de toutes parts combler d’heur sa famille,

La javelle à plein poing tomber sous la faucille,

Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,

Et semble qu’à l’envie les fertiles montagnes

S’efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

 

Il suit aucunefois un cerf par les foulées

Dans ces vieilles forêts du peuple reculées,

Et qui même du jour ignorent le flambeau :

Aucunefois des chiens il suit les voix confuses

Et voit enfin le lèvre après toutes ses ruses,

Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

 

Tantôt il se promène au long de ses fontaines,

De qui les petits flots font luire dans les plaines

L’argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons,

Tantôt il se repose avecque les Bergères

Sur des lits naturels de mousse et de fougères,

Qui n’ont d’autres rideaux que l’ombre des buissons.

 

Il soupire en repos l’ennui de sa vieillesse,

Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse

A vu dans le berceau ses bras emmaillottés,

Il tient par les moissons registre des années,

Et voit de temps en temps leurs courses enchaînées

Vieillir avecque lui les bois qu’il a plantés.

 

Il ne va point fouiller aux terres inconnues

A la merci des vents et des ondes chenues,

Ce que la nature avare a caché de trésors,

Et ne recherche point pour honorer sa vie

De plus illustre mort ni plus digne d’envie,

Que de mourir au lit où ses pères sont morts.

 

Il contemple du port les insolentes rages

Des vents de la faveur auteurs de nos orages,

Allumer des mutins les desseins factieux :

Et voit en un clin d’œil par un contraire échange

L’un déchiré du peuple au milieu de la fange,

Et l’autre à même temps élevé dans les cieux.

 

S’il ne possède point ces maisons magnifiques,

Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques,

Ou la magnificence étale ses attraits :

Il jouit des beautés qu’ont les saisons nouvelles,

Il voit de la verdure et des fleurs naturelles,

Qu’en ces riches lambris l’on ne voit qu’en portraits.


Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude, 

Et vivons désormais loin de la servitude 

De ces palais dorés où tout le monde accourt ; 

Sous un chêne élevé les arbrisseaux s’ennuient, 

Et devant le soleil tous les astres s’enfuient, 

De peur d’être obligés de lui faire la cour. 
  

Après qu’on a suivi sans aucune assurance 

Cette vaine faveur qui nous paît d’espérance, 

L’envie en un moment tous nos desseins détruit ; 

Ce n’est qu’une fumée, il n’est rien de si frêle, 

Sa plus belle moisson est sujette à la grêle, 

Et souvent elle n’a que des fleurs pour du fruit.   

 

Agréable désert, séjour de l’innocence, 

Où loin des vanités de la magnificence, 

Commence mon repos et finit mon tourment, 

Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude, 

Si vous fûtes témoins de mon inquiétude, 

Soyez-le désormais de mon contentement. 

                                                                                       1618

Du même auteur : Pour un marinier (26/08/2023)

  

 

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