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Le bar à poèmes
5 mars 2024

Gil Jouanard (1937- 2021) : Chronique du bois d’eucalyptus (2)

 

Photo DDM, Maria Alonso (archives 2008)

 

Chronique du bois d’eucalyptus (2)

 

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Stérile attente ; bouche cousue

- rien n’augmente le poids de l’instant,

rien ne surgit à l’improviste.

Le ciel, la mer, tout, replié sur soi,

se tait, regarde ailleurs,

comme s’il y avait

quelque part quelque chose

dont le désir vacant se puisse emparer,

que notre vie puisse se consumer

à éclairer.

 

 

Cela qui vient par lents accords

et qui ranime le désert,

et qui efface les questions,

comment donc le nommer ?

Pourquoi donc le nommer ?

 

Source ?

Alors musique, mouvement,

Lumière, direction ; alors

fraîcheur, vie ; origine

et conclusion ; eau – leçon.

 

Arbre ?

Alors chant, feuilles et fruits ;

alors branches, tronc, alors

racine, sève ; mystère et clarté ;

instrument à vent ; bois - leçon ;

 

Galet ?

Alors forme et liberté ;

montagnes et mémoire ; alors écho ;

chaud et froid ; silence sans appel,

tout dit d’un seul regard ; alors

interminable au fond du puits ;

pierre - leçon.

 

Pourquoi nommer cela,

qui vient peupler l’absence ?

Comment nommer ce qui, s’affirmant,

se dépasse et déborde

toutes nos facultés ?

 

 

C’est le désir qui fait tenir l’arbre debout.

 

Quoi d’autre que de se tenir droit dans la journée, miroir axial des saisons ?

 

L’ambition du pré : devenir lui-même. Il n’y manque pas ; il se dépasse de

     beaucoup. Toujours bien au-dessus de ses moyens ; toujours bien au-delà

     de ses fins.

 

Le pré a des limites inaccessibles pour nos savants exacts. Nulle science véritable

     n’est exacte.

 

Tout déborde si largement, pour peu que le soleil fasse bouillir le chaudron !

 

Tant que subsistera un doute, l’homme aura sa place sur terre.

 

Altière démocratie du pré ; pain complet de l’imagination.

 

 

Au bout du pré, on défriche. Bientôt, des fenêtres viendront se fermer sur un

     terrain vague.

 

L’arbre, l’oiseau, la lumière : le chant ;

tu te tiens là, assis, l’herbe te cache

à toi-même, voyeur, voyant,

œil ivre du spectacle qui t’habite

- et qui tente d’accéder à celui

qui échappe à tes mots –

 

Que vois-tu ?

L’arbre, l’oiseau, la lumière ;

tu vois le chant global du monde tacite ;

mais ce silence entre l’ample ouverture

et la friche somnolente de ton cerveau ?

 

Où te tiens-tu ? En-deçà de l’iris,

ou bien penché du côté des choses ?

Ou bien encore en équilibre instable,

à maintenir tant bien que mal

l’instable et inutile équilibre ?

 

Tes mots eux-mêmes,

de quoi est fait le ciment qui les lie ?

Est-ce ta chair, est-ce l’insaisissable lieu

qui se voile de ses multiples noms ?

 

Qu’est-ce que cela,

qui continue de bouger

quand tout semble s’être posé

et que le ciel recouvre tout impérieusement ?  

 

 

Savoir,

demeure aux murs glacés,

avec, au cœur,

torride blessure.

 

Foule de mots

qui se taisent

à l’unisson.   

 

 

La vérité ne suffit pas ; il faut aussi la traverser,

en oublier les courtes limites. 

 

 

La pierre était la pierre,

sans dessein.

 

Et, peu à peu,

le mouvement de l’air,

le mouvement de l’eau,

la firent ronde

comme un œuf.

 

Alors, le monde

ne put plus se retenir

de nous prononcer.

 

 

Le souffle seul nous dit

dans le silence bleu

des gestes.

 

 

Dormir dans la chaleur

indifférente du silence,

graine loquace,

porte-parole

de l’univers

qui attend.

 

 

San  José  (Sierra  de  Gata)

mai  mille  neuf  cent soixante  treize

 

 

Chronique du bois d’eucalyptus

Guy Chambelland éditeur, 1974

Du même auteur :

« Au bout de chaque jour… » (05/03/2015)

Hautes chaumes (I) (05/03/2016)

Sonnailles (05/03/2017)

Al-Kimiya, (05/03/2018)

« Fibres... » (04/03/2019)

Hautes chaumes (II) (05/03/2020)

Le chaudron de cuivre de Chardin (I) (05/03/2021)

Le chaudron de cuivre de Chardin (II) (05/03/2022)

La maison de demain (05/03/2023)

Chronique du bois d’eucalyptus (1) (05/03/2024)

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