Lawrence Ferlinghetti (1919 -2021) : Un Coney Island de l’esprit (24– 29) / A Coney Island of the mind (24 – 29)
Un Coney Island de l’esprit
24
Nous occupons la plage de l’amour
parmi les mandolines ensablées de Picasso
et les doigts-de-sorcière qui ne connaissent nul sphinx
les papiers de pique-nique
les pinces de crabe mortes
et les empreintes d’étoiles de mer
Nous occupons la plage de l’amour
parmi les sirènes échouées
avec leurs bébés brailleurs et leurs époux chauves
leurs animaux en bois faits maison
qui ont des cuillers à glace en guise de pieds
et ne peuvent marcher ou aimer
que pour manger
Nous occupons l’extrême bord de l’amour
sûrs de nous comme de tous les occupants
parmi les flaques laissées
par les marées salées du sexe
et les doux ruisseaux de semence
et les membres mous enfoncés
dans la tendre chair du sable
Et nous rions encore
et nous courons encore
et encore nous nous jetons
sur les bateaux de l’amour
mais il se fait plus profond
et beaucoup plus tard
que nous le pensons
et tout sombre
et nous bouées d’amour nous trahissent
nous buvons la tasse et nous coulons
25
jeté en l’air
le cœur tourbillonne et retombe
avec ce cri étranglé « Amour »
poisson idiot qui veut puiser
tout souffle dans la chair de l’air
et il n’y a personne pour l’entendre mourir
parmi les buissons tristes
au bord desquels le monde se précipite
dans un vertige d’asphalte et de retard
26
Cette « phosphorescence sensuelle
où ma jeunesse se délectait »
gît derrière moi ou presque désormais
comme une contrée de rêves
où un ange
au sommeil torride
danse comme une diva
danse dans d’étranges voiles
à travers lesquels le désir
jette un oeil et crie
Et elle danse
danse encore
et vient vers moi
encore
avec ses seins qui respirent
ses lèvres secrètes
et (ah)
ses yeux brillants
27
Des paons marchaient
sous les arbres de la nuit
dans le clair perdu
de lune
Quand je sortis
cherchant l’amour
cette nuit-là
Une colombe roucoulait dans une alcôve
une cloche sonna deux fois
une fois pour la naissance
et une fois pour la mort
de l’amour
cette nuit-là
28
Dove sta amore
Où est l’amour
Dove sta amore
Ici repose l’amour
L’amour colombe
Dans les délices lyriques
Ecoutez la chanson d’amour
La romance d’amour
Le plain-chant d’amour
Douce complainte
Dans les passages de la nuit
Dove sta amore
Ici repose l’amour
Dove sta amore
Ici repose l’amour
29
Et c’est toujours comme çà et ça finit toujours comme çà et le feu et la rose
Sont un et toujours la même scène et toujours le même sujet depuis le début
et l’origine comme dans la Bible ou le Soleil se Lève aussi qui commence
comme çà Robert Cohn était boxeur poids moyen champion dans sa catégorie
mais ensuite il a perdu ses couilles et çà recommence on s’y retrouve une fois
encore c’est encore la même scène et le même thème avec tous es citoyens et
tous les personnages qui cherchent tous la même chose depuis le début et on
dirait que tout ce qu’ils veulent c’est arriver à Le faire et la pitié du temps peut
importe avec qui mais l’autre moitié du temps c’est justement çà qui est plus
important que tout Ô douces fièvres de l’amour oui et il y a toujours des
complications comme par exemple qu’elle ne daigne pas le regarder ou lui la
regarder ou elle la regarder ou lui le regarder ou il y a quelque chose qui
s’oppose à leur union comme sa mère à lui ou son père à elle ou quelqu’un
d’autre mais ils continuent à essayer de le faire sans trêve comme dans
Shakespeare ou La Terre Vaine ou Proust à la recherche de son Temps Perdu
ou n’importe où Et ils étaient tous là luttant pour se rejoindre ou s’attraper
comme ces jeunes filles de marbre sur l’Urne Grecque ou dans n’importe
quelle rue marchande ou sur un manège qui tourne et ils tournent tournent tous
chassant l’amour avec acharnement et la moitié du temps sans même savoir ce
qui les dévore tel Robin marchant parmi les Arbres de la Nuit de sa belle même
si ce n’est pas si simple que tout cela comme si ce dont elle avait vraiment
besoin c’est d’un bon cigare à cinq cents oh non et ceux qui n’ont jamais
chassé ne reconnaîtront pas l’aplomb du chasseur et puis le faucon qui plane
au-dessus da cachette de l’amour et les chevaux éperdus qui crient et les anges
de pierre et le paradis c’est l’enfer et Yerma avec ses seins aveugles sous sa
robe et puis Christophe Colomb appareillant pour sa quête et Rudolph
Valentino et Juliette et Roméo et John Barrymore et Anna Livia et la Rose
Irlandaise d’Abie et donc Bonne Nuit Doux Prince et c’est reparti avec tout le
monde qui rit et qui pleure en chœur partout nuit et jour été comme hiver
comme printemps comme Anna Karénine perdue dans la neige et le cri des
chasseurs dans la forêt immense et les soldats qui arrivent et Freud et Ulysse
toujours affamés de voyage cherchant le même graal brûlant comme le Roi
Arthur et ses chevaliers de la nuit et tout le monde se demande où et comment
tout çà va finir comme dans les films ou dans un roman de cauchemart oui
comme dans un cauchemart Oui j’ai dit Oui je veux bien et il m’a appelé sa
rose d’Andalousie et j’ai dit Oui mon cœur battait comme fou et c’est comme
cà que Ulysse se termine comme tout se termine toujours quand le canon de
chair du chasseur tire sa dernière cartouche dans un instant de gloire Dieu et
puis on entend la dégringolade le bruit des haches dans les bois et les arbres qui
tombent et l’épée de chair ramollit enfoncée dans le champ de chair blonde là-
bas seuls enfin aimants aimés perdus et retrouvés sur la rive du fleuve au bord
du torrent à l’endroit précis où tout a commencé et voilà comment tout
recommence
Traduit de l’anglais par Marianne Costa
In, Lawrence Ferlinghetti : « A Coney Island of the mind & autres poèmes »
Maelström éditions, Bruxelles (Belgique), 2008
Du même auteur :
Un Coney Island de l’esprit (1 – 6) / A Coney Island of the mind (1 – 6) (19/01/2021)
Un Coney Island de l’esprit (7 – 15) / A Coney Island of the mind (7 – 15) (19/01/2022)
Un Coney Island de l’esprit (16 – 2023) / A Coney Island of the mind (16 – 23) (19/01/2023)
A Coney Island of the mind
24
We squat upon the beach of love
among Picasso mandolins struck full of sand
and buried catspaws that know no sphinx
and picnic papers
dead crabs' claws
and starfish prints
We squat upon the beach of love
among the beached mermaids
with their bawling babies and bald husbands
and homemade wooden animals
with icecream spoons for feet
which cannot walk or love
except to eat
We squat upon the brink of love
and are secure as only squatters are
among the puddled leavings
of salt sex's tides
and the sweet semen rivulets
and limp buried peekers
in the sand's soft flesh
And still we laugh
and still we run
and still we throw ourselves
upon love's boats
but it is deeper
and much later
than we think
and all goes down
and all our lovebuoys fail us
And we drink and drown
25
Cast up
the heart flops over
gasping 'Love'
a foolish fish which tries to draw
its breath from flesh of air
And no one there to hear its death
among the sad bushes
where the world rushes by
in a blather of asphalt and delay
26
That 'sensual phosphorescence
my youth delighted in'
now lies almost behind me
like a land of dreams
wherein an angel
of hot sleep
dances like a diva
in strange veils
thru which desire
looks and cries
And still she dances
dances still
and still she comes
at me
with breathing breasts
and secret lips
and (ah)
bright eyes
27
Peacocks walked
under the night trees
in the lost moon
light
when I went out
looking for love
that night
A ring dove cooed in a cove
a cloche tolled twice
once for the birth
and once for the death
of love
that night
28
Dove sta amore
Where lies love
Dove sta amore
Here lies love
The ring dove love
In lyrical delight
Hear love's hillsong
Love's true willsong
Love's low plainsong
Too sweet painsong
In passages of night
Dove sta amore
Here lies love
The ring dove love
Dove sta amore
Here lies love
29
And that's the way it always is and that's the way it always ends and the fire
and the rose are one and always the same scene and always the same subject
right from the beginning like in the Bible or The Sun Also Rises which begins
Robert Cohn was middleweight boxing champion of his class but later he lost
his balls and there we go again there we are again there's the same old theme
and scene again with all the citizens and all the characters all working up to it
right from the first and it looks like all they ever think of is doing It and it
doesn't matter much with who half the time but the other half it matters more
than anything O the sweet love fevers yes and there's always complications like
maybe she has no eyes for him or him no eyes for her or her no eyes for her or
him no eyes for him or something or other stands in the way like his mother or
her father or someone like that but they go right on trying to get it all the time
like in Shakespeare or The Waste Land or Proust remembering his Things
Past or wherever And there they all are struggling toward each other or after
each other like those marble maidens on that Grecian Urn or on any market
street or merrygoround around and around they go all hunting love and half the
hungry time not even knowing just what is really eating them like Robin
walking in her Nightwood streets although it isn't quite as simple as all that as
if all she really needed was a good fivecent cigar oh no and those who have not
hunted will not recognize the hunting poise and then the hawks that hover here
the heart is hid and the hungry horses crying and the stone angels and heaven
and hell and Yerma with her blind breasts under her dress and then Christopher
Columbus sailing off in search and Rudolph Valentino and Juliet and Romeo
and John Barrymore and Anna Livia and Abie's Irish Rose and so Goodnight
Sweet Prince all over again with everyone and everybody laughing and crying
along wherever night and day winter and summer spring and tomorrow like
Anna Karenin lost in the snow and the cry of hunters in a great wood and the
soldiers coming and Freud and Ulysses always on their hungry travels after the
same hot grail like King Arthur and his nighttime knights and everybody
wondering where and how it will all end like in the movies or in some
nightmaze novel yes as in a nightmaze Yes I said Yes I will and he called
me his Andalusian rose and I said Yes my heart was going like mad and that's
the way Ulysses ends as everything always ends when that hunting cock of
flesh at last cries out and has his glory moment God and then comes tumbling
down the soundof axes in the wood and the trees falling and down it goes the
sweet cock's sword so wilting in the fair flesh fields away alone at last and
loved and lost and found upon a riverbank along a riverrun right where it all
began and so begins again
A Coney Island of the mind
City Lights Booksellers & Publishers, San Francisco (USA),1958
Poème précédent en anglais :
Emily Jane Brontë : Chanson / Song (06/01/2024)
Poème suivant en anglais :
Walt Whitman : Chanson des joies / A song of joys (28/01/2024)