Monchoachi (1946 -) : Le réel / Le jeu (XVI – XXI)
Le Réel / Le Jeu
XVI
Le visible / L’invisible
Le monde parfumé,
Monde sensuel, cruel même
Obscur et exaltant
Visible seul dans la vision
du demi-cercle sis entre les deux yeux
Y flotte comme une présomption de noncence
tourbillon fluide
fêtes et parures de fête avec tambours et balafons
avec cheveux tressés fine fine
enduits fard padouk
ruisselant lhuile
et kò couvert argile blanche
Et femmes depuis deux rives
sur dleau battant pile branches
sur les bords de la rivière où l’on meurt parmi les rires
ralé voup par les tourbillons
Sur les bords de la rivière
le monde-rosa-senti-bon
dérobé au regard des ennoncents
visible des seules têtes pècées
des têtes félées-pétées-fann’
des nègues zyéux rouges
des zyéux chèche
les yeux comme des nuages
« les yeux comme la panthère en cage »
Les quat’zyéux
qui brisent mygale éternité
fumée feu résine copal
la brusque secousse dans la paupière
Disposent
au cœur de la brousse
vol aigle pêcheur dessus thym sauvage
dessus le fromager
tout englobé par les oiseaux
et
aucune voix ;
Virent
file filles tété douboutt et derrière elles des bourreaux ;
dis : « viande et gâteau mil »,
dis : « bélier à tête rouge »,
(on lui parle)
pour refaire le crépissage de
l’autel présent sur l’autel,
qui lautel ?
salutation sur l’autel
cela est doux
cela est doux doux en-pile
doudouce sicré
doux com sirop-miel
doux com gâteau patate
Le remerciement merchi le remerciement pour le bien reçu
La lune s’éclaircit
cela est bon
Les paupières sont collées
Le mil a germé
le bélier est immolé.
XVII
La mort / La vie
A la lune noire brézing-brenzeng
musique d’insectes
bois sonores et grelots
brézing-brenzeng
Les grenouilles ovationnent
L’albinos flaire fardé de poudre rouge
Le novice meurt à sa mort
se métamorphose en oiseau
sa force se rafraîchit ;
Les pygmées frappent
frappent tambour qui fait danser la terre ;
Au-dessus du corps
Cuisses écartées, les mères en sueur
Tremblantes battent des mains et
des pieds la terre qui a tout engendré,
l’hippopotame à petite queue
le gros-mâle sanglier et
le vieux-mâle pintade
la Poule du Commencement
ensemble avec ses œufs,
l’igname et la bière,
les haricots et les petits pois-terre,
Et qui sait ce qu’elle sait
et qui est cela qui dure et donne la langue
Et la termitière à la terre ajoute de la terre,
les faces chagrines
les faces radieuses
Ceux qui devinent par l’eau,
ceux qui connaissent les formules
La formule pour passer est ce qui est devant
et sans cesse advient,
Les dieux, de la sueur
les larmes, de l’oeil
Le Lointain, de derrière l’œil
Et les Nombres,
Les rites dans la cité d’Abydos
qui lient les Puissances ;
La terre s’ouvre,
s’ouvrent les eaux boueuses
le ciel s’ouvre,
les ouvertures s’ouvrent,
les quatre lacs,
le parfum du dieu,
la grandeur silencieuse,
aucun mensonge
secret des lieux sauvages
secret des lieux de halage.
La bouche est là,
le verbe en acte aspire les souffles
va, va, vient, vient
brézing-brenzeng
Soleil fait lever le mil
Yemaya soutient la voix
l’amusement de la joie.
XVIII
Voum-vap : rentré-sòti
A Esna encore on chantait l’hymne
« Fleurs, encens, dans l’enceinte du temple »,
dans l’enceinte du temple le magicien des temples
l’initié au rite sacré,
Cœur et langue voix de la colombe,
cœur conçoit,
langue ordonne :
vérité et justice
les deux oisillons ;
Dans la bouche, magie, châme
crachat et salive,
choses fabuleuses
accent, accord, modulation
son seul miroisement
le lieu sacré est dans la liesse
dans la liesse la brasseuse de la nuit,
le grand chat Seigneur du Plaisir sur son palanquin,
les graines balisent les cuisses ;
S’ouvrent portes et vantaux
douvant sèpent cent vingt coudées,
bienhéré descenne dans les marais
patauger-vautrer
agréer offrande patate douce,
cieux exultent,
gazelle chante, déparle
frémissante comme un faucon,
un fer dans le creux des reins,
« est-ce un animal, est-ce un volcan,
est-ce un oracle »
une vertèbre de python,
un museau de chien,
verge-sept-têtes bigarrées
ou Sept-Verges,
est-il rentré
ou sorti,
il a les flancs d’un taureau,
Bête borgne dans des eaux douces
Le Réjouissant
« bourré de friandise »
devant lequel on ferme les cils,
Le Balayeur-des-maisons-sales
baveur-à-souhait
« Et-pas-une-once-de-décence »
Le Piment-du-derrière,
le Déplantoir-de-patates-douces,
Le Pied-pois-doux,
le-Sans-manman
l’Habile-maître-des-ruines
La-Queue-qui-évente-le-malheur
Chouval-tambou-qui-vient-qui-va-sans-dire-pourquoi,
les bata l’accompagnent, dgudu, dgudu
Trompe-d’ivoire-et-tambours-aisselle
le-Porteur-des-deux-sacoches -bobo
Vient-tout-souite-repart-tout-souite,
vorum-vap, rentré-soti
Lapluie beau tomber dleau monter,
beau tomber beau,
dort-sous-la-pluie
dort dans les voluptés
dans les eaux l’étang
au gué où viennent s’abreuver taureaux
chemins convergent.
XIX
Le jeu : l’attrait / le retrait
Ainsi ces chemins ouverts derrière les bêtes depuis
Oh ! depuis monde « est feu qui d’allume et s’éteint »
depuis put corps tenir douboutt
Prend frai mòceaux chimins
raccolés magõnnin garés facés
pluies et vents
Bêtes allant vers bêtes
lèsprit douvant
battant derrière sur talons
bord lieux sépulture
« jamais di sel
ni cendre »
Rhalant corps sous côté,
apprivoisant vent captant lodeur chaque
traquant arc en main
magique èk misique
Sang pitite antilope donnant donnant
Musique corde au toucher brindilles
7 cordes du sinbindo, (six pliss yõnn)
dont la parole allonge la pensée
dont la parole fait b o n d i r le cuer
Cent cordes la vêture magique
Patience sortilèges ruse et rites
lège lège dans l’herbe folle
feu éclair
Se fait frönmi
se fait faucon
se fait rocher
bêtes vivant dans terriers
se fait terre
peau douce et souple
poison-oracle-rouge
dégoûtance
mémoire et songe des chemins
songe et mémoire
ombre des marais des mares enchantées,
« A-t-il le cœur ferme ?
Veut-il descendre en fond dleau ? »
Manque quatre pattes soudain
le jambe pour se changer HYENE,
(hyène, ELLE ricane)
Fumées qui lave zyéux et
et dénoue attachements
ramasse eau ciel,
Indompté, virant fière
figure douvant
et cité et écrit
gens bétail et gens moisson
Là
sur chimin tout longue en mouvement
Proche
la bête poursuivie puis toujours
et toujours dans couleurs la terre
serre son corps
vers l’Appel
à seule fin tourné :
Tenir droit
Dire droitement
Répondre
Saluer
« Vous et le soir ».
XX
Jeu : la partie vaut le tout
Petites perles brunes et grains noirs
comme on voit au poignet des jumeaux
aux ailes des oiseaux
sous les ailes du calao,
Chasse-mouche rituel
écuelles en terre et
tête silure noire
laboue marigot,
corde qui donne dleau,
navette du tisserand
navette de l’âne
chant du nãnm
eaux du monde
puisées dans l’océan :
Nord, direction néfaste, demeure vieilles femmes,
Sud, bons vents, porteurs de pluies
jeunes épousées aux hanches souples
Guerriers derechef dansant en cercle
passant du croisant au cercle,
bercent enfant qui grandit
parmi jeux, gerbe, miel et racines,
parures et couleurs
comme bêtes,
peau léopard, ramures palmiers
plus frais que l’eau le lait frais
plus frais que la paix
plus frais l’enfant-roi sur la termitière
quand esprit songe en fin-fond
demeure colorée fille vierge,
Plus frais python couché sur cornes magiques
Quand menace
vieille lune
« ivoire blanc sous les abois »
Voici batteurs calebasse
voici génie borgne :
Bœufs immolés
mariages prostituées
amants jetés aux chiens.
Mettez dleau dans vôte bouche pour parler.
Chant gounouille,
Voie terre ciel,
Fatimata fille démone.
XXI
Jouer (avec) les dieux
Grosses perles blanches lans cheveux,
Vêtements percale flòcò, (òò !)
ornements perles blanches
Astragale pendié en cou :
Assis sur trône cinq pieds recouvert percale blanche
lombrage posé sur nattes
« Not’ science (plait-il ?) vient lobservance les ombres »
(Voyez Léonard Ombre et lumière)
ombres et lumières
amulettes et osselets
ouanga ék zos,
Djembé couvert peau chèvre
et bien autre chose
Pr’alle chècher ceintrer,
pr’alle chacher la voix rêve,
à la grâce, avec les dieux
à la grâce
Posséder un propre chant bien propté sorti dans corps magique
Corps dédoublé en-bas latremblade :
L’aube, jà voyagé-rivé-viré laute bòd dleau
dans le Lointain
Lot’ bòd side
lans totolo,
änni gadé fisqué sour glace soupoudré talc
Ousnon grand pot’ dleau ac feuilles miroir / dleau änni
péser-descenne
entend la musique, entend le ouélélé,
Déboule
perles et parures et
parfums enflammés
Voiles blanches fau-
filés fils l’or
Ioune mâle fanm, ioune qualité dégäine
ion mòceau carreau jadin devant’I,
S’éloignant quand on s’approche
s’avançant quand on recule,
un pied dans l’eau, l’autre sur la dune
Et à ses bords monde dleau monde terres mêlés
oiseaux et tortue mer
cauris et parfums enflammés,
Deboule too
tout noir vêtu
rhades en chépie
lombrage l’endroèt,
depuis palpitations lalune
marchant boété pinant-counant
Au rythme tambou-dleau
lakataou lakataou taou
sèksèk èk chants les mères,
Bègue, IL parle
aux quatre vents écume aux lèvres
donne parole,
et le chœur les mères, plis belle !
Parle parole
qui pèdu connaissance qui ouvè zyéux,
inarticulée insubordonnée souveraine
à pleurer la joie.
Seule compte la voix,
seule voix fait corps avec choses
pour cela supporter rage et orage
Ni noms ni feuillets lisibles
nulle pesanteur, nulle ruse mal-habile :
il a les dieux
il a la folie des dieux
N’a peur ni Dieu, ni Prophète
Et il PARLE.
Partition noire et bleue (Lémisté 2)
Editions Obsidiane, 2015
Du même auteur :
Manteg (26/02/2021)
L’eau (I-V) (26/02/2022)
L’eau (VI-IX) (19/08/2022)
Le lointain (X) (26/02/2023)
Le réel / Le jeu (XI – XV) (19/08/2023)