Daniel Morvan (1959 -) : Ecrire / Skriva
Ecrire
(1985-1986)
A E. Guillevic
Où reprendre le poème
Le poème si longtemps arrêté ?
Les mots d’aujourd’hui
Font écho à ceux d’hier
C’est toujours
Le même visage dans la glace
Inutile de falsifier ses papiers
Au travers des années
Il s’agit toujours
De s’aider à vivre.
Les mots vont là
Comme une coupe de fruits
Posée sur une table
Mais quel mirage
Me fait croire
A toute cette liesse ?
Puise à volonté
Sers-toi à ta guise
La nappe est toujours garnie
La coupe se remplit d’elle-même.
Ce sang qui coule dans les mots écrits
C’est le sang usé de tous les silences accumulés
Lorsqu’il nous a quittés
Nous reprenons vie
Jusqu’au prochain besoin d’écrire.
Voici les mots sur le papier
Autonomes définitivement étrangers à moi-même
Et du coup me restituent mieux mon image
Ce portrait que je vois n’est plus tout à fait moi
Il évolue avec la conscience que je prends de moi-même.
Les mots ne révèlent rien
Ils conduisent plus loin,
La plupart des choses enfouies
Parfois des bulles
Le trop-plein de rêves
Puis à nouveau le silence
Pour longtemps.
Les mots qui s’inscrivent
Représentent aussi bien
L’image de notre chaos intérieur
Que le pouvoir de l’ordonner.
S’agit-il des mêmes ?
Quand j’aurai bien fixé sur la page
Ce cœur mystérieux
J’essaierai de le comprendre
Lui qui n’a besoin
Que de paroles pour s’épanouir.
Contemplatif
Je me suis tu si longtemps
Que le silence a formé en moi
Des concrétions.
Dans le souci de clarté
Qui m’habite aujourd’hui
Règne le dégel de l’Oubli.
La mort est là qui abrège le dire
Poète nourris ton feu
Les mots pleuvent comme du bois sec
Derrière la fenêtre un paysage de neige
Ici ta solitude
Se consume sans brûler.
Mettre un mot sur chaque chose
Pour tout démasquer du sable.
C’est facile de dire « neige »
Dans le coeur de l’autre
Naissent tant de souvenirs
Mais c’est heureux
Comment alors rejoindre
Dans un lieu qui ne soit pas
Une référence commune ?
Le Temps, notre peau.
Alors se dépecer pour l’Eternité ?
Durer ? Non.
Brûler dans la splendeur du Cri.
Traduit du breton par l’auteur
Du même auteur : Nos greniers / Or halatreziou (20/02/2023)
Skriva
Peleh adkemer ar barzoneg
Ar barzoneg arzavet ken pell ?
Geriou an deiz a hirio
A ambroug re deh
Bepred ar memez dremm er melezour
Arabad falsa e baperiou
A-dreuz ar bloaveziou
Red eo bepred
En em zikour da veva.
Aze ema ar geriou
Evel eur hopad frouez
War eun daol
Med, petra a laka ahanon
Da gredi en oll levenez-se ?
Kemer kement az-peus c’hoant
Arao e vez pourvezet an doubier
En em leunia a ra ar hop e-unan.
Ar gwad a ver er geriou skrivet
Gwad uzet an oll didrouzou an hini eo
Pa’z eo eet kuit diouzom
Beva a reom a-nevez
Beteg an ezomm skriva tosta.
Ar geriou ne ziskuillont netra
Ambroug a reont pelloh.
Peurvuia an traou enkevet
Klogorennou a-wechou
Dilerh an huñvreou
Goude an didrouz adarre
Evid pell
Ar geriou enskrivet
A zaolenn kenkoulz
Skeudenn or reustl diabarz
Hag ar galloud da gempenn anezañ
Hogen
Hag ar memez re int ?
Pa’m-bo merket mad war ar bajenn
Ar galon gevrinuz-se
Esea’rin da gomprenn anezi
Hi ha n’he-deuz ezomm
Nemed euz ar gomz evid en em zispaka
Tavet em-eus ken pell
Ken ez eus furmet ennon
Fetisaduriou.
Er brederi sklêrder
A zo ennon hirio
E ren diskorn an ankounah.
Ar maro a zo aze
Hag a ziver al lavar
Barz, maga an tan
Leñva ’ra ar geriou
Evel koad seh
A-dreñv d’ar prenestr
Eur vro erh
Amañ da zigenvez
En em goaz heb devi.
Lakaad eur ger war bep tra
Evid diverka oll euz an trêz ;
Êz eo lavared « erh »
Genel’ra e kalon egile
Kemend a gouniou
Eun dra vad eo
Rag penaoz keja en-dro
En eul leh
Ha na vefe ker eur meneg boutin ?
An amzer ? Or hrohen
Neuze en em zivezia evid ar beurbadelez.
Padoud ? Ket
Devi e splannder ar youh.
L’oeuf de l’espoir / Vi ar spi
Emgleo Breiz, 29200 Brest, 2013
Poème précédent en breton :
Daniel Morvan : Nos greniers / Or halatreziou (20/02/2023)