Jean -Paul de Dadelsen (1903 – 1957) : Itinéraire de Londres à Valparaiso
Itinéraire de Londres à Valparaiso
(fragment)
Récitatif
L’an trente-septième de son âge
Un jeune homme et son cœur en vrac
Ô cœur perdu sous les badigeonnages
S’embarquèrent sur un BOAC,
One hostess pour six hommes d’équipage
Vingt marins expédiés par air postage
Sur l’autre bord du Zodiac
En ramener un liberty hors d’âge
Et retournant vers leurs hamacs
De désoeuvrés Abencérages
Vox humana
Un diplomate qui s’en va pourrir
Sous de boliviennes chandelles
Un Uruguayen qui rentre mourir
Auprès d’une femme fidèle
Quasi tromboni
Parmi les unescus, les onuisistes
Seul dans son orbite sereine
Libre de tout zèle paysagiste
Dort le messager de la reine
Récitatif
Paillard autant que trois rois mages
Vadrouilleur comme Télémac
Et quelques peu épris de son image
Ce jeune homme comme un kodac
Portait son cœur aux rares tatouages
Entre les draps de quelque chaude Ithac
Qui n’a laissé son âme en gage
Qui ne prétend camper un personnage
Parlant à Dieu du tac au tac
Déjà voici khaki le Tage
Romansa
Combien j’ai douce souvenance
Du joli lieu de ma plaisance
Comme je portais droit ma lance
Ô ma falaise d’Etretac !
Du fond de l’Océan les étoiles nouvelles
Ne me feront ni chaud ni froid
Sous tes courtines de dentelle
Je suis toute la nuit conquistador et roi
Basso profondo
Cœur obstiné, vieux taximètre
Compte les heurs de bon aloi
Je parcours en vain la planètre
Ô Dagobert sans Saint Eloi
Je porte ma vie à l’envêtre
Ma tête dans mon pantaloi
Récitatif
Vers les antarctiques prestiges
Un magazine touristic
En quête des émois que la lectrice exige
Mandait ce jeune homme et ses tics
Il avait un carnet pour noter les prodiges
Que Marie-Claire attend de Rio et du Chilic
Rapide comme un prestidige
Il avait ce coup d’œil que le cliché corrige
Quand il est lardé de classics
Reportage vaut félibrige
(Mer, vue de 18 000 pieds)
Heure sans pente et plaine sans écume
Nul pur travail de fins éclairs n’allume
Une panthère en diamants tremblants
Le sol est bleu, le ciel tendu de cendre
Ah nul bonheur caché ne va se rendre
Au vol strident du cygne de fer-blanc
(Rio de Oro, Mauritanie)
Combien vacante la planète ! Le déluge
A cessé hier au soir. Pas un poil, pas un dard
Ne trouvera ici refuge
Les villes sont de rares moisissures
Dans un cœur infréquent de vaste samovar
Tout à recommencer depuis l’âge silure
Londres ressemble à Zanzibar
Vox humana
Déjà les deux stewards hennissent vers Janeire
La sage stewardesse n’aspire qu’à Dakar
Dans un jardin secret sous les jasmins lunaires
Pour deux nuits chaque escale enlace à cette Agar
Un capitaine expertement quadragénaire
Comme on voit au Musée s’unir Mars et Vénère
Déjà ce sédentaire et gallique houzard
A l’enfant d’Albion friande d’avatars
Inspire le désir de vertus culinaires
France, bénit tes lointains étendards !
(Atlantique Sud, nuit)
Le moteur tourne en idée fixe
En chemin vers le Pacifixe
L’invisible équateur conspire
Quand donc sera le pays des phénix
Le soir ouvert aux douces oasis ?
La vibracion agace la matrix
D’une dormeuse qui transpire
Basso profondo
Cœur désuet, vieux codicile
Au testament de feu Adam
Nécessaire talon d’Achille
Âne éternel de Buridan
Qui me dira pourquoi j’ai dans
Mon phalzar élu domicile ?
Vox humana
Douairière Poésie affreusement laurée
Vous demandez de la rime, vous en aurée !
(Natal)
Douces palmes sur l’aube basse
Vomi par son poisson Jonas se
Sent délivré de son exil
Natal de la victoire ô trampolin
Dans ta moiteur mélancolim
Je redeviens argilophil
(Brésil du matin au soir)
Fleuves boueux, fleuves putrides
Vaste empire vert et velu,
Grouillement de guerres d’Atrides,
Gloire des couchants farfelus,
Ville qui fume au soir le long d’une lagune
Exhale un spectre chevelu
La silve érige au vent ses vergues et ses hunes
Vive l’humide et le poilu !
Violoncelle
Te souviens-tu des vols sur la banlieue Europe
Et son cadastre embuissonné
Quand la Swissair tâchant d’être interlope
Offre un sourire amidonné ?
Basso profondo
Cœur soustrait au soleil comme l’endive
Vieil opiomane invétéré
Resteras-tu incarcéré
Tout au fond de ton pantalive ?
Crèvent tes émois modérés
Dieu crachera sur toi un peu de sa salive...
Novembre 53
Jonas suivi de Les Ponts de Budapest et autres poèmes
Editions Gallimard (Poésie), 2005
Du même auteur :
« Seigneur, donnez-moi seulement… » (29/10/2016)
Oncle Jean (29/10/2017)
La fin du jour (28/10/2018)
Bach en automne (29/10/2019)
Jonas, I : Invocation liminaire (29/10/2020)
Jonas. Fragments (29/10/2021)
La femme de Loth (04/04/2022)
Cinq étapes d’un poème. I – II (04/04/2023)
Cinq étapes d’un poème. III (29/10/2023)
Exercice pour le soir (04/04/2024)