Marc Chagall (1887 – 1985) : Vers de hautes portes
Vers de hautes portes
Seul est mien ce pays
Qui se trouve en mon âme ;
Comme un familier, sans papiers,
Je m’y rends.
Il voit ma tristesse et ma solitude,
Il me couche pour m’endormir,
Me recouvrant d’une pierre d’odeurs.
Un vert jardin fleurit en moi, des fleurs imaginées,
En moi mes propres rues s’étendent.
Les maisons manquent
Depuis le temps de mon enfance elles sont en ruines,
Leurs habitants s’égarent dans les airs,
Ils cherchent un logis, ils vivent dans mon âme.
Voici pourquoi quelquefois je souris
Quand le soleil scintille à peine,
Ou bien je pleure
Comme une pluie légère dans la nuit.
Je me souviens d’un temps
Où je portais deux têtes...
C’était un temps
Où les deux têtes
Se couvraient d’un voile d’amour,
Se dissipaient comme le parfum d’une rose.
Il me semble à présent
Que même en revenant sur mes pas
J’avance
En direction de hautes portes
Qui cachent un chaos de murs
Où les tonnerres abattus passent leurs nuits
Et les éclairs brisés.
Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
In, « Anthologie de la poésie yiddish. Le miroir d’un peuple »
Editions Gallimard (Poésie), 2000
Du même auteur : Ton appel (30/04/2022)