Denis Rigal (1938 - 2021) : Pour tenir lieu
Pour tenir lieu
ARBRE
final et le produit
du bourbier balbutiant
prenais mon droit
notais le brouillé des saisons
et que le ciel passé
au peigne fin des oiseaux temporaires
ne scelle rien ni ne recèle
veilleur paradoxal sur les sanglots
de la durée
somme et témoin j’étais
dernier mot de la glèbe ou
le premier du vent tandis qu’un sens
fouissait dans l’aubier pâle
un chemin présumé un conduit
une veine dit-on
vers la rare musique entre l’herbe
et les songes
passante,
hors du jardin patience et fougère
poussaient leur ombre et me poussaient
on avait dès longtemps consommé
le premier exil, appris à désapprendre,
à sentir s’ajouter les cercles au secret
de l’arbre, le cœur à chaque cerne
un peu plus lointain, un jadis
de plus dépouillé à chaque volte
des feuilles
et cela restait seul
qui désirait la fin
du désir, qui ruminait menu,
qui murmurait en bas, qui se voulait
comme le houx flambant dans son hiver,
et pauvre
il y a matière, cela est sûr : des fougères
brunes brisées d’hiver, des eaux , des vies
menues dans l’eau il y a matière
et qui coule
Et tout roidi qu’on soit
de male mort, perclus d’éternité,
arrêté à la pierre obscure, il y a
périssable pétrissable matière, souffle
et systoles, tout l’en train de se faire
et défaire, de quoi bonnement exister
avec les choses qui se taisent
et l’humain
des très-blanches maisons éparses
sur le ciel judicieusement noir
item, au fond d’un seul verger,
qui est le monde,
la grive inépuisable
TOUTE LA VERITE SUR L’ÎLE DE SEIN
cela fut dit dans le parler des îles
nues où s’abattent l’hiver
des oiseaux impossibles, tiè-
dement, lassés des falaises
horribles d’
ici notre domaine,
cette meule à broyer
du vent et de la pauvre vie.
où agiter son corps, où
creuser pour mourir sinon
la mer de toute éternité
anfractueuse qui avale
et recrache, des os
et des galets plein le gueuloir,
cet orateur vociférant des finitudes
l’eau rétractée, la tourbe entre les touffes
sèche, le carex et l’épine : cette terre
sous trop de zénith n’est pas de l’homme,
ni le cheval (que j’ai placé pourtant
dans cet élémentaire) cambré sur l’étrange
horizon, ni les oiseaux nommés à peine
à leur envol lointain vers l’ouest
où sont les pierres ordonnées qui savent
dans un parler qui n’a plus cours
les grandes chasses et les comptes obscurs
(je veux dire nocturnes) où un et un
font un ou trois ou une horde assurée
de son être avide et guttural ;
ne font jamais l’instant zéro d’éternel
aujourd’hui espérant lieu et lien,
une harmonie accidentelle qui l’élirait
brièvement, au petit bonheur
MOUETTE A QUAI
ailes (blanc déchu) et cou
tendus vers le céleste azur
elle régurgite une prière
(peut-être) de damné véhément
une éjaculation mille vaines fois
réitérée ? en fait
brièvement rouscaille
et puis reclot son ivoirine
componction, veille,
l’œil rond infiniment,
et règne
(elle sait sur quoi)
PIERRES PLANTEES
Des signes maigres dressés
dans les vertiges, point
de seuil, des pas peut-être,
la coulée d’un bête de nuit
dans l’herbe autrement encline,
un autre espace au centre
de l’espace où le sens descendrait
(fondrait, faucon définitif,
couteau d’obsidienne, la proie
dûment pâmée ?)
sur celui seul qui sait déjà
qu’il n’ y a pas de secret,
qui regarde le bel or noyé
du temps oblique sur l’éteule,
et s’abîme (qui longtemps
espéra la paix druidique des forêts,
les bouches de lumière, les litanies
de lys et d’aubes profertes
à la naïve gent, ce bleu
qui laissait augurer.
Fondus au noir
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée,1996
Du même auteur :
« Une fois, / Les écluses s’ouvrirent… » (16/03/2015)
Des fins premières (25/08/2016)
« rouillés sont les vaisseaux friables… » (25/08/2017)
Nord Nord-Ouest par Ouest (25/08/2018)
Problématique (25/08/2020)
Fondus au noir (25/08/2021)
Divers exil (18/02/2022)
Combaneyre (25/08/2022)
La joie peut-être (18/02/2023)
Denis Rigal : Nord (18/02/2024)