Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) : Du printemps
Du printemps
La froidure paresseuse
De l'hiver a fait son temps :
Voici la saison joyeuse
Du délicieux printemps.
La terre est d'herbes ornée,
L'herbe de fleurettes l'est ;
La feuillure retournée
Fait ombre dans la forêt.
De grand matin, la pucelle
Va devancer la chaleur
Pour de la rose nouvelle
Cueillir l'odorante fleur ;
Pour avoir meilleure grâce,
Soit qu'elle en pare son sein,
Soit que présent elle en fasse
A son ami de sa main ;
Qui de sa main l'ayant eue
Pour souvenance d'amour,
Ne la perdra point de vue,
La baisant cent fois le jour.
Mais oyez dans le bocage
Le flageolet du berger,
Qui agace le ramage
Du rossignol bocager.
Voyez l'onde claie et pure
Se crêper dans les ruisseaux ;
Dedans, voyez la verdure
De ces voisins arbrisseaux.
La mer est calme et bonasse ;
Le ciel est serein et clair,
La nef jusqu'aux Indes passe ;
Un bon vent la fait voler.
Les messagères avettes
Font çà et là un doux bruit,
Voletant par les fleurettes
Pour cueillir ce qui leur duit.
En leur ruche elles amassent
Des meilleures fleurs la fleur :
C'est à fin qu'elles en fassent
Du miel la douce liqueur.
Tout résonne des voix nettes
De toutes races d'oiseaux :
Par les champs, des alouettes,
Des cygnes dessus les eaux.
Aux maisons, les arondelles,
Les rossignols dans les bois,
En gaies chansons nouvelles
Exercent leurs belles voix.
Doncques, la douleur et l'aise
De l'amour je chanterai,
Comme sa flamme ou mauvaise,
Ou bonne, je sentirai.
Et si le chanter m'agrée,
N'est-ce pas avec raison,
Puisqu'ainsi tout se recrée
Avec la gaie saison ?
Passe-Temps, 1573
Du même auteur :
« Ô doux plaisir ... » (22/08/2018)
Plantons le mai (22/08/2020)
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