Paul Dirmeikis (1954 -) : 木 Laudes du bois
木 Laudes du bois
vendredi 26 avril 2013
L'humilité
A peine t’es-tu essuyé les lèvres
sur la pierre saline des instants
que te prend le désir d’un autre revif
plus pressant remontant le drap
de l’inassouvi jusqu’à ton cou
le temps changeant à chaque souffle
verse sa liqueur de noce au front
tavelé des vieilles femmes veillant
près des jonchaies & du bétail endormi
à peine le mot s’est-il éteint à ta gorge
que les vents captifs dans les granges
tournent et retournent les rivières
cruellement pour attiser ta soif
l’esprit est plus lisse qu’un ciel d’été
plus vierge qu’une corolle de derviche
tu es prêt à tout boire au creuset
des rosées qui se rejoignent enfin
tu t’alignes comme un pèlerin
qui a posé sa joue si souvent sur l’hiver
que le souvenir des ruisseaux s’en est allé
tu es l’aorte vide des nuages
le regard sans larmes des pénitents
le lit creux des amours déshydratées
à peine t’es-tu couvert d’un linge
qu’un hautbois aigrelet te dévêt aussitôt
déboîtant des mortaises tes rêves d’enfant
que d’anciennes amours disjoignent les moellons
pour distiller en toi de plus âcres absences
que de lointaines contrées aux épaules dénudées
t’affrètent ô vaisseau lesté d’alcools tremblants
tu es le feu sauvage au fronton des falaises
à peine t’a-t-on repéré que les déserts
déplacèrent leurs mensonges friables
mardi 12 juin 2012
La contemplation
(La vue)
Pas d’avantage que d’aucuns
vivants nos morts ne sont absents
sur nous s’appuyant sommeillant
tel un rideau dans l’air qui passe
nos morts sont plus verbeux qu’enfants
plus que les amours terrestres
ils s’enroulent dans nos souffles
les herbes ne sont que soupirs
nos morts savent comment les sèves
s’élèvent dans les vocalises
des cavatines nous enlaçant
& lissant nos cheveux épars
bien davantage que nos défaites
nos défunts marquent les sentiers
par les fougères se dépliant
au creux de l’aine des ruisseaux
nos morts ignorent les rêves
qu’ils ont ôtés de leur passage
ils nous les ont abandonnés
pour laisser trace de notre âge
pas davantage que l’oubli
nos morts ne seront ni blessants
ni blessés par cette présence
indocile de notre sang
Mardi 26 mars 2013
Le pouvoir d'apprivoisement du grand
Retournons-nous ajoutons du petit bois
chaque heure est une escale remontons le drap
jusqu’au menton des mensonges plus vite
que les enfants disparaissent les femmes
& la mélancolie relève le col
à son manteau & arrange sa jupe
sur les jardins suspendus où nous laissions
notre âge se déchirer sur les buissons
& sur le peigne de nos appels lointains
A table entendions-nous entre les branches
des jeux & nous nous plaisions au vent glacé
à la résine aux doigts & au vin du temps
que nous inventions & à l’oubli des noms
nous méconnaissions toute pierre scellée
nous étions des horizons les fils illégitimes
ores nous respirons encore comme à nos dix-sept ans
avant l’aube nous ceignons la cambrure
des rêves la soyeuse peau nous dansons
au milieu des astres musqués & là-bas
à l’autre bout de la salle l’aurore
nous donne à sourire la guirlande des noms
que nous aimions tant effleure nos lèvres
de son ivresse & du poivre des fêtes
a table entendons encore au travers
des ramures, mais aux longs cheveux d’hiver
nous préférons notre cahute sans murs
nos boîtes à secrets dedans nos ventres
nos armures de nuages nos combats sans haine
nous nous sommes retournés & nous étions là
nous suivant au versant d’ombres des voyages
la braise dans la trace n’attendait que l’heure
le bois sec des mots a tout recommencé
vendredi 10 août 2012
La retraite
Les chevaux s’approchent
quand on se couche dans l’herbe
quand on confie au sol
le soin de nous déplier
ils sont curieux de nos songes
& de notre dépendance
intrigués par ces rives
nous tirant vers l’exil
ils paissent non loin
du cœur intermittent
prenant garde d’y préserver
le halo du ciel
ils soufflent & leur souffle
rappelle la voix des morts
ils soufflent & l’âme
s’écarte comme une prairie
ils soufflent & l’âge des arbres
se mêle à l’âge des enfants
la page à peine tournée
ils se sont éloignés du vent
comme happés par le reflux de la vie engorgée
comme hélés par d’autres plaintes souterraines
les chevaux nous ont laissés
au bord du lit défait
& nous peinons à revêtir
la chemise du jour
& nous hésitons à reconnaître
aux lignes de nos paumes
la trace des racines
amoureusement broutées
Mardi 2 octobre 2012
La poussée vers le haut
Nous voici là devant vous
maisons des faux souvenirs
maisons du milieu des flots
maisons des marées étales
aux lucarnes de nuages
maisons des morts bien peinards
maisons gansées de contre-chants
maisons illicites aux errants
nous voici là devant vous
nos bras ballants tout le long
tout gadouilleux d’absence
tout impatients & neigeux
nous voici là devant vous
chemins des prétextes forcés
chemins suant de prières
chemins des buissons de femme
aux ombres pelucheuses
chemins des départs inquiets
chemins ourlés de promesses
chemins propices aux chutes
nous voici là devant vous
nuque cassée à l’équerre
tout près du couronnement
tout interdits & rocheux
nous voici là devant vous
pays des faux précédents
pays à l’angle du ciel
pays à l’exil hautain
aux naufrages pressentis
Mardi 1er janvier 2013
La libération
Et j’ai frotté mon ventre caprin
aux récifs le récit de mes plaies
a frangé mes plaintes d’écumes
mon pelage arraché accroché
au corail signalant aux rochers
la blessure des âges anciens
& moi chimère malheureuse
je rugis dans la brume l’horizon
de ma crinière varie comme vent
les écailles de ma queue écorchent
le soleil du sommeil des entrailles
je m’extrais & je cambre mes reins
qui sont plus creux que vos légères
légendes psalmodiées au chevet
du soir tombant tremblant du même
mal qui mit fin au rêve des dieux
& moi chimère malheureuse
aux sabots fendus je remonte
ma peine comme d’un puits le sang
le jus des heures collé à mon flanc
nul ne sait qu’en faire sinon geindre
longuement comme la ronce aux murs
lorsque les prières des hommes
se sont muées en d’hiver murmures
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Les belles choses
L’Eveilleur, 22190 Plérin
Du même auteur :
L’Epaule d’Orphée (21/04/2020)
Laudes du feu (21/04/2021)
L’anneau des frontières (I-XI) (21/04/2022)
L’anneau des frontières (XII - XVIII) (21/04/2023)
Etat des lieux modifié : Fugue 1 (21/04/2024)