Itzhac (Isaac) Katzenelson (1886 -1944) / יצחק קאַצ(ע)נעלסאָן : Aux cieux
Aux cieux
A
C’est ainsi que cela commença, dès l’origine… Cieux, dites pourquoi, ô
dîtes pourquoi ?
Pourquoi il nous échoit d’être ainsi humiliés sur l’immense terre ?
Terre sourde-muette et qui semblait fermer les yeux…. mais vous, cieux,
pourtant vous avez-vu,
d’en haut vous avez regardé sans pour autant vous renverser !
B
Sans nuages vos portails bleus scintillaient, fallacieux comme toujours.
Vêtu de rouge le soleil, bourreau terrible, s’écartelait sur la croix de l’éternité,
et la lune, vieille putain, montait dans les nuits faire sa tournée, obscène
clignement d’étoiles, étincellement de leurs yeux de souris.
C
Décampez ! Je ne veux pas vous regarder, ni vous voir, rien savoir de vous
désormais,
ô cieux mensongers, ô cieux trompeurs si bas dans l’altitude, ah quelle colère
me prend !
J’ai cru en vous jadis, je vous ai confié tristesse et joie, sourires et larmes,
vous ne valez pas mieux, disgracieux, que la laideur de cette terre dans
l’ordure.
D
Ô cieux, j’ai cru en vous, je vous ai célébrés en chacun de mes chants.
Je vous aimais comme on aime une femme, en s’en allant elle a fondu
comme l’écume,
Et le soleil en vous, dès ma prime jeunesse, le soleil dans le brasier de
son couchant,
je le comparais à mon espérance : « Ainsi disparaît mon espoir, ainsi
s’éteint mon rêve ! »
E
Allez-vous en ! Allez-vous en ! Vous nous avez trompés, trompés mon
peuple et mon antique souche !
Vous nous avez trompés depuis toujours, vous avez trompé mes aïeux,
vous avez trompé mes prophètes !
C’est vers vous qu’ils levaient les yeux, ils les allumaient à vos flammes,
Eux sur terre vos plus loyaux, eux qui rêvaient, eux qui voulaient que vous
fussiez ici sur terre.
F
Pourquoi ne savez-vous plus, ne pouvez-vous plus nous reconnaître ? –
aurions-nous tellement changé, nous serions-nous à tel point transformés ?
Nous sommes pourtant les mêmes, des juifs pareils à ceux d’antan – et bien
meilleurs encore… ce n’est pas moi qui prétends m’égaler aux prophètes,
et ce n’est pas moi qui le puis,
mais tous les juifs, ceux qui furent conduits à la mort, par millions les miens
ensemble massacrés.
Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
in, "Anthologie de la poésie yiddish, Le miroir d’un peuple"
Éditions Gallimard, 2000.
Du même auteur :
« Déshabillez-vous… » (14/04/2017)
« Ô douleurs... » (14/04/2019)