Dietmar von Aist (1150 – 1180) : « En haut sur un tilleul… » / « Ûf der linden obene… »
6.I
En haut sur un tilleul chantait un oiselet.
A l’orée du bois il élevait sa voix. Alors mon cœur prit son essor à nouveau
vers un endroit connu. Là je vis des roses :
elles éveillent en moi maintes pensées qui vont vers une dame.
- Il y a bien mille ans, je crois, que les bras du bien-aimé ne m’ont serrée.
Sans que je n’y sois pour rien il m’évite toujours.
Depuis que je n’ai plus vu les fleurs ni entendu les oiseaux,
brève a été ma joie et sans bornes ma peine !
6. II
Une dame était là, seule,
et guettait par la lande
et guettait son ami.
Lors elle vit un faucon passer :
« Heureux faucon, quelle chance as-tu !
Tu voles là où bon te semble.
Tu te choisis dans le bois
un arbre qui te plaît.
Et moi j’ai fait de même :
Je me suis choisi un ami
qu’avaient élu mes yeux.
De belles dames m’en jalousent !
Ah ! que ne me laissent-elles pas mon ami ?
Jamais je n’ai désiré l’ami d’aucunes d’elles ! »
6.III
« Sommeilles-tu, ô bel ami ?
Hélas ! déjà, on nous éveille.
Un oiseau d’une si merveilleuse beauté
est venu se poser sur la branche d’un tilleul. »
« Je dormais d’un doux sommeil
et tu m’appelles, enfant, hélas !
Il n’y a pas de joie sans douleur.
Quoi que tu ordonnes, je l’accomplirai, amie. »
La dame se prit à pleurer :
« Tu t’éloignes et me laisses seule.
Quand me reviendras-tu ?
Las ! Avec toi ma joie s’en va ! »
Traduit du moyen-haut allemand par
Danielle Buschinger, Marie-Renée Diot
Et Wolfgang Spiewok
In, « Poésie d’amour du Moyen Age allemand »
Union Générale d’Editions (10/18), 1993
Tout en haut du tilleul un oiselet chantait, on l’entendait
à l’orée du bois, mon cœur aussi reprit alors essor
vers un endroit connu où j’ai vu fleurir des roses qui rappellent
bien des pensées en moi qui vont vers une dame.
« Il y a mille ans ce me semble que ses chers bras ne m’ont serrée.
Sans faute qui fût la mienne, de moi toujours il s’étrange.
Depuis que je n’ai plus vu de fleurs ni oui chanter les oiseaux,
brève a été ma joie et trop long mon tourment. »
*
Une femme était toute seule,
et guettait de là-haut la lande
et guettait son ami,
lors elle vit un faucon passer :
« Heureux faucon, grande est ta chance !
Tu voles là où bon te semble,
tu te choisis dans la forêt
un arbre qui sait te plaire.
Moi aussi, j’ai fait de même :
je me suis choisi un ami
que mes yeux avaient élu.
Belles dames m’en sont jalouses.
Que ne me laissent-elles, hélas, ce mien ami ?
Jamais n’ai désiré l’amant d’aucune d’elles. »
*
« Dors-tu encore bel ami ?
Las, voici bientôt qu’on nous réveille ;
un oiseau de belle apparence
s’est posé dans les rameaux du tilleul.
- J’étais tendrement endormi,
Et tu m’appelles, enfant, hélas.
La joie sans douleur ne peut être.
Quoi que tu veuilles, ô mon amie, je le ferai. »
La dame se mit à pleurer :
« Tu t’éloignes et me laisses seule.
Dis, quand me reviendras-tu ?
Tu emportes avec toi, hélas, toute ma joie ! »
Traduit de l’allemand par Danielle Buschinger et Jean-Pierre Lefebvre
In « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (Pléiade), 1995
6.I
Ûf der linden obene dâ sanc ein kleinez vogellîn.
vor dem walde wart ez lût . dô huop sich aber daz herze mîn
an eine stat, dâ ez ê dâ was. ich sach dâ rôsebluomen stân,
die manent mich der gedanke vil, die ich hin zeiner vrouwen hân.
Ez dunket mich wol tûsent jâr, daz ich an liebes arme lac.
sunder âne mîne schulde vremedet er mich menegen tac.
sît ich bluomen niht ensach noch enhôrtè der vogel sanc,
sît was mir mîn fröide kurz und ouch der jâmer alzelanc.
6.II
Ez stuont ein vrouwe alleine
und warte über heide
und warte ir liebes,
sô gesach si valken vliegen.
sô wol dir, valke, daz du bist!
du vliugest, swar dir liep ist,
du erkíusest dir in dem walde
einen bóum, der dir gevalle.
alsô hân ouch ich getân:
ich erkôs mir selbe einen man,
der erwélten mîniu ougen.
daz nîdent schoene vrouwen.
owê, wan lânt si mir mîn liep?
joch engérte ich ir dekeines trûtes niet !
6.III
Slâfest du, vriedel ziere?
wan wecket uns leider schiere;
ein vogellîn sô wol getân
daz ist der linden an daz zwî gegân.
Ich was vil sanfte entslâfen,
nu rüefestû, kint, wâfen.
liep âne leit mac niht sîn.
swaz dû gebiutest, daz leiste ich, vriundîn mîn.
Diu vrouwe begunde weinen:
du rîtest hinnen und lâst mich eine.
wenne wilt du wider her zuo mir?
owê, du vüerest mîne vröide sant dir!
Des Minnesangs Frühling.I
Nouvelle édition revue par H.Moser et H. Tervooren.
37ème édition, Stuggart, 1982
Poème précédent en moyen haut -allemand :
Der Burggraf von Regensburg : « Je suis avec constance… » / « Ich bin mit rehter staete… » (24/10/2016)
Poème suivant en moyen haut -allemand :
Heinrich Von Morungen : « Des regards douloureux... » / « Leitlîche blicke... » (11/04/2018)