Antonio Machado (1875 – 1939) : Il y a eu crime dans Grenade / El crimen fue en Granada
Il y a eu crime dans Grenade
A Federico Garcia Lorca
I
Le crime
On l’avait vu, cheminant entre des fusils
par une longue rue,
apparaître dans la campagne froide,
encore étoilée, la campagne du matin.
Ils ont tué Frédéric
à l’heure où surgissait la lumière.
Le peloton des bourreaux
n’osait le regarder en face.
Ils ont tous fermé les yeux,
ils ont prié : Dieu lui-même ne te sauverait pas !
Il est tombé mort, Frédéric
- sang au front et aux entrailles. –
…Il y a eu crime dans Grenade !
Vous savez ? – pauvre Grenade ! – sa Grenade !...
II
Le poète et la mort
On le vit cheminer seul avec elle,
sans crainte de sa faux.
- Déjà le soleil frappe sur la tour et la tour ; et les marteaux
sur l’enclume, et l’enclume, et l’enclume des forges.
Frédéric parlait,
faisant à la mort sa cour, et elle écoutait.
« Parce qu’hier, dans mes vers, chère compagne,
résonnait le choc de tes paumes sèches
parce qu’hier, dans mes vers, chère compagne,
et parce que tu donnas à mon chant ton gel, et à ma tragédie
le fil de ta faux d’argent,
je te chanterai la chair que tu n’as plus,
tes yeux absents,
tes cheveux que le vent secouait,
et les rouges lèvres où l’on te baisait…
Aujourd’hui comme hier, ma mort, belle gitane,
Ah ! qu’on est bien seule avec toi,
à respirer cet air de Grenade, ma Grenade ! »
III
On les vit cheminer…
Taillez-moi mes amis,
un sépulcre de pierre et de rêve, - dans l’Alhambra,
pour le poète
sur une fontaine où l’on pleure
et dise éternellement :
il y a eu crime dans Grenade ! sa Grenade !
Traduit de l’espagnol par Jean Cassou
In, Federico Garcia Lorca « Romancero gitan et poèmes »
Editions Seghers, 1964
Il y eut crime dans Grenade
I
Le crime
On l’a vu cheminer entre des fusils,
dans une longue rue,
vers la campagne froide,
quand les étoiles de l’aube brillaient encore.
Ils ont tué Federico
quand la lumière surgissait.
Le peloton des bourreaux
n’osait le regarder en face.
Ils ont tous fermé les yeux ;
en priant : Dieu même ne te sauverait !
Federico est tombé, mort
- du sang au front, du plomb aux entrailles. –
…Il y a eu crime dans Grenade !
sachez-le – pauvre Grenade ! –dans sa Grenade !...
II
Le poète et la mort
On l’a vu cheminer seul avec Elle,
sans crainte de sa faux.
Le soleil sur toutes les tours ; et les marteaux
sur l’enclume - l’enclume des forgerons.
Federico parlait,
il courtisait la mort, Elle, l’écoutait.
« Parce qu’hier, dans mes vers, ô ma compagne,
résonnait le claquement sec de tes mains
parce que tu donnais le froid à mon chant
et à ma tragédie le tranchant de ta faucille d’argent,
je chanterai la chair que tu n’as pas,
les yeux qui te manquent,
tes cheveux qu’ébouriffait le vent,
et tes lèvres rouges toujours prêtes aux baisers…
Aujourd’hui, comme hier, ma mort, ma gitane,
ah que je suis bien avec toi,
tous deux seuls, respirant l’air de Grenade,
ma Grenade ! »
On l’a vu cheminer…
Amis, ciselez dans la pierre et le songe, dans l’Alhambra,
un tombeau pour le poète
sur une fontaine où l’eau pleure
et puisse dire éternellement :
il y a eu crime dans Grenade, dans sa Grenade !
gitan et poèmes »
Editions Seghers, 1964
Traduit de l’espagnol par Jacinto-Luis Guereña
In, «Anthologie bilingue de la poésie espagnole contemporaine »,
Editions Gérard et Cie (Marabout Université), Verviers (Belgique),1969
Le crime a eu lieu Grenade
A Federico Garcia Lorca
I
Le crime
On le vit, avançant au milieu des fusils
Par une longue rue,
Sortir dans la campagne froide,
Sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
N’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux :
Ils prient : Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
- Du sang, au front, du plomb dans les entrailles –
…Apprenez que le crime a eu lieu dans Grenade !
– Pauvre Grenade ! – , sa Grenade !...
II
Le poète et la mort
On le vit s’avancer seul avec Elle,
Sans craindre sa faux.
- Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux
Sur l’enclume, - sur l’enclume des forges.
Federico parlait ;
Il courtisait la mort. Elle écoutait.
« Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers
Les coups de tes mains desséchées,
Qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace
Et à ma tragédie le fil de ta faucille d’argent,
Je chanterai la chair que tu n’as pas,
Les yeux qui te manquent,
Les cheveux que le vent agitait,
Les rouges lèvres que l’on baisait…
Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort
Que je suis bien seul avec toi,
Dans l’air de Grenade, ma Grenade ! »
III
On le vit s’avancer…
Elevez, mes amis
Dans l’Alhambra, de pierre et de songe,
Un tombeau au poète,
Sur une fontaine où l’eau gémira
Et dira éternellement :
Le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !
Traduit de l’espagnol par Sylvie Sesé-Léger et Bernard Sesé
In, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Du même auteur :
Aube sur Valence / Amanecer en Valencia (08/12/2016)
Poésies de la guerre / Poesías de la guerra (20/07/2021)
Aveu / Confesión (02/07/2022)
Souvenirs / Recuerdos (02/07/2023)
Rives du Douro / Orillas del Duero ((02/07/2024)
El crimen fue en Granada
A Federico Garcia Lorca
I
El crimen
Se le vio, caminando entre fusiles,
por una calle larga,
salir al campo frío,
aún con estrellas, de la madrugada.
Mataron a Federico
cuando la luz asomaba.
El pelotón de verdugos
no osó mirarle la cara.
Todos cerraron los ojos;
rezaron: ¡ni Dios te salva!
Muerto cayó Federico.
-sangre en la frente y plomo en las entrañas-.
...Que fue en Granada el crimen
sabed -¡pobre Granada!-, en su Granada...
II
El poeta y la muerte
Se le vio caminar solo con Ella,
sin miedo a su guadaña.
Ya el sol en torre y torre; los martillos
en yunque - yunque y yunque de las fraguas.
Hablaba Federico,
requebrando a la muerte. Ella escuchaba.
"Porque ayer en mi verso, compañera,
sonaba el golpe de tus secas palmas,
y diste el hielo a mi cantar, y el filo
a mi tragedia de tu hoz de plata,
te cantaré la carne que no tienes,
los ojos que te faltan,
tus cabellos que el viento sacudía,
los rojos labios donde te besaban...
Hoy como ayer, gitana, muerte mía,
qué bien contigo a solas,
por estos aires de Granada, ¡mi Granada!"
III
Se le vio caminar..
Labrad, amigos,
de piedra y sueño, en el Alhambra,
un túmulo al poeta,
sobre una fuente donde llore el agua,
y eternamente diga:
el crimen fue en Granada, ¡en su Granada!
Ayuda. Semanario de la solidaridad, n.º 22, 17 de octubre de 1936
Editado por el Socorro Rojo de España, Valencia, 1936
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José Emilio Pacheco : Las ruinas de México (Elegia del retorno) (13/11/2015)
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Federico Garcia Lorca : Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías / Llanto por Ignacio Sánchez Mejías (19/12/2015)