Yannis Ritsos / Γιάννης Ρίτσος (1909- 1990) : Les vieilles femmes et la mer
Les vieilles femmes et la mer
Toutes ensemble
(doucement, simplement, d’une voix lasse et lointaine)
Dès que tombe le crépuscule, nous sortons nous asseoir ici,
sur la pierre du seuil, sur les rochers
pour que nous batte le vent du large et qu’il nous vide de
notre vide.
Nous reposer de ne plus rien faire,
oublier, nous les oubliées, faites d’oubli,
comme si tout s’en était allé, et que nous soyons restées seules
sur une aire haute et large où le vent souffle de tous côtés –
La première
Vent qui vanne le vent sur l’aire ouverte
sans grain ni paille, sans fourche ni chevaux.
La deuxième
Vent, profond vent –
qui ne souffle ni ne résonne ni ne lève de poussière
La troisième
nul mur, dedans ni dehors, où le vent cogne son genou,
son front,
où il trébuche et se meurtrisse et crie
La quatrième
qu’il gémisse et que nous l’entendions, et que nous souffrions –
La cinquième
Comment le vent souffrirait-il ? – il n’est point chair ;
il n’a pas d’os et pas de nerfs.
La sixième
Sur le silence : silence ;
La septième
silence – fumée de bateau, qui s’accroupit sur le soleil couchant
fumée qui change et qui demeure, qui tantôt brille et tantôt se ternit.
La sixième
Silence : le silence ; la fumée : fumée – elle change
devient dauphin céleste – sa queue, deux triangles d’or ;
devient cerf violet aux cornes roses ;
La quatrième
et le bleu vire au pêche, le rouge au violet ;
La troisième
Elle se raréfie, se dissipe, se perd ;
La septième
fumée raréfiée, abandonnée –
grand fleur sans racine, éclose un instant dans le vide,
quand le navire
l’a laissée la toute seule er s’en est allé,
La quatrième
déjà dissipée, la muette fumée,
partie, par-dessus le sourcil de la mer, silencieusement
disparue –
La sixième
sur le silence : silence ;
La première
nous voilà comme la fumée :
La sixième
Nous changeons, nous passons, nous nous effilochons.
La septième
Nous voilà devenue sac d’os, lié en haut par un cordage,
mais les os, comme nous, ne se dispersent pas,
seul le vent passe à travers la trame de la toile
et de ses mille aiguilles perce nos os – quels os ?
La première
Quels os ? – allégés, eux aussi ; vides,
sans chair ni moelle, comme de vieilles flûtes
La deuxième
Le vent y souffle et en tire un son grêle, parfois, comme
un chant ;
La septième
et les articulations déboîtées ne retiennent plus les os, ne les font
plus plier pour la marche
La quatrième
légères, si légères – nous n’entendons ni ne voyons –
La troisième
nous entendons avant d’écouter
et nous voyons avant de regarder –que voyons-nous ?
Toutes ensemble
Les navires sont partis, nos hommes sont partis, nos enfants
sont partis –
Nous ne savons qui est parti, qui est resté, nous ne savons
pourquoi nous sommes venues, pourquoi nous restons, pourquoi
nous partirons,
nous ne savons qui s’est noyé en mer, qui s’est tué dans la
montagne,
ce que sont devenus les autres – des orties ont-elles poussé
sur leur crânes ?
des crabes ont-ils pondu entre leur côtes ? – nous ne savons
plus rien ; nous avons tout oublié
la piqûre du scorpion, le clou sur le front –
La première
Vauriens, fainéants, canailles,
ivrognes, insoumis, vantards,
ils ne voulaient rien écouter – têtes dures !
ils l’ont brisé sur les rochers, leur tête dure,
jamais ils ne voulaient céder – fiers gaillards !
ils sont partis – nous avons oublié.
La septième
Nous ne nous rappelons qu’une rangée de pieds dépassant
de la couverture – et tu ne pouvais distinguer
ceux du père, du fils ou du petit-fils – tous forts et larges
comme de grosses citrouilles rouges.
La cinquième
Leurs pantalons trempés par des vagues furieuses,
des coquillages et des oursins à leurs aisselles,
de petits cailloux roses et blancs entre leurs doigts,
des algues et des crevettes dans la toison de leurs poitrines,
un homard en colère entre leurs cuisses –
La deuxième
Nous n’osions pas les regarder – nous baissions les paupières,
mais quand ils nous tournaient le dos, large comme deux montagnes
et que leur ombre, sur la plage humide et brillante, dessinait comme
un ours marin,
alors nos yeux, oiseaux effarouchés, se posaient sur eux – comment
étaient-ils, nos hommes ?
La troisième
La moitié de leur bras cuite comme une tuile par les embruns,
le soleil et le vent,
l’autre moitié cachée sous le rude tricot.
La quatrième
Comment savoir qu’elle moitié était à eux,
quel quart était à nous ? – mais nous, nous n’avions rien –
la mer, elle, avait tout
et leurs tricots, faits de nos mains, tricotant la laine de bélier,
l’après-midi près de la fenêtre,
semblaient faits d’algues et de sel, tricotés par la mer elle-même.
La sixième
La mer, grande intendante, régnait en maîtresse chez nous,
elle guidait leurs yeux, leurs gestes, leurs bourses,
elle commandait leurs verres, leurs voix, leurs chansons,
arrangeait à son goût leurs cheveux
et troussait leurs moustaches de son écume.
La cinquième
Océans, navires, nuages ne lui suffisaient pas,
La première
il lui fallait aussi pénétrer dans nos chambres,
La septième
s’asseoir sur nos tabourets, s’étendre sur nos lits
La troisième
au moment le plus tendre, elle se glissait encore entre nous
et nos hommes
ou poussait un grand cri, comme si on tuait quelqu’un,
alors leurs mains tombaient, comme des rames brisées, et
leurs yeux se perdaient,
La quatrième
leurs yeux comme les croix marines dans les algues des ténèbres
La deuxième
et parfois une vague, comme une clovisse ouverte,
se dressait devant le berceau du nouveau-né et lui éclairait le
visage
comme pour l’ensorceler avant qu’il sache marcher, avant
qu’il sorte.
Toutes ensemble
Ah ! elle nous a tout pris, la mer !
La quatrième
Les barreaux de nos balcons, elle les a arrachés et a mis des
poissons à leur place,
dans le cœur de nos hommes, elle a planté un sargue rouge aux
épines sauvages
et à leurs ceintures, des poissons-couteaux.
La septième
Ah ! tous ces mâles ! ils n’étaient que jurons et que poils –
intouchables ;
La deuxième
c’étaient des enfants, doux et timides – ne jurant que pour cacher
leur timidité,
La quatrième
des enfants sauvages et innocents – craignant d’être entraînés
par leur force.
Toutes ensemble
Oui, oui, ils redoutaient la mer
et pourtant, ils ne cédaient pas, n’avouaient pas leur peur.
La sixième
Ils avaient peur, oui, peur – en eux se couchaient mille morts,
l’une sur l’autre,
comme au fond de la mer, les navires se couchent sur le flanc
et parfois un grand poisson muet, à l’improviste, venait sonner
la cloche rouillée du quart – et nous, nous l’entendions.
Toutes ensemble
Ah ! tous ces mâles, petits et grands, ils avaient peur,
mais plus encore ils redoutaient de nous le laisser voir.
La troisième
Et nous, humblement, gardions les yeux baissés,
jamais nous ne levions les yeux plus haut que leurs genoux,
La première
Jamais nous ne les affrontions face à face
La quatrième
et plus ils se montraient intrépides pour nous impressionner,
plus nous nous montrions humbles, pour qu’ils ne nous devinent pas
La cinquième
Ah ! comme nous comptions pour eux, quand il semblait que
nous ne comptions pas –
et si leurs deux sourcils étaient deux fières arcades,
entre eux, la peur, noir corbeau, se perchait ;
La sixième
Ah ! qu’ils se ressemblaient, tous, petits et grands,
car sur tous les visages, la peur a la même couleur,
La troisième
de même que l’espoir, et que la mer –
et tous les marins ont les yeux bleus du danger qu’ils
regardent au loin.
La sixième
Qu’ils étaient beaux ! La fraternité de la mer sur leurs traits austères,
le front éclairé par la dure loyauté des guerriers.
La deuxième
Tu ne pouvais les approcher – revêtus qu’ils étaient de l’invisible
obscurité des cales,
et les rides autour de leurs yeux comme l’ombre du gouvernail sur
le pont humide au clair de lune.
La septième
Et leur corps ne sentait pas la sueur, mais la tempête,
La première
les vagues déchaînées, et les lumières vacillantes des ports étrangers
La septième
et leurs cheveux sentaient les glands et l’huile de machine ;
La troisième
et leurs yeux apparaissaient sous la broussaille des sourcils comme
le clair de lune en mer, au loin, entre deux nuages.
Toutes ensemble
Jamais nous n’avons su qui ils étaient – jamais -
et quand ils entraient en nous, nous étions absentes, ailleurs,
attendant
la chair de l‘enfant qui gonflerait en nous,
la chair qui comblerait notre chair,
la chair qui remplirait notre solitude.
La sixième
Et c’était comme si nous gardions notre homme en nous
La septième
nu et sans honte, sans jurons ni dauphins ni mâts,
tout nu, sans les durs poils qui lui cachent la poitrine
La cinquième
et que sans honte nous le bercions en nous
La première
et les nourrissions à la becquée ; - nous avons eu de bons
moments ;
La quatrième
de beaux moments – et nous aussi nous étions belles alors,
dépeignées, sans parure,
La septième
avec la salive de notre homme sous la langue,
La deuxième
et les griffes de sa barbe sur nos joues –
La troisième
Et ces griffes, nous les caressions d’une main tandis que l’autre
tournait la cuiller dans la soupe.
La deuxième
fines, invisibles griffes sur nos joues,
pénétrant au plus profond de nous et laissant dans notre âme
de douces cicatrices
comme on en voit au sable sous l’eau claire, à l’aube, après,
la tempête nocturne.
La quatrième
Nous avons eu de bons moments à leurs côtés, de durs moments
- nous ne leur en voulions pas,
et s’ils nous rabrouaient, nous ne répondions pas,
car eux commandaient le bateau, nous la maison,
et le bateau roule et tangue, mais la maison demeure inébranlable –
La sixième
Inébranlable, en apparence – toute agitée, sans qu’on le voie.
La troisième
Et nous ne soufflions pas un mot, pas même un soupir, non
par crainte, mais par fierté et décence,
parce qu’il n’est pas convenable que les plus forts se mettent
en colère.
La deuxième
Les plus forts ? Tais-toi donc ! qu’est-ce que tu racontes ?
Qui peut mesurer la force ? et quelle force ? quelle mesure ?
Nous sommes sans force, légères comme la brise qui entre
le matin par la fenêtre
et fait voleter le feston de papier du dressoir
comme la brise (qu’est-ce que tu racontes ?)
qui, de ses deux doigts écartèle la fleur de bigaradier – légères
La première
Notre force, c’est notre légèreté – le vent –
La deuxième
Tais-toi, tais-toi – de quel vent parles-tu ?
La cinquième
Les plus forts, qui étaient-ce ? Eux ou nous ? Nous,
puisque nous tenions les rênes du ménage.
La première
Nous qui savions combien il faut d’oignons pour préparer
les poulpes qu’ils pêchaient,
La deuxième
combien d’indigo pour lessiver la chemise du dimanche,
La troisième
combien de lait et de sommeil pour l’enfant,
La sixième
combien de silence et de veille pour l’homme
La quatrième
combien de vinaigre pour les lentilles,
La cinquième
comment laver la laine des matelas pour qu’elle ne s’abîme pas,
La septième
combien de vent laisser entrer par la fenêtre
La sixième
quand on doit éteindre la lampe,
La troisième
comment multiplier la nourriture quand arrivent des visiteurs
inattendus,
ou, comme aux noces de Cana, pour que la famille ne perde pas
la face,
comment faire abonder le vin quand il n’en reste plus une goutte
à la cave
et que les boutique sont closes, et les rues obscures,
La deuxième
comment faire sourire la bouche amère,
comment ignorer l’ombre évidente
qui vient heurter le plafond, le lit, les pieds de la chaise,
pour qu’ils ne tournent pas les yeux vers elle, et qu’ils ne la
voient pas.
La première
Eux qui affrontaient les grands poissons et les harpons,
eux dont les reins avaient la force de la dynamite,
eux qui faisaient sauter des mines dans les rochers et dans
les vagues,
La deuxième
ils n’arrivaient pas même à faire un trou dans le gigot pour
y planter la gousse d’ail.
La septième
Farcis d’affaires et de projets, de chiffres et de rêves,
ils ne prenaient pas même le temps de respirer entre deux
compte,
La deuxième
de boire une gorgée de ciel
pour l’additionner, elle aussi, comme un zéro d’azur
avant le nombre, après le nombre
La quatrième
et pour augmenter le total de ce cercle bleu.
La septième
Ils n’aimaient pas les zéros, eux,
La deuxième
les zéros légers qui allègent le fer,
légers comme les cercles que tracent les mouettes, au crépuscule,
et qui allègent les nuages,
La quatrième
légers comme les cercles que trace la pierre sur l’eau paisible,
en s’enfonçant.
La septième
Ils n’aimaient pas les cercles. Ils n’aimaient que ce qui est droit
et solide (mais qu’est-ce qui est solide ?) –
gonflés d’ardents désirs, comme l’oignon dodu,
mais sans savoir que l’oignon n’est que pelure
- si tu en enlèves une, tu en trouves une autre,
La cinquième
rien que pelure jusqu’à la fin – ni chair ni noyau
La quatrième
et il ne fallait pas le leur dire – faire la savante,
étaler sur la place publique les doux secrets de la maison,
les calices de la cuisine, l’autel des repas familiers, l’évangile
du vaisselier,
La sixième
les petits nœuds des étoiles, avec les trésors et les secrets de la nuit,
à l’heure où ils dormaient ou causaient,
pendant que nous lavions la vaisselle, sans nous presser, en jetant
parfois un coup d’œil par la fenêtre –
La septième
Nous en savions des choses – nous les avons enseignées-
nous les avons oubliées,
La troisième
tout ce que nous nous rappelons c’est que nous ne savons plus rien
La cinquième
comme si nous avions déménagé par delà le rivage, sur le chemin
d’en haut, où commencent les vignes,
où nos narines ne reconnaissent plus le vent,
La première
pourtant sur les grains de raisin se dépose le sel
et la grappe a l’air d’un fruit de mer.
La sixième
Le vent ne nous touche plus avec ses malices, ses flatteries,
ses contes –
La quatrième
Notre jupon s’est durci, comme fait de toile à voile, - le vent
ne nous touche plus –
nos cheveux restent immobiles comme des brins d’osier,
La deuxième
pourtant sous nos jupes de grands navires jadis ont jeté l’ancre –
La troisième
Jadis, jadis, jadis
La première
Jadis quand nous mouchions la lampe et que la double tache noire
maculait nos deux doigts,
nous les essuyions sous la petite table ou sur nos tabliers et nous
reconnaissions
la marque de suie qu’avaient laissé nos doigts, nous connaissions
le brasillement de la lampe à l’aube, quand l’huile est consumée,
quand
le monde entier est sel, cordage, tempête,
La deuxième
avant que le soleil surgisse des gouttes de la mer, comme un
poulpe rose
avec sa grosse tête humide et ses longs tentacules, enlaçant les
nuages
La sixième
et le jour alors était gloire et douleur, avidité, désir et veille
d’une rencontre –
Toutes ensemble
Et nous voici maintenant, mâchonnant notre salive de nos
gencives nues,
sans plainte et sans rancune, - oubliées par la mort –
solitaires, abandonnées, et notre menton tremblotant
pend au-dessus de la vie comme une pierre descellée sur le
rebord d’un puits.
La première
Et nous ne savons même plus notre nom – nous avions un nom
autrefois,
La deuxième
puis nous l’avons changé pour celui de notre homme,
La troisième
puis pour celui de « mère »,
La quatrième
puis on nous appela « mémé »,
La cinquième
puis seulement « la vieille »,
La sixième
puis rien – personne ne nous appelle plus, que nous puissions
entendre, pour que nous existions.
La septième
Et quand quelqu’un jurait ou lançait un éloge ce n’était plus pour
nous
mais pour une autre, inconnue, oubliée,
dans une autre rue, derrière les montagnes, dans une autre maison.
La deuxième
Il y avait aussi un miroir encadré de coquillages dorés où
s’agitaient les algues du soir et les silences de la mer
La troisième
et le poisson d’argent de la veilleuse, en dessous des icônes,
se dressait dans l’ombre du miroir,
La quatrième
de grands crabes traversaient silencieusement le plafond,
La sixième
des oursins indécis se faufilaient dans les souliers des enfants,
sous le lit.
Toutes ensemble
Et nous devions penser au feu, au repas, à la lampe,
chasser le scintillement des poissons aux coins de la maison
et les mille doigt violets des oursins qui faisaient des signes
secrets à nos petits-enfants.
La première
Tu essaies parfois de te rappeler tes journées –
elles s’échappent comme le sable entre les doigts,
La sixième
elles ne sont plus ; - passées l’heure et la lumière d’où elles
sont nées,
passé ton désir qui les prenait, les nourrissait, leur donnait vie –
La troisième
Elles ont changé, ce ne sont plus les tiennes – ne restent ici ou là
qu’un lambeau d’espace, un fragment de couleur,
pour montrer ce qui a été et qui n’est plus – comme la vieille veste
élimée
qui ne tient que par les coutures, où se devinent encore la couleur
et la texture du drap
sous le pâle duvet, sous la douce poussière – la couture
La quatrième
comme la mince frange d’une vague qui vient mourir sur le
rivage désert
La deuxième
Tu contemples parfois, à côté des icônes, les deux couronnes de
fleurs d’orangers de cire
dans leur boîte en fer blanc, au couvercle vitré,
petits orangers enroulés, oubliés par un vieux printemps, noyés
dans l’eau d’une mer minuscule.
La cinquième
Et Saint Georges, superbe, caracolant,
sur son cheval rouge, semble languir
La sixième
depuis le temps qu’il pourfend son dragon sans que la bête se
décide à fermer les yeux ;
La septième
Et Dieu, renfrogné et brumeux – « défendu », « défendu », c’est
tout ce qu’il sait dire,
et rien ne lui plaît, ni l’huile, ni l’encens, ni l’ombre ;
La première
et le coffre noir, avec ses cyprès peints en bleu, dans le coin de
la chambre,
comme un cercueil d’enfant qu’on n’aurait pas emporté au
cimetière, qu’on aurait oublié là.
Toutes ensemble
Ah ! tout est enfui, oublié – même la douleur est oubliée –
une grande solitude, un grand vide – comment les combler ?
- tu ne te soucies plus de les combler,
La première
tu essaies parfois de te rappeler le large lit et son rideau
d’indienne
- grand navire aux voiles carrées : il s’est englouti.
La quatrième
Tu essaies de te rappeler tes couches – sombre, sombre,
tout sombre –
comme si ce n’était pas nous qui avions accouché et coupé
de nos propres mains le cordon ;
La sixième
parfois, nous sentons bouger le cordon de notre tablier
sur notre nombril desséché, comme le cordon rouge coupé
du monde,
comme si on nous avait détachées du monde
vieux nourrissons dont les dents n’ont pas encore percé.
Toutes ensemble
Nos veines sont des filets cassés, qui ne peuvent plus rien retenir,
seules les rides tissent autour de nous des noeuds solides, nous
enveloppent tout entières,
ne nous relâchent plus, comme si nous-mêmes étions devenues
poissons,
maigres poissons, étroit, dont l’épine dorsale affleure à nos doigts,
pique sans nous blesser,
comme si nous n’étions plus qu’os, peau desséchée et dures écailles.
La troisième
Quelquefois, deux coups brusques frappent dans notre cœur comme
les dés jetés sur le jacquet, à la taverne du port
et nous savons alors que deux êtres s’affrontent et font leurs comptes,
deux êtres muets, silencieux – on n’entend que leurs dés –
deux êtres sombres, penchés, jouant chacun pour lui seul,
et qu’importe qui perd car c’est nous qui payons
et qu’importe qui gagne car c’est nous qui gagnons –
La quatrième
Quelle perte et quel gain ? – nous l’ignorons.
Toutes ensemble
Tantôt c’était l’un qui manquait, tantôt l’autre, nous ignorions
lequel –
habituées à l’absence – habituées.
La sixième
Et l’absence devenait tangible – amenait près de nous l’absent
La troisième
comme s’il ne manquait rien, alors que tout manquait – comme
quand
se vide la jarre d’huile : elle retrouve alors d’un coup sa plénitude,
révèle sa profondeur dévoilée ;
La deuxième
ah oui, l’huile, tant qu’il y en avait, cachait la forme intérieure de
la jarre, et le fond – tu ne le voyais pas
et si tu penchais tu ne voyais, sombre et couleur d’huile, que ton
propre visage ;
et plus baissait l’huile, plus se révélait la jarre, disques par disques –
et maintenant
La quatrième
l’intérieur apparaît, tout entier, scintillant, sonore,
apparaît tout entier le vide, rond et libre.
La sixième
Une quiétude ronde et palpable, qui ne risque plus de se vider –
La deuxième
Ah ! quiétude, quiétude – quel bonheur – le vent s’est tu.
Toutes ensemble
Voilà cent ou deux cent ans (nous n’en savons plus rien)
nous avons livré
les lourdes clefs du ménage et de l’ordre,
La première
les clés du buffet, où sont le café et le sucre,
La troisième
les clés de la cave, où sont le vin et l’huile
et la grande quiétude humide, comme un carré de mer transporté
sur la terre
La deuxième
Nous ne voyons plus les jarres se vider comme un enfant qui
descend l’escalier
- et tu trembles qu’il tombe, et se casse une jambe ;
La sixième
nous ne voyons même plus les jarres vides, avec leur creux
brillant et achevé.
Toutes ensemble
Nous avons livré toutes les clés – nous voici allégées ;
La septième
les clés grandes et lourdes, comme celles du paradis
La deuxième
et d’autres, petites come un clou de girofle, ou pointues comme
une aiguille – nous les avons livrées ;
La cinquième
nous avons perdu le secret de la farine et du sel,
La première
le secret du levain et de la soupe de poisson,
La sixième
celui de mélanger les choses différentes et d’en faire naître
autre chose,
le secret de refuser, de céder, de lutter, de conquérir ;
La cinquième
le bruit particulier du poisson enfariné dans la poêle
annonçant la grande heure, l’heure d’agir –
Toutes ensemble
Nous avons tout laissé ainsi, nous avons accepté
les chose dispersées, irréconciliables, adverses, réconciliées en nous
La quatrième
Et le trou de l’âtre, comme une narine enfumée et poilue,
humait parfois la familière odeur de la maison
parfois l’instable odeur du temps, du vent, des étoiles, des années,
La sixième
comme s’il avait résolu le problème du dedans et du dehors,
La quatrième
joignant de son trou vertical le dedans et le dehors, le bas et le haut,
tantôt aspirant l’air et tantôt l’expirant,
le changeant, unissant l’air du dedans et du dehors de son souffle
profond et régulier, dans une immense paix.
Toutes ensemble
Ah ! nous n’en voulons plus, de cette paix si longtemps recherchée
- qu’en ferions-nous ?
La première
Je veux sentir la peau ridée de mon cou trembler comme le cordage
détendu d’un vieux bateau blessé,
La deuxième
entendre le vent dans le cordage flasque,
La troisième
entendre le cordage trembler d’une dernière résistance,
La sixième
entendre la silencieuse reddition, entière résistance.
La troisième
Résistance à quoi ? – comme ta question
la pointe du mât s’enfonce la dernière
(le beau navire sombre debout) et ne surnage
qu’une lanterne sur une planche – voguant seule, inutile,
éclairant seulement
l’endroit du naufrage, les gouffres du large,
Toutes ensemble
Que faire de cette lanterne abandonnée ? que voir ?
gouffre après gouffre, les vagues, engloutissant les âmes ?
éclairs-pentacles, fragments de fil de fer incandescents entre
les nuages
guerres, massacres et privations,
La septième
tempêtes et cris et yeux écarquillés –
les cavaliers du vent, barbes d’algues,
cheveux de cordages, yeux dépareillés,
l‘un de sel, l’autre de fer – et à l’aube,
La deuxième
une lune qui roule sur les vagues noircissantes
comme le pain détrempé qu’un noyé n’a pas eu le temps de manger.
La quatrième
Je ne sais ce qui s’est passé, je n’ai rien vu –une ombre énorme
comme le fort de Monemvassia, comme celui de Palamidi et
ses deux mille marches de pierre,
a sauté au milieu des vagues – que voir ? Je n’ai pas eu le temps ;
filets, bourriches et poissons-éclairs bougent sur les rochers.
La cinquième
Certains arrivaient la nuit, d’autres partaient à l’aube.
La première
Les fanaux des navires éclairaient les visages étrangers.
La septième
Où les avions-nous vus ? Où les avions-nous rencontrés ?
La deuxième
Des bras de métal luisaient dans l’explosion des éclairs
La troisième
L’odeur du danger sur leurs vareuses.
La quatrième
Le rugissement de l’océan à leurs ongles.
Toutes ensemble
Les enfants sont devenus des hommes, ils ont mené chez nous
des femmes étrangères,
elles ont fait des enfants à leur tour, et c’était
comme si les nôtres, redevenus petits, nous revenaient.
La cinquième
Comme si c’était de nous qu’eux aussi étaient nés, comme si
de nous était né l’univers.
La septième
Eux aussi ont grandi, ils sont partis – partis – où sont-ils allés ?
La première
Parfois pourtant nous les apercevions sous le fanal du port –
Toutes ensemble
Voix inconnus, vêtements inconnus –
La deuxième
Mais sur leur pipe scintillait une étoile familière
La septième
et familière aussi l’odeur du tabac
La quatrième
et l’odeur du bateau sur leurs vêtements nous souriait.
Toutes ensemble
Plus rien ; le serpent domestique ne hante plus le plafond ;
il est mort
La deuxième
Et le grillon du foyer a enfoui son luth dans les cendres
La troisième
Sur les carreaux de la fenêtre, les échelles de corde ni les mâts
ne se dessinent plus.
La quatrième
Seul, le phare cligne en vain de l’œil, au soleil couchant,
Toutes ensemble
Ah ! tout s’est fondu dans le crépuscule ; angles, traits distinctifs,
tout a disparu.
La première
Sur le mur, tu ne sais plus si c’est le harpon ou la lance de Saint Georges ;
car les navires entraient si souvent dans nos chambres
que nous ne distinguions plus la chambre du navire,
La quatrième
nous ne distinguons plus le berceau, l’auge, le cercueil,
taillés du même bois, comme de petits ou de grands bateaux.
La septième
Le blé, d’abord, nous n’avions qu’à le moudre pour la farine,
la semoule, le gruau,
puis nous l’avons bouilli pour la messe du troisième jour, du
neuvième, du quarantième,
La cinquième
puis nous avons orné le blé bouilli de grains de grenades et de
dragées d’argent,
et au milieu du plat, tracé la croix de sucre.
La deuxième
Ah ! qu’elle était amère, la croix de sucre !
La cinquième
de sucre qu’on gardait pour les confitures et les kourabiés de
Pâques,
La septième
grains de blé, grains de grenade, grain de sanglot, le blé bouilli,
Toutes ensemble
avec nos larmes et notre morve, nous l’avalions,
La première
ensuite, avec le temps, s’adoucissait le blé bouilli,
La cinquième
nous le mangions aussi ; il était bon – nourrissant.
Nous nous sommes rassasiées de mort.
Toutes ensemble
Nous ne savions pas chaque fois qui nourrir. Le blé, nous le mangions,
et le sucre qui poissait nos paumes – nous le léchions
et puis nous descendions vers le rivage, pour nous laver les mains,
La septième
et nous demeurions là, perdues, à regarder le large, et nos paumes
poisseuses, nous ne les lavions pas.
La première
Nous ne distinguions plus le blé des morts de celui des vivants.
La cinquième
Nous ne distinguions plus le poulpe sec pendu au mur du crucifix.
La septième
Nous ne distinguions plus les tresses d’ail des flots du Jourdain.
Toutes ensemble
Et parfois survenait un matin doux comme le premier jour de la
création
ou la vie, dans la lumière, révélait le fond de ses entrailles.
La deuxième
Les meubles, les enfants, et le laurier séché pendu au mur par
une ficelle
tout était calme, nivelé – l’escabeau et le cerceau de la moustiquaire ;
La troisième
comme lorsque tu regardes le creux du rivage et que tu aperçois
sous l’eau limpide, les galets ronds, bruns, citron, roses,
paisibles, bien rangés, comme si jamais ne les avait battus la
colère de l’eau et du vent.
La sixième
Et tu te dis : ce qui est au fond est en haut – et tu ne te noies pas.
La quatrième
Seul un léger soupir s’accroche à ta bouche
comme le petit bouquet de cannelle, au clou, dans la cuisine,
La deuxième
comme une branche de jasmin à la fenêtre,
La quatrième
comme un nid d’hirondelle sous la gouttière du toit
La troisième
et dans le nid reposent, tièdes, azurés, les œufs, prêts à devenir
ailes et chansons.
Toutes ensemble
Alors il nous semblait que rien n’était perdu,
que la mort ne pouvait rien nous prendre,
La première
parce que nous avions tout donné, tout livré ; plus rien ne reste
La quatrième
et nous ne sommes pas seulement ce que nous sommes devenues,
mais ce que nous avons donné
La sixième
et nous devenons ce que devient notre don
La septième
et pas un cheveu de nos tresses n’a été emporté par le vent.
Toutes ensemble
Et quand un nouveau cheveu blanchissait, nous écoutions
le pigment noir s’écouler des canaux de nos cheveux
comme le seau qui remonte hors du puits
La deuxième
Et si nous puisions trop peu d’eau, si elle ne suffisait pas
pour abreuver les grands arbres du jardin
nous arrosions les pots de basilic, les géraniums
et les rosiers, rouges coquillages terriens,
La quatrième
ou bien nous tirions l’eau à d’autres puits
car tous les puits de Dieu sont faits pour nous abreuver tous,
les enfants et le bétail, les citronniers et les rosiers,
pour arroser même les étoiles – parfois il nous est arrivé,
au soir tombant, quand nous restions sur le balcon avec notre seau,
de voir au-dessus de nous, entre les feuilles pointues des
bigaradiers,
ou entre les minces branches des jasmins, les étoiles fleurir
et embaumer plus encore que les bigaradiers et les jasmins ;
La troisième
et c’était comme si nous-mêmes arrosions les étoiles ; et même,
un soir
nous avons cueilli quelques étoiles, et nous les avons mises dans
un verre,
sur le sable, pour voir quelle tête ferait notre homme en débarquant.
La deuxième
Mais lui, le pauvre, rentra si épuisé
que le sommeil le prit tout habillé, à la renverse, et la branche
d’étoiles
éclaira sa moustache qui palpitait
comme un petit accordéon d’enfant, au coin d’une légende, à côté
de chez nous.
Toutes ensemble
Le lendemain, à l’aube, nous sortions sur la grève
ramasser des algues pour les paillasses,
les planches des épaves pour le feu,
La sixième
et le feu était bon – il ne pensait pas aux noyés –
La cinquième
il réchauffait, il éclairait, le feu – il cuisait le repas – bon feu,
La sixième
sainte simplicité, sainte action pour nous et pour les autres
– le feu
La deuxième
projetait au plafond l’ombre de la marmite, comme une lune
large et noire,
La quatrième
projetait de biais sur le mur l’ombre du rouet comme une palissade
de verger. Tout change, passe, s’éloigne.
La première
Les légumes, les tomates, le poisson séché se changent en lait
La septième
et le lait en enfant, et l’enfant en bateau, et le bateau en voyage,
La quatrième
et tous naviguent sur la mer, s’en vont,
d’abord pour emporter des choses, puis pour s’en rapporter,
puis rien que pour naviguer – le voyage, toujours –
La sixième
enfin pour le seul souvenir du voyage – le souvenir, toujours –
comme si la vague seule les attirait, inconsciemment,
comme pour projeter le voyage entier dans le souvenir
et le souvenir dans le vent, involontairement,
comme s’écoulent notre souffle et notre sang.
Toutes ensemble
Tout s’éloigne, passe, change – le bois en feu qui brûle,
le feu en lumière et chaleur – que devient-il, le feu ? Où
s’en va-t-il ?
Et de nous, qu’adviendra-t-il ? – marmite, lait, feu ? enfants,
navires ? – nous le sommes devenues.
La cinquième
Ah ! Elle n’en finit pas cette chienne de vie – elle finit ;
elle est finie ;
La septième
la lampe crépite – plus une goutte d’huile – notre cœur est fini.
La première
Ah ! notre cœur était fiché dans notre sein
comme l’œuf rouge dans le poing de la brioche pascale
et la brioche moisissait, mais pas l’œuf :
coupole rouge d’une petite église contant la Passion et la
Résurrection –
La quatrième
C’était une grande coupole, notre cœur, décoré du Pantocrator
qui commande tout : meurtres, repentirs, grands cierges et
ex-voto d’argent.
La troisième
Ah ! notre cœur ! c’était le grand eucalyptus de la cour :
les moineaux s’y juchent par milliers au crépuscule
et c’est comme un lustre pendu au milieu de la création,
flamboyant des mille cierges de leurs chants –
La deuxième
rivière verticale de ramages, l’eucalyptus –
La quatrième
mince église verdoyante, bâtie d’oiseaux et de feuilles
- à sa cime la croix d’or de l’étoile du soir
La sixième
Ah ! notre cœur ! c’était le clocher de la cathédrale
avec sa grande horloge égrenant solennellement les heures
avec ses cloches sonnant les deuils et les fêtes.
La première
L’horloge s’est arrêtée
La cinquième
les cloches sont tombées
La première
les heures ont perdu leur voix,
La septième
les fêtes et les deuils sont muets.
Toutes ensemble
Perdus, muets, - perdues, nous aussi,
tarie la source de notre œil – pétrifié l’œil
- deux pierres acérées, nos yeux, plantées dans le crâne
pour combler deux trous béants.
La septième
Et quand parfois tu essaies de battre la paupière,
tu entends battre la pierre dans son trou de pierre,
tu sens une autre douleur sèche
et l’humeur n’adoucit plus la plaie pétrifiée.
Toutes ensemble
Nous avons tout perdu, tout oublié, nous ne savons plus rien
et ce que nous savons est inutile.
La troisième
A quoi bon ? Pour qui ? Comment ?
La cinquième
Nos filles, nos petites-filles et leurs filles ont tout appris et
tout laissé,
La septième
elles ont appris d’autres choses, que nous ne savions pas, nous autres,
La cinquième
nouveaux plats, nouvelles habitudes, nouvelles robes, et broderies
La deuxième
Pourtant, n’est-ce pas la suite de ce qu’elles ont appris de nous ?
Mais elles,
La première
ignorantes et dédaigneuses, les malheureuses, elles croient commencer
le monde – oui, elles ne voient pas la continuation du monde,
La cinquième
et quand tu ne sais pas ce que tu dois aux autres, tu ne sais pas ce que tu
as, ce que tu donnes,
la septième
et quand tu ne comptes pas avec les autres, tu ne sais pas ce que tu fais,
ce que tu es,
La troisième
et quand tu ne sais pas ce que tu es, même si tu as tout, tu ne sers à rien,
tu es seule,
La sixième
et quand tu es seule, tu n’es rien.
La quatrième
Seul l’échange est un pont où la vie passe en agitant au vent sa robe
bariolée
comme un drapeau aux cinq vents qui gonflent les voiles des navires,
et voguent les voiliers – cà et là – comme au quinze août, au
pèlerinage de Tinos.
La troisième
Où sont les fêtes maintenant ? – un grand silence marqué de petites
croix
comme les traces laissées par les oiseaux de mer sur une immense
grève.
La sixième
Ah !le silence est une solitude involontaire – une solitude surpeuplée,
La quatrième
une solitude amère comme la colline avec les oliviers au clair de lune,
La sixième
une solitude qui songe à parler, qui connaît la continuité du monde
La deuxième
et tout ce que font les autres, même quand c’est différent, c’est bien
la suite de ce qu’ils ont appris de nous, - n’est-ce pas ?
La quatrième
Ah ! oui ! c’est la suite ! une bonne suite - bien à nous et pourtant
comme étrangère
quelque chose qui t’enracine dans la terre et te déracine dans le temps
- je ne sais pas – la suite,
La sixième
comme lorsque tu prononces un mot et que d’autres viennent s’aligner
d’eux – mêmes ; étrangers
ceux-là aussi étaient en toi – des mots à toi ? Prononcés par toi ? –tu
admires
que tant de choses aient été en toi, sages, sérieuses, jolies, sans que
tu l’aies su.
La troisième
Oui, oui, comme lorsque s’allume une lueur, le soir, et qu’à sa suite,
les autres fenêtres s’éclairent,
et la grève brille jusqu’au loin, chaîne dorée au clair de lune ;
La quatrième
comme lorsqu’un souvenir apparaît, et que d’autres, surgis derrière
lui d’un pas léger,
te prennent par la main, t’entraînent hors de la maison, hors du temps,
La troisième
et te conduisent – où ne te conduiraient-ils pas ! – vers ce que tu
connais, vers l’inconnu,
et ce que tu connais, tu crois le voir pour la première fois ;
La sixième
comme un silence en suit un autre –
tu te tais une fois, deux fois, tu avales ta langue,
les mots se perdent – inutiles – la quiétude grandit,
La troisième
le geste de la main se perd – immobilité totale –
et le silence s’étale sur ta main comme l’ex-voto d’argent sur la
main de la Vierge
et l’on ne sait plus ce qu’il y a sous l’argent –
La quatrième
Tu écoutes ta colère – tu la rumines doucement – tu la trouves
savoureuse,
tu remâches ta peine, ta joie ou ton désir
et si enfin tu veux soudain dire un mot
ta langue est collée au silence, il est trop tard pour parler –
La troisième
L’heure est passée de la colère,
La sixième
l’heure de la confession,
La quatrième
l’heure de l’explication,
La deuxième
l’heure du désir.
La sixième
La langue est collée au silence comme la chair à l’os ;
c’est bien fini, avant la mort et au-delà,
c’est la parole tout entière qui n’a plus besoin d’être prononcée
et s’arrête.
La deuxième
Mais parfois tu ne peux plus supporter le silence, avec son poids
et sa légèreté
alors tu te mets à faire quelque chose – rien d’important –
La première
par exemple broder une toute petite fleur sur du satin jauni,
sur la couronne pendue au crucifix - alors
nos filles et nos petites-filles, nos brus même, se penchent sur
notre fleurette
La cinquième
et vantent notre habileté, nous appellent mains de fées,
La septième
elles trouvent même que notre fleurette embaume – et c’est vrai
qu’elle embaume –
La sixième
Mais elles ne peuvent comprendre, les pauvres, d’où vient ce
parfum – elles ne savent pas
combien de silence, de gémissements et de peine sont amassés
sous chaque pétale,
La troisième
sous chaque courbe de pétale,
La deuxième
dans le pollen si finement brodé,
La sixième
dans cette ombre mauvaise qui coupe en deux la fleur,
comme si l’une des moitiés était dans l’ombre d’une feuille
invisible,
La quatrième
et la feuille absente, elle est dessous, derrière,
elle sous-entend la broderie – mais cela, elles ne le comprennent pas,
La troisième
c’est pour cela que nous sourions d’un sourire doux comme
le pardon,
La septième
pour cela que nous leur pardonnons et les conseillons encore,
La sixième
que nous trouvons une voix douce, à leur mesure, pour qu’elles
ne s’effraient pas
et n’abandonnent pas avant la fin le travail qui, seul, peut les guider
jusqu’au profond silence dont nous parlons sans connaître les mots
qu’il faudrait,
La troisième
jusqu’à cette échelle – pas celle de la maison, ni celle de la terrasse,
La quatrième
l’autre, la grande échelle du jardin – grande comme l’échelle de Jacob,
La première
celle qui sert à monter aux grands arbres pour cueillir les fruits,
La deuxième
cette grande échelle où tu peux monter parfois,
non à l’heure de la récolte, lorsque brillent les fruits,
comme de pâles ou roses visages, entre les longues feuilles luisantes,
La cinquième
ni à l’heure de l’émondage ou de l’échenillage,
La sixième
mais à une heure nue, aveugle et vide,
La première
quand manquent les fruits et les feuilles,
La septième
quand les branches semblent des épées
La quatrième
et les arbres des filets de bois tendus vers l’immensité
La deuxième
comme les veines nues d’un vieil été, pendues au vent –
alors tu montes jusqu’en haut de l’échelle
La troisième
sans savoir pourquoi, comme pour cueillir du vent et des nuages,
La sixième
et la feuille de ton corps tremble, là-haut, unique feuille du monde.
La quatrième
Et tu crains qu’on ne te voie là-haut, juchée comme un oiseau étrange,
La deuxième
qu’on ne voit tes ailes sous ton jupon (car tu as deux grandes ailes),
La troisième
qu’on ne te demande ce que tu fais là-haut (car tu ne saurais répondre)
La sixième
qu’on ne te prenne pour un saint ou un fou (car tu n’aurais pas de place
parmi eux),
et pourtant tu grimpes.
La quatrième
Et les branches nues sont les fenêtres de la voute céleste –
La deuxième
tu colles ton front aux vitres et tu regardes à l’intérieur
- tu ne vois rien,
La sixième
tu vois le ciel rond, profond et vert,
La quatrième
tu vois tout - tu ne vois rien,
La sixième
rien qu’un azur muet, bourdonnant de silence.
La deuxième
Alors comme un coupable tu redescends, prudemment,
La quatrième
coupable – ta faute est grande, haute comme l’échelle où tu
as grimpé
La sixième
coupable - comme si tu avais volé ta famille et que tu t’attendes
à ce qu’on le découvre d’une minute à l’autre,
La troisième
coupable - comme si tu avais dit un grand mensonge et qu’on
s’en rende compte.
La deuxième
Tu regardes en arrière, si quelque trace d’azur ne te trahirait pas,
La quatrième
tu regardes par terre, si quelque plume tombée de tes ailes ne te
démasquerait pas.
La troisième
Assez souvent, une plume tombe,
La quatrième
légère comme l’écume de la mer,
La troisième
légère comme la neige tiède,
La deuxième
légère comme la fleur du citronnier un soir de printemps,
La septième
légère comme l’oubli dans l’amertume,
La cinquième
quand le sommeil te prend au milieu des soucis – et t’emmène
hors du temps
La première
et que la perte et l’absence et la mort paraissent des mensonges,
La septième
comme si jamais personne n’était venu, n’était parti – un éternel
instant d’oubli et de sérénité.
La deuxième
Plume légère comme le jasmin – tu te penches, tu la ramasses
La sixième
et si quelqu’un te voit, tu l’examines d’un air indifférent et tu
dis : « la poule blanche perd ses plumes – qu’est-ce qui lui
arrive ? »
La troisième
ou bien : « une mouette a dû se poser sur le toit »,
La deuxième
ou : « ce sont les pigeons du père Anthime », et tu te tais.
Toutes ensemble
Se taire, se taire – que peut-on dire ? – miracle après miracle,
le monde –
La première
se taire, se taire – le silence, tu l’entends mieux,
La cinquième
tu contemples mieux le bébé endormi,
La sixième
le mort, tu le vois tout entier,
La deuxième
Tais-toi, tais-toi, taisez-vous –
La cinquième
Qu’est-ce qu’elle y gagne la mer, à gémir et à hurler, à maudire
et à débattre ? – qui l’entend ?
La deuxième
tu l’entends mieux quand elle se calme, quand elle se tait – alors,
tu te souviens –
La quatrième
tu te rappelles qu’elle existe, comment elles est, comment elle
hurle - tu te rappelles
les poissons qu’elle te donne, et le sel, et la souffrance, et les voyages,
La troisième
l’absence et le retour,
La sixième
la séparation et la soif de retrouvailles.
Toutes ensemble
Nous nous taisons, comme des coupables – coupables de quoi ? Nous
n’avons rien volé, nous n’avons pas menti,
nous avons seulement élevé un instant notre cœur au-dessus des
quatre murs,
soustrait aux soucis familiers, aux tentacules de la résignation,
levé un peu plus haut que notre nez,
un peu plus haut que notre front, afin qu’il nous éclaire comme
une étoile,
comme le phare et les deux fanaux sur la jetée, qui clignotent,
doré, rouge, vert, pour guider les navires, les nôtres
et ceux des étrangers,
La sixième
tous sont à nous, même les étrangers,
la deuxième
tout est bien à nous – quand nous élevons notre cœur plus haut
que notre front,
La troisième
car jamais nous n’avons trahi notre famille,
La première
jamais nous n’avons oublié la marmite – toujours rentrées à temps,
avant que l’oignon brûle, que l’eau s’évapore,
La cinquième
avant que ne s’éteigne la lueur de confiance dans les yeux de nos
enfants - nous rentrions
La septième
et le balai était notre ami, nous serrions sa main desséchée
et la flamme de l’âtre était notre fille chérie,
nous lui relevions sur la nuque ses lourdes nattes dorées.
Toutes ensemble
Et les plumes qui nous avaient poussé quand nous étions sur
l’échelle
- la grande échelle nue, inutile –
nous les avons cachés derrière le miroir,
avec les trois plumes de paon que notre fils aîné rapporta de
son premier voyage.
La cinquième
Nous les avons abandonnées à la poussière, aux mouches
La quatrième
bruissant doucement au vent, comme le faire-part de noces d’un
couple déjà mort,
La sixième
sans même songer à les oublier ou à s’en souvenir,
Toutes ensemble
Parfois pourtant, au crépuscule, quand personne n’était là,
l’un parti à la pêche, l’autre en voyage ou en soirée ou à se promener,
à ce moment, trop tôt pour allumer la lampe et trop tard pour
raccommoder les chaussettes,
La quatrième
quand la moitié du jour est bleu foncé, l’autre violette et dorée,
- l’ombre se joint à la lumière, les rochers même deviennent
transparents
et la lune imprévue pend à la fenêtre,
La deuxième
Petite lune tranquille comme un feu éteint, comme un cri qui s’est tu,
La troisième
coquillage nacré, collé à la fenêtre,
qui auréole notre chambre, rend océane la maison,
La sixième
mystérieuse lune, pendue comme un anneau d’argent à une grande
porte :
si tu tirais l’anneau, une sonnerie inconnue retentirait derrière la porte,
La quatrième
les verres tinteraient dans le vieux buffet, touchés par le doigt de la
morte,
La deuxième
les petites cuillères d’argent tressauteraient, comme les franges de la
chasuble du pope,
La troisième
le grand pot de confiture de bigarade, comme un puits, pousserait
un profond soupir,
La deuxième
dans les trous des vertes bigarades, le sucre cristallisé craquerait
comme craque parfois tout seul le plâtre des vieilles arcades.
La troisième
Ah ! ah ! la petite lune humide et cristalline
- comme une méduse, la lune nage vers la fenêtre avec ses tentacules
de verre
et la maison comme engloutie, et nous comme noyées,
La quatrième
tranquilles, tranquilles, légères,
La sixième
noyées sans noyade, tranquilles,
La première
immobiles comme les vielles ancres tombées au fond de la mer
qui ne se soucient plus de retenir le navire, ne font plus d’efforts,
La troisième
les algues et les coquillages ont poussé dessus,
La deuxième
et les yeux ouverts des poissons les éclairent de milliers de lucioles
émeraude, citron, rose, bleu cobalt
- alors un gros poisson violet, rayé d’or,
prend la place de la lampe, pendue au-dessus de la table,
et l’ombre se couche sous la table, luisante et noire
comme un grand phoque secouant de temps en temps ses moustaches.
Toutes ensemble
Alors soudain, tu entends s’assembler
les plumes poussiéreuses oubliées derrière le miroir,
bruissement d’ailes dans l’air immobile de la chambre,
comme si l’archange en sortant de l’icône redonnait vie à
ses ailes d’azur engourdies,
La quatrième
comme si la Sainte Colombe, tenant dans son bec un petit
plumeau de rayons,
balayait toute l’amertume de nos années – alors
La sixième
la ronde table basse de la maison, estompée dans le crépuscule,
devenait un large sceau de paix sur le pain béni du monde
Toutes ensemble
Bénie soit la vie, et bénie aussi la mort
qui nous ont conduites vers un tel moment – bénissons-les ;
sans plainte nous sommes venues, sans plainte nous partirons
- sans plainte,
non pour ce que nous avons appris – qu’avons-nous appris ?
mais pour ce que nous avons fait, combattu, changé.
La septième
Santé et joie à vous, nos enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants.
Toutes ensemble
La lune s’est levée. Nous allons rentrer. Salut à vous.
La cinquième
Vous, nos enfants, restez dehors. Le repas est prêt. A toute heure
il est prêt. Le couvert toujours été mis.
Restez dehors. Cherchez, apprenez, agissez.
Toutes ensemble
Nous, venues ignorantes, repartons ignorantes. Heureuses.
Tout ce que nous avons appris – bien appris – c’est cela :
la mer ne se coupe pas en tranches, comme le pain, ne se
partage pas,
entière elle est, entière elle te veut, entière elle te prend,
entier tu luttes avec elle, et tu la gagnes ou la perds tout
entière.
La première
Tu ne la clôture pas de palissades, tu ne l’empales pas sur
un pieu,
tu ne passes pas la bride entre ses dents fortes et blanches.
La sixième
La mer, elle est à tous – elle ne se divise pas, comme la terre,
elle abat les frontières, saute par-dessus
sans borne, elle circule librement par-dessous les limites –
Toutes ensemble
Salut à vous, nos enfants, recevez notre bénédiction, la mer, il
faut la respecter,
ne laisser rien à moitié.
La septième
La mer ne se peut verrouiller, de clés ni d’os ;
les fleuves secrets la pénètrent, se saluent, échangent leurs eaux ;
dans les sombres canaux des profondeurs, vont et viennent les
poissons,
La deuxième
de leurs yeux ronds, ils éclairent les forêts marines,
- passent et disparaissent au loin – qui sait où ? -
comme les pensées des hommes et leurs sentiments – tu ne sais
d’où ils viennent ni où ils vont,
tu ne peux ni les retenir, ni les commander.
La cinquième
Entière est la mer, et de même la vie, elle ne se partage pas ;
entière tu la reçois et tu la donnes, entière elle reste
- et la mort même n’y peut rien – sa faux ne peut la morceler,
La quatrième
la vie lui prend sa lame pour se curer les dents,
La troisième
elle enlève une arête plantée entre deux molaires,
La deuxième
elle enlève les pépins de raisin et le brin de céleri collé contre
la canine,
La quatrième
elle taille un petit bateau, jouet et apprentissage pour l’enfant.
La sixième
Elle taille un grand gouvernail pour une large main habile –
Toutes ensemble
Nos enfants nous ne les avons pas donnés à la mort,
nous les tenons en nous, à nouveau nous souffrons l’accouchement
et si c’est nous que la mort cherche à prendre, nous nous
cramponnerons à la poignée
et notre main restera là, dehors, attaché à la porte,
La sixième
notre main avide, notre main généreuse,
La première
qu’elle au moins reste, même détachée du corps,
La septième
qu’elle au moins reste en vie, notre pauvre main, pour bouger,
montrer, gesticuler,
La cinquième
attachée à la porte, comme un battant de cloche, pour sonner
un jour de fête éteint,
La quatrième
comme le long balancier de la vieille horloge qui retarde et sonne
lentement, amèrement,
La troisième
ou qui, déréglée, avance et indique la nuit pendant le jour ;
La sixième
non ! non ! pour sonner juste- sans avance ni retard car la plus
belle heure du monde
est l’heure juste, précise – sans avance ni retard,
celle qui marque le moment juste, la pensée juste, l’acte juste,
pour l’un comme pour l’autre et pour nous tous – l’heure commune
accordée, scellée par le sourire de tous,
par un sourire-pont qui permet à tous de passer
au-dessus de l’amertume et de la peur, au-dessus du mauvais ravin.
La deuxième
Notre main, sourire et pont, battant de cloche, balancier de l’horloge
exacte
La première
pour sonner fort les demies et les heures,
La cinquième
pour sonner fort la vie, notre main pétrifiée dans la nuit
La septième
pour sonner une heure dans le temps infini,
La deuxième
une minute dans l’espace infini.
La première
Et nous, nous serons là, au milieu du pot à sel,
La cinquième
avec le sel blanc ramassé par nos vieilles mains dans les flaques
des rochers, sous le grand soleil de l’été. Nous serons là
La première
dans les repas, mêlées au sel,
La septième
dans le ventre de nos enfants, mêlées au repas,
La sixième
dans le large ventre du monde avec toutes nos actions, avec tous
nos enfants.
Toutes ensemble
Ah ! toi ! ma belle ! dame vie, dame mer,
Ah ! c’est bien, c’est bien : être mangées et demeurer entières
La sixième
et une fois mangées, avoir faim de leur faim
et grandir pour les rassasier, nous rassasier.
Toutes ensemble
Salut, nos enfants, recevez notre bénédiction !
Salut, nos enfants, bon jour et bon voyage !
La deuxième
Voyez, elle vient de ce côté, la capitaine, la Grise
Toutes ensemble
Salut à toi, capitaine !
La Grise
Salut à vous, les vieilles – que faites-vous là ?
Comptez-vous les étoiles et les navires qui passent ?
Bavardez-vous avec la lune, visionnaires ?
Toutes ensemble
Ni les étoiles, ni les navires – ils ont sombré ;
ni la lune –elle s’est obscurcie ;
nous disons seulement adieu au monde, capitaine.
La Grise
Allons ! notre heure n’est pas encore venue,
nous avons bien des choses à faire encore,
nos mille enfants donnés,
mille navires partis,
mille mers apportées sur terre,
mille églises bâties,
mille milliers de cloches suspendues,
mille milliers de pains distribués,
l’huile de la baleine donnée à moitié prix,
la lame gardée toute entière
et la figure de proue du navire – c’est nous qui l’avons sculptée
et quand le navire a vieilli, nous l’avons portée, comme la sainte
croix,
nous l’avons mise dans le jardin entre les arbres,
les arbres sont des navires qui nous font voguer
et la figure est une icône, elle fend le vent,
nous lui récitons nos prières, elle nous entend,
au beau milieu du chemin, étourdies, nous ne nous arrêtons pas,
nous ne faisons obstacle à personne,
sauf à celui qui nous barre la route,
de notre vieillesse, nous faisons bon voyage,
il reste du lait dans nos seins,
des pièces d’or nouées dans notre grand mouchoir noir
et nous avons beaucoup à dire encore, beaucoup à conseiller,
nous autres, les vieilles capitaines,
et nous exigeons le respect des jeunes capitaines –
avec les deux dernières dents d’or qui nous restent
nous pouvons tout mâcher encore
et parler jusqu’à ce qu’elle fondent dans notre bouche.
Toutes ensemble
Nous avons bien des choses à dire encore, et de pain à manger,
avant de mordre notre dernière balle
pour le cœur de la mort. Salut à vous, enfants, et bon voyage !
Les dernières lueurs du couchant s’éteignent soudain. La lune
s’est cachée entre les nuages. Obscurité. Un bateau approche.
Comme si l’on déchirait une lourde soierie. On descend la
passerelle. Lumières, bourriches, filets, sacs, air salé, larges
pas, voix profondes. Les marins sautent à terre. Ils saluent
respectueusement les vieilles. Ce ne sont ni leurs maris, ni
leurs fils, ni leurs petits-fils . Un vieux boiteux pose une lampe-
tempête sur la grève. Les vieilles disparaissent comme un
cortège d’ombres dans la nuit faiblement éclairée par les
lumières des navires. Un moment, la capitaine Grise a
retenu son pas. On entend le sifflement d’un bateau. Soudain,
la capitaine disparaît comme si le sifflement l’avait escamotée…
Calme profond comme celui des profondeurs. Aux réverbères
du quai, au lieu de flammes tremblent de longs poissons
lumineux et dorés, rayés de bleu. Quelqu’un dit « bonsoir ».
Puis de nouveau, humide, profonde, une immense paix.
Samos, septembre, 1958
Traduit du grec par Bruno Roy
Editions Fata morgana, 1978
Du même auteur :
Le désespoir de Pénélope (10/11/2014)
Crépuscule (17/02/2021)
« Maisons blanches... » (17/02/2022)
« Les hommes continuent d’avancer ainsi... » (17/02/2023)
Hélène (1) 17/02/2024)