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Le bar à poèmes
1 juin 2023

Daniel Kay (1959 -) : Un jardin de statues

AVT_Daniel-Kay_6777[1]

 

Un jardin de statues

 

 

LINGUA ANTIQUA

 

Bruissement de silence

dans l’allée de tilleuls...

on dirait que les silhouettes de plâtre

susurrent une langue étrangère,

un curieux idiome

que seuls peuvent comprendre

les enfants et les muets

 

ARTEMIS

 

     Parfois la tunique de la chasseresse déclenchait l’hallali des frondaisons

et figeait sa meute de bronze dans l’exhalaison des seringas.

 

     Le soir au bref carquois écrasait déjà toutes les montres. Une à une les

statues s’évanouissaient sous la morsure d’une seule flèche.

 

 

VESTALES

 

L’homme parlait avec des mots enflammés

à la pharmacienne dont la peau nue et désirable

brillait derrière la porte-fenêtre.

Les ampoules de morphine devenaient obscures.

Or dans le jardin le crachin interminable

ruisselait déjà sur les seins des vestales.

Peu à peu la douleur arriverait jusqu’au cyprès.

 

 

 

Statues, suppositions des lointains...

L’hiver vous a passé des gants blancs

pour égorger des oiseaux invisibles.

 

 

LEGENDES

 

On dit que des statues meurent parfois

comme des êtres chers

sous le faix des années,

fragments de la beauté du monde,

à jamais scellées dans leur cercueil de feuillage.

 

 

 

Ce jour-là elles eurent froid

et se couvrirent les lèvres d’un bâillon de rosée,

les yeux clos déchiffraient sous les nuages

les signes d’un frémissement,

sous la cape de l’indistinct manteau de pluie

l’attente d’un mouvement entre les feuilles,

l’étonnement d’un lied de Brahms.

 

 

L’ALTRA FIGURA

(Giulo Paolini)

 

Tête-à tête mezzo voce :

deux profils de plâtre

contemplent la beauté sévère des gravats

entre grandeur et misère

de ce qui fut en pleine lumière

 

Jours pliés, secondes pétrifiées

arrangent peu à peu dans le blanc

les restes de la statue mentale.

 

 

 

On dit votre regard énigmatique,

votre mutisme impénétrable,

votre sourire indéchiffrable...

A quoi songez-vous donc,

intrigants rêves de pierre ?

A la rose de Condillac,

aux dimensions du domaine,

aux mathématiques sévères,

ou à ces cyclistes d’un autre temps

qui cachent derrière les arbres

leurs rêves de gloire et de feuilles.

 

 

A leur pouls bat le temps d’avant le temps.

 

 

Vies silencieuses

Editions Gallimard, 2019

Du même auteur :

Art poétique avec nature morte (09/09/2019)

Le bleu à l’âme (14/06/2021)

L’atelier du peintre (01/06/2022)

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