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Le bar à poèmes
27 mai 2023

Seamus Heaney (1939 – 2013) : Bêcher / Digging

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Bêcher

Entre mes doigts et mon pouce,

Calée comme un pistolet, la plume épaisse repose.

 

Sous ma fenêtre, le crissement clair

D’une bêche qui s’enfonce entre gravier et terre :

Mon père, bêchant. Sous mon regard.

 

Ses reins tendus entre les parterres

Se baissent, se redressent à vingt ans de là

Au rythme des sillons de pommes de terre

Où il bêchait.

 

Le godillot blotti sur le fer, le manche

Bien calé en levier à côté du genou

Il arrachait les hautes fanes, plantait profondément la tranche brillante

Eparpillant les pommes de terre nouvelles qu’on ramassait,

Savourant leur dure fraîcheur dans nos paumes.

 

Mon Dieu, que le vieux savait tenir une bêche,

Tout comme son vieux à lui.

 

Mon grand-père coupait plus de tourbe en un jour

Que tous les autres hommes sur la tourbière de Toner.

Une fois, je lui ai porté une bouteille de lait

bouchée avec un bout de papier. Il se redressa

Pour le boire, attaqua à nouveau le travail

Fendant et tranchant net, lançant les mottes

 

Par-dessus son épaule,

Creusant toujours plus profond,

cherchant la bonne tourbe. Bêchant.

 

Les froides senteurs de la terre meuble, la tourbe

Qui gicle et claque, les coups tranchants

Dans les racines vives s’éveillent dans ma tête.

Mais je n’ai pas de bêche pour faire comme ces hommes-là.

 

Entre mes doigts et mon pouce

Repose la plume épaisse,

C’est elle qui sera ma bêche.

 

 

Traduit de l’anglais par Deidre McKeown-Laigle

in, Denis Rigal : « Poésies d’Irlande. Anthologie »

Editions SUD, 13001Marseille, 1987

 

Creuser

Entre mon doigt et mon pouce

Le stylo trapu repose ; comme un pistolet.

 

Sous ma fenêtre, le crissement net

De la bêche qui plonge dans le sol caillouteux :

Mon père qui creuse. Je le regarde

 

Jusqu’à ce que ses reins tendus parmi les plates-bandes

Se courbent à terre, remontent vingt temps après

Se voutent en rythme dans les sillons de pommes de terre

Où il creusait.

 

La grosse botte blottie contre le fer, le manche

Contre l’intérieur du genou était facile à manier.

Il déterrait les hautes tiges, enfonçait loin la lame brillante

Eparpillait les pommes de terre nouvelles que nous ramassions.

Comme nous aimions leur fermeté fraîche dans nos mains !

 

Pardi, le vieux savait manier la bêche

Juste comme son vieux avant lui.

 

Mon grand-père coupait plus de tourbe en un jour

Qu’aucun autre homme de la tourbière de Toner.

Une fois, je lui ai porté du lait dans une bouteille

Mal bouchée avec du papier. Il se redressa

Pour boire, puis s’y remit aussitôt,

Il taillait et tranchait nettement, balançant les mottes

Par-dessus l’épaule, il descendait de plus en plus bas

Vers la bonne tourbe. Il creusait.

 

L’odeur froide de la terre remuée, le gargouillis

De la tourbe détrempée, les courtes entailles d’une lame

Au travers de racines vivantes s’éveillent dans ma tête.

Mais je n’ai pas de pelle pour suivre de tels hommes.

 

Entre mon doigt et mon pouce

Le stylo trapu repose.

Je creuserai avec.

 

 

Traduit de l’anglais par Anne Bernard Kearney

in, Seamus Heaney : « Poèmes 1966 – 1984 »

Editions Gallimard, 1988

Du même auteur :

Bonne nuit / Good night (26/02/2019)

Mère (26/05/2020)

Rites funèbres / Funeral Rites (27/05/2021)

Victime / Casualty (27/05/2022)

 

 

Digging

 

Between my finger and my thumb  

The squat pen rests; snug as a gun.

 

Under my window, a clean rasping sound   

When the spade sinks into gravelly ground:  

My father, digging. I look down

 

Till his straining rump among the flowerbeds   

Bends low, comes up twenty years away   

Stooping in rhythm through potato drills   

Where he was digging.

 

The coarse boot nestled on the lug, the shaft   

Against the inside knee was levered firmly.

He rooted out tall tops, buried the bright edge deep

To scatter new potatoes that we picked,

Loving their cool hardness in our hands.

 

By God, the old man could handle a spade. 

Just like his old man.

 

My grandfather cut more turf in a day

Than any other man on Toner’s bog.

Once I carried him milk in a bottle

Corked sloppily with paper. He straightened up

To drink it, then fell to right away

Nicking and slicing neatly, heaving sods

Over his shoulder, going down and down

 For the good turf. Digging.

 

The cold smell of potato mould, the squelch and slap

Of soggy peat, the curt cuts of an edge

Through living roots awaken in my head.

But I’ve no spade to follow men like them.

 

Between my finger and my thumb

The squat pen rests.

I’ll dig with it.

 

Death of a Naturalist

Faber and Faber publishers, London,1966

 

Poème précédent en anglais :

Jack Kerouac : Mexico city blues (73 – 84ème Chorus) / 73– 84th Chorus) (27/03/2023)

Poème suivant en anglais :

Ronald Stuart Thomas : Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday (14/06/2023)

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